Ah le Front National, source de tous les malheurs de notre société ! Une honte, une abomination politique ! Après le résultat des Européennes, où plus de 58% des inscrits ne s’étaient pas déplacés, la planète média s’est émue, encore, de cette nouvelle poussée frontiste. A l’heure où Biolay s’est fendu d’une nouvelle chanson, où les hashtags anti-FN fleurissent sur la toile, c’est l’occasion de revenir sur les réponses qui ont émergé de cette nouvelle configuration politique.
L’Occident, et ce depuis les processus de décolonisation d’après-guerre, en passant par les phénomènes de désagrégation outre-Atlantique, a connu de nombreux types de causes, légitimes, visant à mettre fin à une situation d’oppression insupportable. Aujourd’hui cependant, on ne sait plus trop où se trouve le camp de l’oppresseur et de l’oppressé.
La réaction : la plus mauvaise conseillère
On a gagné le combat idéologique quand on a commencé à prendre le dessus sur ses émotions. Là peut démarrer la réflexion.
Qu’est-ce qu’une « réaction » ? C’est, au lieu d’en garder le pouvoir, laisser déterminer votre action par quelqu’un d’autre ou un élément extérieur. De sujet, vous passez à objet, à mesure que les moyens de la réaction sont de moins en moins intelligibles. Comme on va le voir, à une élection remportée dans une démocratie va répondre une chanson. Je sais, expliqué comme ça, notre personnalité préférée passe pour un débile, même si ses intentions sont louables.
Depuis 2002, l’émotion a empiété sur l’argumentation, jusqu’à l’excès. Ainsi, quand Noah écrit une chanson, il réagit. On voit même une fonctionnaire du ministère de la Justice se fendre d’une lettre incendiaire à l’endroit de ses collègues qui ont voté pour ce parti. A défaut de réfléchir, on réagit, on est « colère », laissant ce parti devenir le maître de nos émotions. Or la réaction, tellement décriée par nos élites, n’est pas une affaire de racistes contre tolérants, mais un état d’esprit. Lorsqu’on réagit, c’est qu’on a en quelque sorte perdu le combat des idées. Biolay s’en sort quant à lui un peu mieux, avec un phrasé plus subtil, une syntaxe plus élégante, mais in fine, le résultat est identique.
On a gagné le combat idéologique quand on a commencé à prendre le dessus sur ses émotions. Là peut démarrer la réflexion.
Au final, on nourrit le monstre qu’on est censé affamer et on se fait aussi un peu de publicité : c’est le concept d’engagement intéressé. On ne proposera jamais des idées intelligibles, préférant la « colère », l’impulsivité d’une chanson simpliste. Il faut bien voir qu’on retire un gain médiatique exponentiel lorsqu’on interagit avec ce parti, de quelque manière que ce soit. Il y a déjà six ans, le triste sire Franco-Camerounais nous avait gratifiés d’un baptême rocambolesque avec un parrain frontiste des plus emblématiques. L’effet ne s’est pas fait attendre, TF1, France 2, BFM, LCI étaient dans les starting-blocks. Jean-Marie et Dieudonné ont pris les médias à leur propre jeu. Noah et Biolay dans les pas de Le Pen et Dieudo, qui l’eût cru ? Notons à ce sujet que l’ancien Tennisman français est voisin de case au Cameroun avec le provocateur factieux. Le burlesque n’est jamais loin avec ces personnages.
Le FN peut-il permettre aux partis de changer de logiciel ?
Quand le FN parle, c’est la France qui souffre. Au lieu de discuter, de débattre avec lui, comme une collectivité qui se voit comme telle, on lui laisse les idées.
Se libérer du racisme, c’est d’abord lui faire face, car personne, personne n’est à l’abri d’un raisonnement visant à réduire une personne à un élément unique et superficiel de son être. Il faut mettre l’Homme en face de lui-même, de sa capacité quasi ontologique à devenir paresseux, à avoir un jugement hâtif. Suspendre son jugement, c’est cette étape qui permet ensuite de tendre vers une meilleure version de nous-même.
