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A la fin du moins d’avril, le nouveau Premier Ministre, fraichement installé à Matignon, présentait son plan d’ « économies » pour un montant total de 50 milliards d’euros, soit un peu moins que le budget de la dette, 56 milliards en crédits de paiement. Après deux années au pouvoir pour la gauche, les médias ont, dans un réflexe pavlovien, parlé de retour à la rigueur. Sans essayer de refaire l’histoire, il s’agit de se pencher sur les similitudes des deux périodes, et comprendre pourquoi les situations, malgré les ressemblances apparentes, ne sont guère comparables.

 

En effet, pour les deux périodes, c’est l’espoir qui avait été l’un des éléments centraux des deux campagnes. En 1981, l’espoir d’une vie meilleure, après un règne sans partage de la droite, la résolution d’une crise économique causée par les deux chocs pétroliers de 1973 et 1979.

En 2012, on observe une volonté d’Hollande de se démarquer à tout prix de son prédécesseur énervé, parfois énervant, celui qui « avait monté les Français les uns contre les autres ». Il s’agissait aussi pour le socialiste d’essayer de mettre fin à une crise, celle de 2007-2010, provoquée par l’éclatement de la bulle immobilière due à des prêts hypothécaires à risque, les fameuses subprimes.

La France à contre-courant, pour le geste

Dans les deux périodes, la France est à contre-courant des autres pays d’Europe. On dépense quand le reste des pays est dans un processus de maîtrise des dépenses

On est devant la même tentative, vaine il faut bien le dire, de faire de la croissance avec une politique de relance par la consommation. Cela s’est terminé de la même façon en 1983 et en 2014 : par un retour sur terre assez brutal. En 1981, l’État décide l’embauche de 55 000 fonctionnaires ainsi  qu’une hausse de 10% du SMIC. En 2012, le gouvernement Ayrault veut créer 60 000 postes d’enseignants et 100 000 contrats aidés, qui seront effectivement pourvus, avec des résultats pour le moins inégaux. Selon la règle tacite bien connue en France, plus on dépense d’argent sur un secteur, moins le domaine en question fonctionne. Les banlieues s’en souviennent encore.

Dans les deux périodes, la France est à contre-courant des autres pays d’Europe. On dépense quand le reste des pays est dans un processus de maîtrise des dépenses. La hausse des revenus entraîne celle de la consommation. Cependant, en 1983, le résultat de ces mesures se traduit par une inflation galopante (plus de 13%). Conséquence attendue, le gouvernement socialiste décide de dévaluer sa monnaie – à trois reprises en moins de 2 ans – pour essayer de ramener les prix à un niveau raisonnable, et tenter d’améliorer sa compétitivité. L’inflation est contenue, mais pas le déficit commercial, car le Français moyen, quand son pouvoir d’achat le lui permet, n’achète pas français, car les produits dont il a besoin ne sont plus guère fabriqués sur le territoire national.  

Ainsi, à trois décennies d’écart, le discours n’a pas vraiment changé. Il y a 30 ans, c’était Jacques Delors, alors ministre des Finances, qui exhortait vainement la population à acheter français pour faire marcher l’appareil de production : « Et c’est pour cela que, même en ce qui concerne leurs dépenses à l’étranger, nous leur demandons un effort pour que chacun soit conscient qu’aujourd’hui, le plus important, c’est d’acheter français, d’acheter des produits français, d’acheter des services français. »

Aujourd’hui, c’est un nouveau ministre de l’Économie, Arnaud Montebourg, enjoignant lui aussi le peuple d’acheter français, qui traite aussi les patrons de menteurs (sic). Dans le dossier Alstom, il  prouve à lui seul que la France n’a plus de politique industrielle, contrairement à nos concurrents, allemands par exemple. Notre Don Quichotte m’as-tu-vu joue les ventilateurs grandiloquents lorsqu’il est trop tard pour intervenir. On confond action et activité, comme souvent en France. Un schéma classique, devenu tragique.

L’austérité, quelle austérité ?

Si la France se singularise en Europe par l’augmentation constante de la proportion des dépenses publiques dans le PIB, c’est que cette tendance lourde révèle des préférences politiques et même culturelles des Français.

Les mots ont un sens, mais depuis trop longtemps, ils semblent servir à légitimer une position politique plus qu’à mettre en place des actions concrètes. Ici, la rigueur ou l’austérité pour les gouvernements successifs, c’est d’abord augmenter moins vite les dépenses, augmenter moins vite les déficits. Autrement dit, l’exact opposé de ce que signifie ce mot. Mais revenons en arrière.

La dépense publique n’a pas baissé après 1983, 45%, pour atteindre 57 % du PIB en 2013. Ainsi, celle-ci a augmenté beaucoup plus vite que la richesse nationale. Ceux qui proclament que les gouvernements successifs ont depuis fait de la casse sociale possèdent une vision pour le moins embuée de la réalité économique. Si la France se singularise en Europe par l’augmentation constante de la proportion des dépenses publiques dans le PIB, c’est que cette tendance lourde révèle des préférences politiques et même culturelles des Français. Personne ne veut véritablement accepter qu’après avoir trop donné, l’État doit commencer à reprendre. Le pari avait été tenté en Suède dans les années 1990, et semble avoir réussi.

