Partagez sur "Rémi Loriov VS. Andrés Rib – Dieudonné : De la polémique à la récupération ?"
Depuis plus de 15 ans, et sa séparation d’avec Elie, Dieudonné nous faisait rire, avec la misère humaine.
Dans une sorte de réaction en chaîne, il est progressivement passé d’un amuseur tragique à un prédicateur politique et religieux, faisant ainsi la part belle à l’Islam dans ces diverses interventions. Ici, pas question d’évoquer son antisémitisme, véritable ou fantasmé, le triste sire ne nous donnera jamais la réponse. Ni de défendre ses différentes initiatives politiques (peut-on construire une alternative viable sur un parti anti sioniste ?).
Intéressons-nous à la façon dont les médias de masse se sont emparés du sujet et comment le gouvernement s’est senti obligé d’ « agir ».
Tout avait commencé avec un sketch « polémique » sur France 3, devant un Marc-Olivier Fogiel médusé et un Jamel hilare. La suite, tout le monde la connait. Une série de déclarations limites, souvent tronquées, et toujours montées en épingles sur les réseaux sociaux. Il faut bien dire que l’homme a un talent immense, et est reconnu dans la profession comme se situant un cran au-dessus de tout ce qui se fait dans l’humour francophone. D’ailleurs Dieudonné est, semble-t-il, très apprécié au Québec. Il aime aussi la provocation, et depuis que l’Internet 2.0 a explosé, il peut contrôler de A à Z ses moyens d’expression. Dieudonné pulvérise les codes traditionnels de la communication grâce notamment à Youtube.
Dieudonné et la subversion contextuelle
La quenelle a été cuisinée et servie sur France 2 à une heure de grande écoute. Maïté faisait la moue. Car grâce aux journalistes, non seulement l’humour de Dieudonné est connu de tous, mais ses intentions politiques aussi.
La Télévision française a ainsi mordu à l’hameçon, commentant à l’envie ses vidéos postées, réalisant des scores ahurissants en dépit des moyens dérisoires mis à sa disposition : un bureau, un cahier à spirale, un bic. Cela suffit à rameuter des millions d’internautes en mal de subversion.
C’est là où la subversion s’étiole. Revenons sur le terme. Elle peut se définir comme un comportement ou une activité qui veut détruire l’ordre établi. Elle est extrêmement dépendante d’un contexte. Celui-ci, pour ce qui concerne la France, se caractérise par une frustration politique et sociale, un gouvernement sans pouvoir, une figure présidentielle impuissante, inspirant le mépris ou l’indifférence. Dans ce cadre, les médias de masse traditionnels jouent un rôle très important : les journaux, la télévision, ou la radio. Ceux-ci ont une chose en commun : un filtre intégral.
En clair, on ne diffuse pas « n’importe quoi », même si ce terme peut paraître ironique, au vu des programmes qu’ils proposent. Les frasques de Dieudonné n’étaient jusque-là connues que des « initiés », pour preuve, le fameux geste de la « quenelle ». Tout change lorsque tout cela est exposé en place publique, quand on entend les discussions de comptoir mentionner ce geste culinaire d’insubordination. Dans un contexte politique agonisant, la déstabilisation a fait long feu.
La quenelle a été cuisinée et servie sur France 2 à une heure de grande écoute. Maïté faisait la moue. Car grâce aux journalistes, non seulement l’humour de Dieudonné est connu de tous, mais ses intentions politiques aussi. Les deux semblent d’ailleurs imbriqués de manière irréversible. Grâce aux journalistes, le gouvernement va maintenant faire tout ce qui est en son pouvoir (en tout cas ce qu’il lui en reste) pour mettre fin à ses agissements, et permettre au pays de retrouver la paix civile. Car pour notre gouvernement, la paix se résume à faire taire un homme s’exprimant devant 500 personnes, dans un petit théâtre parisien.