Le FN n’a pas de pouvoir politique important. Mais il a un pouvoir immense sur les comportements et depuis peu, sur les décisions politiques des partis de gouvernement. Ainsi, soit nous avons le pouvoir sur lui, soit l’inverse. Il parvient ici à dicter les actions, les paroles de la plupart des grands protagonistes de la vie politique et médiatique française. Quand le FN parle, c’est la France qui souffre. Au lieu de discuter, de débattre avec lui, comme une collectivité qui se voit comme telle, on lui laisse les idées. Mais disait Montaigne, la vérité ne se fera que dans la confrontation intellectuelle ordonnée. Mais avec l’émergence d’Internet, on entre dans un phénomène d’auto-renforcement désynchronisé. Autrement dit, on répète les choses dites par ceux qu’on aime bien, sans même aller voir ou comprendre ce qui se passe ailleurs. Sur le sujet de l’immigration par exemple, qui semble cristalliser les griefs, si on se place du côté du bien-être des populations, on peut argumenter sur un projet concerté entre nations sans être un horrible xénophobe.
Sans masquer les désaccords entre le FN et le reste du spectre politique, même si ceux-ci révèlent une atonie politique pathologique, la querelle ne doit pas être une fin en soi, mais un moyen de parvenir à un compromis. Cette culture du compromis est une chimère pour la France. C’est d’ailleurs aussi pour ça qu’on va dans le mur.
A tel point que la subversion a changé de camp. La contestation et la subversion sont passées à droite. Que ce soit dans l’humour, avec un Gaspard Proust, ou même dans les mouvements qu’on a pu observer ces derniers mois, on demande de l’ordre. Jean-Yves Camus analyse ainsi les phénomènes de contestation récents avec cette phrase : « La transgression, c’est l’ordre ». Le FN profite aussi un peu de cette tendance.
Aimer la France, pour aimer le monde
Depuis le 25 mai, paradoxalement, les Français ont semble-t-il honte d’être français, mais le FN n’est qu’une partie de notre histoire, et on ne peut pas le rendre responsable de tous les maux.
Si ce parti mène la danse, c’est qu’on refuse inlassablement de reprendre en main les thèmes qu’il a fait sien : le patriotisme, une immigration choisie et maîtrisée, un refus des incivilités quotidiennes.
A une démarche constructive, visant à essayer de nommer les choses pour ensuite tenter de les améliorer – ce qu’avait commencé à faire Valls dès 2006 –, on a préféré faire de ce parti la cause de tous nos échecs politiques répétés. Et si le FN était la résultante de l’inertie de deux partis qui se sont succédés depuis 1981 ? Si de Gaulle, Pompidou étaient des patriotes sincères et persévérants, ce mot a été depuis mis de côté, récupéré par ce parti, dans le même temps rejeté par les autres formations, comme si accepter l’immigration signifiait déjuger les valeurs de son pays.
Philosophie Magazine titrait la semaine dernière : Doit-on s’aimer ? Ce qui est sûr, c’est que si l’on s’aime soi-même, on aime mieux les autres. Appliqué à notre pays, il s’agit de l’aimer, sans effacer les souffrances qu’il a charriées, pour ensuite accueillir sur des bases solides ceux qui veulent contribuer à son rayonnement. Aussi, on doit se dire, qu’est-ce que je peux apporter à l’autre qui peut lui permettre de se reconnaître en nous, le commun, ce qui nous rapproche. Depuis le 25 mai, paradoxalement, les Français ont semble-t-il honte d’être français, mais le Front National n’est qu’une partie de notre histoire, et on ne peut pas le rendre responsable de tous les maux. Dans cette situation de malaise national, difficile d’admettre la phase d’altérité qui précède toute démarche d’installation dans un nouveau pays.
Or aujourd’hui, il n’y a aucune voix pour agréger ses idées. On a le choix entre une gauche déconnectée de la réalité, et une droite qui n’a plus rien de libérale, et dont l’offre politique, à l’instar des personnes, ne s’est jamais vraiment renouvelée. Signe des temps, au FN, la fille veut tuer le père, pour tenter d’entrer définitivement dans cette arène dérisoire, aux côtés des Hollande, Copé et autre Fillon décatis.
Mesdames et Messieurs les politiques, si vous voyez quelque chose comme absolument mauvais, c’est qu’il faut changer de lunettes.