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Archi-favori de la primaire des Républicains, François Fillon aura cependant fort à faire pour accéder à l’Elysée.

Cette fois, Alain Juppé se fâche. Et se lâche. Après une campagne « pépère », à baguenauder plus qu’à défendre son projet, la faute sans doute à une avance trop conséquente – et trop prématurée – dans les sondages, le maire de Bordeaux, très en retard face à François Fillon, a décidé de sortir l’artillerie lourde.

L’ancien Premier Ministre de Nicolas Sarkozy est maintenant ringardisé et diabolisé, dépeint comme un suppôt de Civitas, caricaturé tel un enfant de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan. Avec lui, la droite des années fric serait de retour. Par opposition, Alain Juppé, qui ratisse au centre et même à gauche, incarnerait une droite progressiste et moderne. 

De nombreux médias, Libération et le Huffington Post en tête, font campagne pour lui, sans hésiter à grossir le trait, pilonnant François Fillon comme ils ont pilonné Donald Trump, ce qui au vu du résultats de la présidentielle américaine n’est peut-être pas une mauvaise nouvelle pour le Sarthois.

Ce dernier est de surcroît perçu par une nette majorité d’électeurs comme le meilleur rempart au Front National, parce qu’à même de lui siphonner des voix parmi les électeurs conservateurs, parce que représentant d’une droite à la fois traditionnelle et forte qui ne peut qu’avoir le vent dans le dos dans une France sclérosée. Un véritable tour de force pour celui qui était donné pour mort il y a encore un mois, mais qui aura mené une campagne aboutie sans jamais perdre son fil d’Ariane et se sera montré, de loin, le plus convaincant lors des trois débats précédant le premier tour.

La revanche de l’éternel second

François Fillon, lui, ne traîne aucune casserole et cette virginité judiciaire n’est pas étrangère à l’engouement qu’il suscite aujourd’hui.

Premier Ministre parfois traité comme un sous-fifre par Nicolas Sarkozy, puis battu sur le fil pour la présidence de feu l’UMP par Jean-François Copé, au terme d’un scrutin d’une rare indignité, François Fillon tient sa revanche et, peut-être, son grand rendez-vous avec le destin. Il a su tirer profit du rejet que suscite l’ancien chef de l’Etat, quand bien même il est aussi comptable de son bilan, et de la perception négative qu’ont pléthore d’électeurs de droite d’Alain Juppé, souvent perçu comme un « Hollande bis », un « bébé Chirac » trop frileux – et encore traumatisé par les grèves massives de 1995 – pour réformer ce qui doit l’être. Il a par ailleurs bénéficié du fameux vote utile, lequel a joué à plein et a donc réduit Bruno Le Maire, Nathalie Kosciusko-Morizet, Jean-Frédéric Poisson et Jean-François Copé à la portion congrue. 

Plus forte qu’attendu, la mobilisation a elle aussi fait les affaires de François Fillon, de nombreux électeurs de gauche s’étant déplacés pour faire pièce au prédécesseur de François Hollande, tenant d’une ligne dure et qui s’est « trumpisé » au fil de la campagne, une stratégie trop risquée à l’aune des sentiments très exacerbés que suscite la personnalité volontiers clivante de son initiateur, au surplus toujours dans le viseur de la justice, et étant donné la vigueur actuelle du Front National.

François Fillon, lui, ne traîne aucune casserole et cette virginité judiciaire n’est pas étrangère à l’engouement qu’il suscite aujourd’hui. Présidentiable, placide, pondéré et perçu comme un politique à la fois loyal, consensuel et patriote, il voit également son tempérament récompensé. Les ralliements de poids s’étant accumulés depuis dimanche soir, de Nicolas Sarkozy à Bruno Le Maire en passant par ceux de ses anciens soutiens, Laurent Wauquiez ou encore Eric Ciotti, on voit mal comment le Sarthois pourrait perdre devant Alain Juppé, par-delà son réveil tardif.

De nombreux angles d’attaque

En même temps, l’ancien Premier Ministre décevrait sa base, en se gardant d’insister sur les thématiques de l’identité et de la sécurité, à plus forte raison dans un contexte de menace terroriste que les pouvoirs publics n’ont pas su juguler à ce stade, et en ne proposant pas de mesures radicales face à l’islamisme. 

En supposant que François Fillon, toujours crédité d’une très large avance malgré les coups reçus ces derniers jours, remporte bel et bien la primaire face à son aîné, il sera ensuite aux prises avec une concurrence tout aussi féroce. 

La candidature de Marine Le Pen rend inconséquente voire suicidaire une droitisation de son discours, considérant comme acquis depuis 2012 – Nicolas Sarkozy en a fait les frais cette année-là, après avoir phagocyté les voix du fondateur du FN cinq ans auparavant, et pas plus tard que dimanche – que l’électeur est enclin à préférer l’original à la copie. En même temps, l’ancien Premier Ministre décevrait sa base, fût-elle élargie depuis peu, en se gardant d’insister sur les thématiques de l’identité et de la sécurité, à plus forte raison dans un contexte de menace terroriste que les pouvoirs publics n’ont pas su juguler à ce stade, et en ne proposant pas de mesures radicales face à l’islamisme. 

François Fillon devra sans doute également apparaître plus moderne, tout en ménageant là aussi son électorat. Même si Alain Juppé rentrera sans doute dans le rang, la gauche dans son ensemble, de Jean-Luc Mélenchon à Emmanuel Macron, ne se privera pas, en effet, de continuer à brocarder ses positions sociétales, arguant de ses refus passés de l’IVG, du PACS et de sa volonté de réécrire la loi Taubira pour « réexaminer » (de façon non rétroactive) les règles de la filiation. Sans parler de sa vision de la colonisation, qui a fait grincer bien des dents, du peu de cas fait à la cause écologique et de sa « nucléarophilie », suffisamment marquée pour qu’il soit opposé à la fermeture de la très controversée centrale de Fessenheim.

Autre angle d’attaque, plus important encore que sa russophilie avérée : son programme résolument libéral, qui va de la suppression de la bagatelle de 500 000 postes de fonctionnaires – un objectif dont Alain Juppé n’a de cesse de dire qu’il est irréaliste – à celle de la « référence aux 35 heures, avec la possibilité de pousser le temps de travail hebdomadaire jusqu’à la limite des 48 heures, en passant par une volonté générale de contourner les syndicats et de faciliter les licenciements.

Il faudra quoi qu’il en soit compter sur le Front National, qui redoute François Fillon, mais a fait du protectionnisme l’un des socles de son idéologie, pour prendre ces mesures à la gorge. A 5 petits mois du premier tour, Marine Le Pen dispose actuellement d’un espace certain pour choyer des classes populaires largement délaissées durant les débats de la primaire. Il appartient à François Fillon de leur parler lui aussi, et de faire montre de pédagogie et de souplesse afin de limiter au maximum le parti que pourront tirer les extrêmes de ces oubliés silencieux de la croissance. 

Des oubliés qui pourraient peut-être, comme cela s’est produit outre-Atlantique, faire basculer l’élection au profit d’une candidate qui n’incarne pas cet establishment que les électeurs sont de plus en plus nombreux, partout dans le monde, à vouloir éliminer… 

 

Guillaume Duhamel

Guillaume Duhamel

Journaliste financier originellement spécialisé dans le sport et l'écologie. Féru de politique, de géopolitique, de balle jaune et de ballon rond. Info plutôt qu'intox et intérêt marqué pour l'investigation, bien qu'elle soit en voie de disparition.

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