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Il sévit principalement sur la toile et génère les emportements les plus vifs. « Le troll » est partout. Eloge de ce contempteur 2.0 sans qui les échanges sur Internet manqueraient, finalement, d’intérêt.

« Troll ». Le qualificatif tombe souvent comme un couperet, à l’issue d’un micro-débat après un post sur Facebook ou l’envoi d’un tweet. Parfois anonyme, souvent péremptoire, ses origines sont diverses : il peut s’agir d’un simple militant politique ou d’un supporter de l’équipe adverse qui manifeste un désaccord ou une opposition avec un message publié ou avec les commentaires associés. 

Le troll 2.0, ce chasseur anonyme

Ce loup solitaire conteste l’esprit de meute et se délecte des troupeaux qui ont besoin d’être ensemble pour se sentir exister

Le terme « troll » renvoie d’ailleurs aux légendes scandinaves, où le « troll » était par nature cette créature (sorcière, géant, monstre), inqualifiable, à l’écart de l’humanité et en opposition aux Puissants, ou tout simplement comme chez Tolkien, une bête ingrate qui dévore des hommes ; et ce lien étymologique n’est évidemment pas anodin, tant le troll 2.0 peut frapper gratuitement pour le simple plaisir de la confrontation.

Depuis l’avènement des réseaux sociaux, il est coutume d’évoquer les « communautés » sur Internet, comme les groupes ou les fans pages sur Facebook, qui permettent à plusieurs personnes de se rassembler sous la bannière d’une même entité. Le troll est quant à lui un ersatz de cow-boy promenant ses santiags sur la toile, en attendant un duel pour dégainer. Ce loup solitaire conteste l’esprit de meute et se délecte des troupeaux qui ont besoin d’être ensemble pour se sentir exister ; il redevient ainsi un « monstre » au sens antique – celui que l’on « montre » – car il est différent, pense et s’exprime à l’écart du groupe. L’idéal du troll ne réside pas dans le collectif, il croit à l’individu : il cherche par ses provocations à afficher sa pensée singulière, à l’inverse de cette majorité d’internautes qui aime le nombre, la masse, le « like » qui fédère pour mieux légitimer ce qu’il pense. 

Le troll à l’assaut de la société du « oui »

Ses réfutations sont le signe d’un ressentiment à l’égard des opinions simplistes trop partagées : le troll prône l’évidence.

Par sa truculence voire son arrogance, il dérange car il conteste. La mention « troll » revient par conséquent pour qualifier chaque affirmation dissidente et devient le point Godwin idéal sur la toile ; comme un moyen efficace d’éviter tout débat avec des contradictions.

Ce réfractaire par essence goûte peu à cette société du consensus moderne et moderniste qui ne fait qu’affirmer et approuver. Ses réfutations sont le signe d’un ressentiment à l’égard des opinions simplistes trop partagées : le troll prône l’évidence. Il ressemble par la-même à cet homme placé derrière l’Empereur romain sur son char, pour lui murmurer à l’oreille qu’il n’est qu’un homme pendant ses pompeux défilés et c’est précisément pour cela qu’il aime tant provoquer sur les statuts des hommes politiques ou des personnalités médiatiques. C’est le sniper du non face à l’armée du oui.

La figure du troll des années 2000 n’est donc pas si différente de celui des contes nordiques. Il partage avec son ancêtre légendaire l’existence à l’écart de l’humanité, en se posant en rebelle face à la puissance catégorique des internautes affirmatifs. Ce désir de débat avorté, cette envie d’en découdre avec autrui, cette volonté de nier pour mieux entamer une discussion, n’est au final que l’essence d’une démocratie, dans laquelle la parole est censée circuler entre les parties discordantes. 

Tant qu’il est présent, tant qu’il est ainsi qualifié, c’est qu’une dispute ne peut avoir lieu, c’est que la réplique ne peut être donnée. La limite du troll, n’est autre que son existence.

Julien de Rubempré

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Julien Leclercq

Fondateur du Nouveau Cénacle et auteur de "Catholique débutant" paru aux éditions Tallandier.

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