Ainsi, comme en 1983, les prétendues économies de Valls, extrêmement vagues au demeurant, sont aussi des impôts déguisés. Car simplement, une véritable baisse des dépenses publiques devrait se traduire par des baisses d’impôts. Or, si l’on se penche sur les mesures de notre Premier Ministre, le « gel » des prestations familiales et des pensions de retraite ne sont pas des économies de dépenses publiques, mais un supplément d’impôts sur les personnes physiques qui perçoivent ces prestations et une charge de plus sur les retraités en annulant la revalorisation de pension. Imaginez que vous ayez cotisé à plein pour votre retraite, et que, sans prendre en compte votre participation financière contrainte au système social, on décide de vous la diminuer.

50 milliards : le chiffre est beau, passe bien à la caméra, mais si on n’a aucun élément concret pour l’étayer, il peut vite devenir un boulet.  L’argumentation par le chiffre est contre-productive si ceux-ci sont lancés comme des os à ronger pour le journaliste en manque de scoop.

Cela évite aussi de parler de l’épicentre du problème. Le système des retraites est à l’agonie. Dans une sorte de pyramide à la Madoff où des Français, qui aujourd’hui financent la retraite de leurs parents, avec de l’argent dont ils ne verront sans doute jamais la couleur. La pyramide de Ponzi consiste en effet à payer les anciens investisseurs avec les fonds apportés par les nouveaux, jusqu’à ce que l’escroquerie se dévoile au grand jour. C’est non seulement ce qui se passe avec les intérêts de la dette, mais aussi avec les retraites. Et ce sont les jeunes générations qui en paieront le prix fort.

Passons sur le fait qu’en 2012, le RSA a été revalorisé, et les allocations à l’endroit des familles nombreuses sous le seuil de pauvreté majorées de 50 %, pour maintenir les gens dans une pauvreté subventionnée : la médiocrité est encouragée, le clientélisme assumé. Le but est-il de sortir les gens de la pauvreté ou de les y maintenir ? La question reste en suspens.

Du laisser aller à l’indignation institutionnelle

Concrètement, si l’on réduit les déficits, l’impôt payé servira effectivement à pérenniser, voire optimiser notre système social. Il n’en est rien.

Un élément important qui diffère entre les deux périodes est celui du niveau de la dette. Celle-ci s’élevait à 26% du PIB en 1983, pour atteindre 93.5% du PIB en 2013, soit une augmentation de 350%. Ainsi, aujourd’hui, l’impôt sert à payer les intérêts de la dette, et on est en droit de se demander ce que font nos leaders politiques. Pour l’instant, les quelques 60 milliards d’euros d’impôt sur le revenu perçus par l’État sont, dans leur quasi totalité, directement transférés aux banques privées et autres créanciers institutionnels étrangers. Ces derniers se pressent d’ailleurs pour acheter de la dette française, tant ils sont sûrs que les impôts seront payés en temps et en heure.

Il n’y a guère que les mélenchonistes et autres sommités de gauche pour nous dire que la dette n’est pas le plus important. Que l’on aurait besoin d’un déficit chaque année pour avoir de la croissance. Certes. Sauf que ces déficits couvrent des dépenses de fonctionnement, et non l’investissement pour l’avenir. Si ceux-ci étaient traités, on pourrait conserver des prestations sociales, augmenter le SMIC sans emprunter. En clair, gérer le pays de manière à ce que tout le monde puisse bénéficier de services publics de qualité, une promesse de gauche en somme. Concrètement, si l’on réduit les déficits, l’impôt payé servira effectivement à pérenniser, voire optimiser notre système social. Il n’en est rien. En pompiers pyromanes, à droite comme à gauche, ils lancent des incantations sans fondement.

Au final, la fable du changement a encore réussi à tromper les Français qui ont caressé l’idée sincère de voter pour François Hollande. On aura évidemment un aréopage de politiques pour nous dire qu’ils ne sont pas responsables. Alors, qui blâmer ? Accepter ses responsabilités est le premier pas vers l’âge adulte : nos leaders politiques restent de grands enfants, accrochés à leur smartphones. Plus prompts à tweeter qu’à élaborer des lois importantes, qui aideront leurs concitoyens.

De tout cela, subsiste l’indignation de nos gouvernants, inaugurée sous Sarkozy avec des lois « faits divers », en général ce qui reste lorsqu’il n’y a plus aucune alternative viable. Aujourd’hui, des lois « sociétales », qui ne servent à rien, en cela qu’on pourrait s’en passer. Quant aux éléments vitaux d’une politique efficace à long terme, tels que l’amélioration de la compétitivité, la simplification des aides à l’investissement, l’allègement des effectifs de l’État pour effacer les doublons administratifs, ils ne sont jamais évoqués.

Ça n’est pas anodin que le candidat victorieux de 2012 ait pu mener une campagne sans évoquer une baisse des dépenses, en claironnant une hausse d’impôts, mais pour les riches, donc illusoire. Soulignons à ce propos que la taxe des 75% n’est toujours pas en place. Rien ne change, tout se transforme, pour le pire. Hugo nous disait, lors de son exil, « Lorsque je vois les hommes d’État, je crois à la décadence, et lorsque je vois la nation, je crois au progrès ». Espérons qu’un jour, les Français se réveillent de ce cauchemar. S’ils y parviennent, ils ne le devront qu’à eux-mêmes, car les gens qui nous gouvernent ne sont plus dignes de confiance, ni des palais qu’ils occupent.

Espérons qu’un jour, les Français se réveillent de ce cauchemar. S’ils y parviennent, ils ne le devront qu’à eux-mêmes, car les gens qui nous gouvernent ne sont plus dignes de confiance, ni des palais qu’ils occupent.

 Rémi Loriov

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Rémi Loriov

Rémi Loriov est un homme libre qui s'intéresse à tout. On dit souvent à son propos : "personne ne sait ce qu'il fait, mais il le fait très bien." Il aime les histoires.

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