Au lendemain du premier tour, les cris d’orfraie se font entendre de la part d’un spectre politique à l’unisson. Droite, Gauche, Centre, tous condamnent fermement la « percée » du Front National, parti considéré par l’ensemble des forces comme anti-républicain. Avant toute chose, il faut souligner l’emballement journalistique, inhérent au traitement par les journaux de ce parti. Il ne peut pas y avoir de « vague bleue marine » à proprement parler. Sur 36 000 communes (record européen), le parti a présenté 597 listes, soit une présence de 0,016% sur le territoire national. Réfléchissons aux raisons pour lesquelles une part de Français a voté pour ce parti dans des villes emblématiques de son histoire politique.
Il y a d’abord un mépris de plus en plus évident des politiques envers le peuple, ou en tout cas à l’égard de ce qu’ils vivent, amplifié par les nouveaux moyens de communication. Plus ils tiennent le haut du pavé médiatique, plus ils sont dédaigneux. Il ne s’agit pas de généraliser. La sortie de Nathalie Kosciusko-Morizet sur ses « moments de grâce » passés dans le métro parisien a fait grand bruit, mais reste l’arbre qui cache la forêt d’arrogance de cette élite délabrée.
Pour la plupart, ces gens entrent en politique pour de bonnes raisons, mais y restent pour de mauvaises. Les Français commencent tout juste à saisir l’ampleur de cette falsification.
A force de prendre les Français pour des gogos, d’insulter en permanence leur capacité à réfléchir sans même plus s’en rendre compte, on finit, pour parler trivialement, « par se prendre le peuple en pleine gueule ». Le 23 mars a été l’occasion de vérifier cet adage, certes brutal, mais qui reflète fidèlement la situation. Pour la plupart, ces gens entrent en politique pour de bonnes raisons, mais y restent pour de mauvaises. Les Français commencent à saisir l’ampleur de cette falsification.
Le symbole Hénin-Beaumont
Ce contexte n’est ni de droite ni de gauche, ni d’extrême droite, c’est une réalité que tout le monde connaît.
L’exemple d’Hénin-Beaumont est édifiant. Une ville symbolique, ouvrière, confrontée à un chômage très important (plus de 17% depuis 2009), touchant de plein fouet des Français d’origine non immigrée. La gauche était aux affaires et l’ancien maire PS a été condamné à quatre ans de prison, dont trois fermes, pour détournements de fonds publics. Ce contexte n’est ni de droite ni de gauche, ni d’extrême droite, c’est une réalité que tout le monde connaît. La porte-parole du gouvernement a choisi d’ignorer cet élément dans sa communication. On fait comme si de rien n’était. Mais lorsque, au soir des résultats, Marine Le Pen demande à Najat Vallaud-Belkacem si les électeurs du FN sont des « idiots qui n’auraient pas lu le programme de Steeve Briois », la jeune ministre du Droit des femmes est acculée. A l’instar de l’élection, le duel sémantique est remporté par la figure tutélaire de cette nouvelle droite patriotique.
La Gauche gouvernementale n’a pas trouvé la parade pour contrer cette dynamique. Au contraire, elle n’a cessé d’agiter l’épouvantail du FN sans vraiment aborder les problèmes de fond. On n’ose penser à un vide programmatique. Ajoutons à cela les retentissements des écoutes Sarkozy, l’imbroglio Taubira et le scénario de ces municipales était écrit d’avance. Cette poussée du FN n’est que le résultat de décennies de déception politique, faite de promesses non tenues, d’augmentation d’impôts sans contrepartie sociale, et de corruption.
