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Voici maintenant un mois que le football a repris les chemins du filet partout en Europe, pour le plus grand plaisir des supporters, mais aussi pour celui de ses diffuseurs, BeIn Sport et Canal+ en tête.

Le groupe Qatari peut s’enorgueillir de détenir à lui seul les droits des plus prestigieux championnats européens : la Liga en Espagne, Le Calcio en Italie, la Bundesliga allemande et, dans une moindre mesure, la Ligue 1. Une seule manque à l’appel, la Premier League anglaise. Et pour cause, les droits appartiennent depuis maintenant 6 ans à Canal+.

Dès lors, pour le groupe le message est clair, au revoir les matchs Caen-Lorient ou Nice-Toulouse, et place au véritable football.

Devant l’omnipotence footballistique de BeIn sport, nul doute que la chaîne, pour qui le football fut avec le porno du samedi soir sa marque de fabrique pendant plus de 10 ans, devait trouver la parade à la désertion de leurs caméras sur toutes les pelouses de France ou presque. Une solution s’impose alors, racheter les droits du championnat le plus attractif du monde, la Premier League anglaise. La contre-attaque fut menée avec rapidité et un gros chèque. Quand, en 2009, Canal+ déboursait « seulement » 23 millions par saison pour obtenir les droits de retransmission, elle casse sa tirelire en 2013 et obtient de nouveau les droits pour près de 70 millions par saison, soit le triple. Dès lors, pour le groupe le message est clair, au revoir les matchs Caen-Lorient ou Nice-Toulouse, et place au véritable football. Que l’on parle de Manchester, Arsenal, Aston Villa ou Newcastle, les clubs anglais développent, selon ses spécialistes, le plus spectaculaire, le plus beau, voire le plus technique des championnats. Autant de superlatifs qui laissent pantois.

La renaissance du foot anglais

Retour en arrière. Fin des années 80, le football anglais est en lente et constante déperdition. Qu’il s’agisse d’influence, de recettes, de la salubrité des stades ou encore de victoires dans les coupes européennes, les clubs anglais sont supplantés par leurs voisins italiens et espagnols. Les instances nationales doivent aussi faire face au mouvement Hooligan qui gangrène alors tous les stades d’outre-manche depuis plus de 10 ans et qui aura pour ultime conséquence le drame du Heysel ou la tragédie d’Hillsborough. Dès lors, des décisions sont prises dans tous les clubs : la sécurité renforcée avec la mise en place de la vidéo, le moindre faux pas d’un spectateur est sanctionné d’un bannissement de stade à vie et le prix des places est multiplié par trois afin de freiner les ardeurs des supporters les plus acharnés.

Les droits TV contribuent pour beaucoup au rayonnement de clubs mythiques que sont Manchester United et Liverpool mais aussi aux clubs au prestige bien moindre tels que Watford ou Stoke City.

Exit la Football League First Division et place désormais à la Premier League. Aujourd’hui le gazon des stades anglais est plus vert qu’ailleurs, et la refonte de son championnat couplé à une diffusion massive partout dans le monde permettent aux clubs britanniques d’êtres parmi les plus riches et les plus attractifs du globe. Quid de cette manne financière ? Elle s’articule autour de la retransmission des droits télé ainsi que de leur répartition à parts égales auprès de tous les pensionnaires du championnat anglais. Adjugés en 2015 pour près de 9 milliards d’euros aux opérateurs anglais Sky et BT, les droits TV contribuent pour beaucoup au rayonnement de clubs mythiques que sont Manchester United et Liverpool mais aussi aux clubs au prestige bien moindre tels que Watford ou Stoke City.

L’escroquerie du label « Made in England »

Canal +, c’est le Barça de la télévision : « Mes que une chaîne ».

Désormais, il incombe à tous les diffuseurs de porter la bonne parole. En France la lourde tâche repose sur les épaules de Canal+ et, si la chaîne cryptée a vécu l’exode de ses abonnés vers BeIn suite à la perte des droits de la ligue 1, elle met les bouchées doubles pour attirer les puristes du ballon rond. Ceux qui savent. Un large temps d’antenne est alloué aux matchs de Premier League. Que l’on diffuse Manchester ou Watford, la confrontation labellisée « made in England » se doit d’être vue. Qu’importe le match pourvu qu’on ait Pierre Menes. Le papier cadeau n’a rien à envier au contenu : on sort du placard David Ginola, ancien pensionnaire de la ligue anglaise reconverti dans le mannequinat et médiocre présentateur, on surfe sur la langue de Shakespeare, qui se conjugue au temps simple du hashtag. Le « Match Of The Day », l’équipe du dimanche, ou encore les Spécialistes, la plupart des émissions consacrées au football sonnent à l’heure anglaise. La logique économique du groupe Canal visant un retour sur investissement est légitime, pourtant l’image qu’elle renvoie du football anglais et de ses concurrents européens l’est moins.

Canal+, c’est le Barça de la télévision : « Mes que une chaîne ». Son impact sur la culture française au cours des années 90 fut sans pareil, et celui sur le ballon rond ne fit pas exception. Les grands formats proposés par Pierre Sled puis Thierry Gilardi durant la grande époque de l’Équipe du dimanche forgeaient la culture foot, et avec elle le spectateur contemplait les épopées de l’AC Milan d’Arrigo Sacchi, la « Quinta del Buitré » d’un Emilio Butragueño ou encore la Dream Team de Johan Cruyff.

L’hagiographie permanente d’un Grégoire Margotton cache une logique économique qui nuit au championnat anglais.

Aujourd’hui, plus rien, ou presque. Le néo-spectateur de Canal+ désireux de voir sur son écran s’écrire une nouvelle page de l’histoire n’est réduit qu’à celle de Chelsea. Bien maigre consolation pour les plus âgés. Les plus jeunes, véritables porte-paroles dans les cours de récréation font alors rimer football spectaculaire avec Angleterre. L’hagiographie permanente d’un Grégoire Margotton cache une logique économique qui nuit au championnat anglais et au-delà, aux véritables aficionados du football.

Face à la qualité de la pelouse et la débauche de techniques télévisuelles, les esprits sont façonnés et répandent désormais çà et là le discours des journalistes et commentateurs de la chaîne qui affirment en toute objectivité que le meilleur championnat du monde a pour seul et unique nom la Premier League. Et pour cause, il s’agit du seul championnat européen à encore être diffusé sur Canal+. Après tout, les absents ont toujours tort.

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Andrés Rib

Ancien de la Sorbonne. Professeur de Lettres. Aime le Balto, et la Philo.

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