Le racolage autour de Dieudonné
Dieudonné est ainsi devenu une sorte de fait divers racoleur, à l’instar des intégristes musulmans, ou de la diversité. Ce n’est pas un hasard si Le Monde, l’Olympe du journalisme français, s’est fendu d’une demi-douzaine d’articles sur le bonhomme. Le dernier en date est actuellement le plus lu sur leur site, et les commentaires vont bon train. Dieudonné a été absorbé par le système médiatique, difficile à digérer certes, mais consommé.
Tout le monde est perdant. Les journalistes, qui sont tombés dans le piège de la course au clic, s’empêtrant dans un sensationnalisme creux. Dieudonné, drapé dans ses habits d’homme du peuple, est devenu victime de son succès, mais pour de mauvaises raisons. En effet, si ces premiers spectacles étaient des modèles du genre, les plus récents sont plus souvent des tribunes que des représentations humoristiques. Mais son public fidèle fait la part des choses. Souvent, ses digressions politiques sont vues comme un mal nécessaire, car le bougre fait rire. Son argot tout droit sorti d’un dialogue d’Audiard et ses accents africain, asiatique, parfois belge, ne laissent personne de marbre.
Dieudo permet ainsi aux journalistes de manger sur son dos, ce qu’il voulait à tout prix éviter.
Un terrible gâchis.
Rémi Loriov
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Affaire Dieudonné – La réponse d’Andrés Rib à Rémi Loriov
Soit, l’humoriste est présenté par tous les médias comme l’homme à abattre, « la bête immonde » à l’origine de tous les maux, Satan en personne. S’il est vrai que l’homme n’est qu’un bouc émissaire au sens Girardien du terme, en ce sens qu’il cristallise toutes les obsessions du moment et qu’il contribuerait par son éviction du champ médiatique à un retour au calme salutaire, il n’en reste pas moins un capitaliste patenté, adepte lui aussi de la pleurniche.
S’il y a bien une quenelle « qu’est pas passée » c’est l’appel aux dons dont il a fait preuve,à plusieurs reprises. Dieudonné se drape inexorablement d’une dignité de faibles face aux puissants lobbyistes qu’il prétend combattre afin de récolter les sommes nécessaires à la poursuite de son action : Œuvrer pour la liberté d’expression. Pour être plus précis, dénoncer « le complot juif ».
Récemment, le dépôt de la marque « Quenelle » à l’INPI –institut nationale de la propriété industrielle-ainsi que la publication de mails envoyés entre le polémiste Alain Soral et la femme de Dieudonné ont permis de mettre le doigt sur l’objectif premier de l’humoriste : se remplir les poches. A la posture du Christ face aux Judas complotistes se substitue celle d’un Jacques Crozemarie, ancien président de l’ARC -la recherche contre le cancer-, dont le but est de soutirer de l’argent de ses adhérents sous couvert d’une lutte du pot de terre contre le pot de fer. Un seul mot d’ordre « Ce n’est qu’un début continuons le combat ! »
Ce combat quel est-il au juste ? Une lutte acharnée pour la liberté d’expression, représentée par « shoah nanas », sa dernière œuvre musicale en date. Là où « Petit poney » amusait de par l’absurdité du texte, « shoah nanas » est une ode à la lutte contre le politiquement correct, l’antithèse du devoir de mémoire.
Pourquoi pas.
Là où le bât blesse c’est que Dieudonné ne se réduit à présent qu’à cela. Le meilleur humoriste de la décennie exagère par facilité et par obsession de l’être juif. Dès lors il s’acharne à nous chanter la même rengaine toutes les semaines sur les vidéos postées sur Youtube. Pire encore, il répond aux sempiternelles attaques dont il fait preuve, souhaitant rétablir « la vérité ».
Si le comique est drôle, l’artiste engagé est mauvais.
Il est une tradition française de prendre fait et cause pour un seul homme, une incarnation du peuple qui ose se dresser face au pouvoir en place. Le détachement et la réflexion nous invitent cependant à ne pas toujours dresser des barricades.
La volonté du ministre de l’Intérieur de l’interdire ne fait que renforcer cette image christique de martyr aux mains jointes, détenant la sacro-sainte vérité face aux machinations des « marchands du temple modernes ».