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Frédéric Beigbeder a tellement raconté sa vie, qu’une biographie pourrait être superfétatoire. Et pourtant. Avec talent, Arnaud Le Guern nous raconte son Beigbeder aux éditions Prisma, de ses premiers émois devant les seins de Corinne Cléry jusqu’à son dernier mariage. 

Septembre 2003 : j’entame ma terminale littéraire. Mon si cher (et regretté) professeur de lettres, monsieur Mattéi, un corse aux bras musclés capable de réciter un recueil entier de Victor Hugo, souhaitait comme à son habitude déroger au programme de l’année. Quatre lives à analyser en un an, « Surtout à votre âge » insistait-il avec sa voix brisée par le tabac brun, c’était trop peu. Alors il nous demanda de lire un « livre récent » et de le présenter. Rétif à l’idée de me plonger dans autre chose que le XIXe siècle français, convaincu qu’il ne s’était rien passé depuis, je me suis traîné difficilement jusqu’à une librairie au rayon des nouveautés. Je lis des quatrièmes de couverture, je feuillette. Rien ne semble se rapprocher de Gérard de Nerval. Puis une pile d’ouvrages attire mon oeil de post-ado sûr de lui-même : il est écrit Windows on the World sur la couverture. C’est sur le 11 Septembre. Bon. Je l’entame avec dédain, et finalement j’y passe une nuit forcément blanche. J’ai rendu dans la foulée les meilleures copies doubles de ma vie. 

« Beigbeder m’a fait comprendre qu’il y avait de très bons livres parus depuis Les Misérables. Mieux, j’ai lu Salinger et Fitzgerald encore grâce à lui ».

Si j’emploie la première personne du singulier, c’est parce que nous avons tous un rapport particulier avec Beigbeder. Nos copines l’adorent. Il excite la haine des rustres. On se demande à quoi il sert. Les premiers convertis estiment forcément que « Maintenant il ne fait plus que de la télé et des trucs commerciaux ». Je mets personnellement L’Egoïste romantique tout en haut de la pile, tant la lecture de ce vrai-faux journal m’a bouleversé.

Beigbeder m’a fait comprendre qu’il y avait de très bons livres parus depuis Les Misérables. Mieux, j’ai lu Salinger et Fitzgerald encore grâce à lui. Alors que je m’ennuyais en cours d’ancien français, je lisais ses aphorismes sous la table. J’avais saisi cette compréhension instinctive que Beigbeder a de notre époque, qu’il s’en savait une incarnation possible et qu’il était le premier à en rire. 

Moi social et moi profond

Ce qu’Arnaud Le Guen assume au fil de ces pages, c’est une forme de biographisme que la critique dédaigne depuis le Contre Sainte-Beuve de Proust. La vie de Frédéric peut en effet expliquer une partie de l’oeuvre de Beigbeder. Ses amours, son ancien travail de publicitaire, ses débauches, ses espoirs. Ses innombrables cuites. Tout est insensé mais finit par faire sens malgré tout. Son « moi profond », pour reprendre les catégories proustiennes, n’est pas très éloigné de son « moi social ». L’agité qui présentait le cultissime HyperShow n’est jamais très loin du faux rebelle ivre qui finit ses Vacances dans le coma

Lorsque j’ai présenté mon sujet de thèse à une grande ponte de la Sorbonne, « spécialiste en littératures contemporaines », elle m’avait ri au nez. « Mais enfin monsieur, une thèse sur Beigbeder ce n’est pas sérieux ». Et pourtant tout était déjà prêt : une partie sur « L’ironie comme fonction réflexive et romanesque », une autre sur « La pluralité du moi fictionnel » et une dernière sur « Le thème de l’Apocalypse ». N’est pas mon cher monsieur Mattéi qui veut. J’ai fini par écrire sur Balzac.

« Beigbeder nous fait comprendre que la littérature est vitale et que lire est toujours ça de pris ».

Le Guern analyse l’essentiel de ses influences (musicales, cinématographiques, littéraires) et surtout une qui est souvent méconnue : San-Antonio. Qui a tout lu des aventures du commissaire le retrouve en filigranes chez Beigbeder, dans cette manière de voir, sentir et toucher les femmes érigées en absolu d’une part, et dans ce rapport amoureux au langage d’autre part. 

Il faut lire cette biographie mais, avant, il est tout de même nécessaire de lire L’Attrape-coeurs, une ou deux aventures de San-Antonio et tout Fitzgerald. Ensuite, commencer par L’Egoïste romantique, puis Vacances dans le coma et Un Roman français (comme dans l’élaboration d’un cocktail, l’ordre est important) puis de relire L’Attrape-coeurs encore une fois. Oona & Salinger, son dernier roman, vaut également le détour. Beigbeder nous fait comprendre que la littérature est vitale et que lire est toujours ça de pris car, comme il l’indique dans 99 Francs : « La mort est le seul rendez-vous qui ne soit pas noté dans votre organizer ». 

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Julien Leclercq

Fondateur du Nouveau Cénacle et auteur de "Catholique débutant" paru aux éditions Tallandier.

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