Un changement de logique politique
Cela pose une question simple. Le FN est-il encore le pestiféré du débat public ? Marine Le Pen et consorts sont-ils des xénophobes en puissance ? Ses électeurs sont-ils aussi tous remplis de haine ? La réponse est complexe, notamment avec cette nouvelle appellation : « Rassemblement Bleu Marine ». Si le FN version Jean Marie possédait des relents à peine voilés de racisme patenté, cette nouvelle mouture est plus difficile à cerner. Sa fille a réussi à fédérer autour d’elle des personnalités dites « de la société civile », emblématiques, médiatiques, bref, « qui passent bien dans les médias », en connaissant parfaitement les rouages. Robert Ménard, par exemple, ancien président de RSF (Reporters Sans Frontière), ne peut pas être traité de raciste ni d’homme détestable, comme cela a été le cas du patriarche frontiste en 2002. Cela n’est tout simplement pas audible auprès des Français. Cela n’empêche pas le PS depuis le début du quinquennat de François Hollande de désigner des boucs-émissaires racistes de moins en moins pertinents : Zemmour, Guaino, Fillon, etc.
Tout cela est alimenté par une frénésie populaire en partie liée à l’explosion des réseaux sociaux. Dernière victime en date de cette hyper démocratie, et pas des moindres, Cyril Hanouna, accusé de racisme pour avoir forcé deux de ses chroniqueurs à faire revivre le célèbre duo antillais la Compagnie Créole. Le public rit, il n’y a aucun malaise pendant l’émission. C’était sans compter les « twittos », qui dans un élan d’imbécilité collective, ont crié au racisme. En clair, on s’indigne n’importe comment pour n’importe quoi : l’élan devient égarement. Et cette mascarade médiocre se répétera sans doute dans quelque mois sur un autre « coup d’éclat » télévisé. De plus, un certain nombre de célébrités a pris pour cible le FN dans ses interventions publiques, ses chansons, livres, avec pour unique argument le fait qu’ils soient de méchants racistes, l’effet boomerang ne se fait pas attendre. Ces accusations se décrédibilisent d’elles-mêmes. Comme toujours en France, on s’intéresse à l’écume des choses pour flatter son ego, sans analyser les causes.
La nécessité de prendre le Front National au sérieux
Ces cinq dernières années, pendant que le FN « s’apaisait », parachevant son processus d’auto-critique, ce sont les entités publiques (presse, partis, personnalités) autour de lui qui sont devenues hystériques
La solution ? Considérer le FN comme un parti comme les autres, pour lui opposer des arguments « comme les autres ». Éviter ainsi, comme sur France Inter, de contrer l’argumentaire de Florian Philippot sur l’Europe et la Crimée avec la lecture d’un tweet xénophobe d’un candidat par Patrick Cohen. Face à une telle déconsidération, que peuvent penser ceux qui votent pour ce parti ? Le sentiment d’être des sous-citoyens, ridiculisés par la majorité des journalistes. On observe ainsi une Gauche qui choisit les valeurs sur les enjeux concrets. Par conséquent, ces attaques sont contre-productives face à un FN qui a su étayer son programme économique et social avec des éléments intelligibles. Il s’agit d’y répondre par les mêmes types de raisonnements, sous peine de voir ces « accidents » électoraux se reproduire avec plus d’amplitude. On a le droit de penser que les candidats du FN sont tous racistes, mais pour que le débat démocratique retrouve une certaine dignité, il faut leur opposer une argumentation politique plus substantielle.
Étrangement, ces cinq dernières années, pendant que le FN « s’apaisait », parachevant son processus d’auto-critique, ce sont les entités publiques (presse, partis, personnalités) autour de lui qui sont devenues hystériques à son égard. La diabolisation a fait long feu, il est temps pour les partis de gouvernement, de droite comme de gauche, d’effectuer un véritable travail de refonte des idées et des programmes pour véritablement répondre aux préoccupations des Français et contrer ce parti dans les règles de l’art, même si après ces échéances, la loi sur le vote des étrangers aux élections locales sera présentée et sans doute votée au Parlement. Le PS peut en effet trouver de nouveaux électeurs, grâce à des moyens plus politiciens que politiques.
Le FN est-il devenu respectable ? La question reste en suspens. Ce qui est sûr en revanche, c’est qu’il a réussi à apparaître comme une alternative crédible dans les urnes. Le FN doit maintenant démontrer à ses électeurs, mais surtout à ses détracteurs, qu’il peut gérer des villes. Il sera jugé sur pièce, avec des médias aux aguets pour déceler le moindre faux pas.