share on:

Cinq ans après Un Roman français, Frédéric Beigbeder est de retour en cette rentrée littéraire avec Oona & Salinger (aux éditions Grasset), roman sur l’histoire d’amour entre Oona O’Neill et Jerry Salinger sur fond de deuxième conflit mondial.

Frédéric Beigbeder divise la critique, et à raison, parce qu’il lui prête volontiers le flanc. Il cultive, selon le précepte nietzschéen, ce qu’on lui reproche parce qu’au final il s’agit de ce qu’il est. Oui, Frédéric Beigbeder est un éternel adolescent mégalomane qui aime passer à la télévision. Oui, Frédéric Beigbeder est un pseudo-dandy qui écume les bars de Saint-Germain et se vautre dans l’hyperfestif moderne. Oui, Frédéric Beigbeder est le sujet principal des livres de Frédéric Beigbeder.

Oona & Salinger est une réussite, tant sur le plan stylistique que sur le projet d’écriture en lui-même.

Par conséquent, jamais il ne parviendra à se mettre ses contempteurs dans sa poche YSL tout comme il ne réussira jamais à résoudre ses contradictions, est-il cinéaste, écrivain, présentateur télé, DJ ? Rien de tout cela, diront les mauvais esprits.

Au secours, pardon et Un Roman français furent des déceptions. Récits trop déstructurés, histoires qui sentaient trop le réchauffé (les cuites, le complexe familial originel, les aphorismes de piètre qualité) et manque de verve : Beigbeder a failli devenir Modiano et ne réécrire que le même livre jusqu’à la fin de ses nuits. Mais Oona & Salinger est une réussite, tant sur le plan stylistique que sur le projet d’écriture en lui-même.

Frédéric Beigbeder, la quête de l’éternel Salinger

Oona & Salinger est un roman qui décrit la passion du futur auteur de L’Attrape-coeurs pour la jeune Oona, fille d’Eugene O’Neill, dramaturge américain. Nous y retrouvons cette Amérique fantasmée d’avant-guerre, avec ces jeunes filles en robe blanche qui vont danser dans les clubs branchés de New York en sirotant des Vodka / Martini et en rigolant comme des pestes aux blagues de Truman Capote. Le jeune couple se confronte ensuite à l’Histoire, Jerry part libérer la France tandis qu’Oona rencontre Chaplin qui la demandera ensuite en mariage. S’ensuit une profonde détresse du jeune écrivain qu’il ne parvient pas à dissiper durant le carnage du Débarquement.

Le regard de Beigbeder sur notre monde est un regard cynique, non pas simplement ironique

Salinger est l’écrivain qui a le plus marqué Frédéric Beigbeder. Lors de la sortie d’Au secours pardon, il ne fit pas de promotion de son livre, se borna à expliquer qu’il imitait son maître reclus dans sa forêt avant de très vite retomber dans les méandres de la société du spectacle. Les différents masques de Beigbeder (Oscar Dufresne, Marc Marronnier, Octave Parango, voire Beigbeder lui-même en tant que personnage), ne sont que des tentatives de narration de ce que serait aujourd’hui Holden Caufield perdu dans Paris. Il n’y a nulle complaisance, que ce soit dans Vacances dans le coma ou dans son chef d’oeuvre L’Egoïste romantique, pour la modernité, la fête, l’alcool, la décadence, la superficialité. Le regard de Beigbeder sur notre monde est un regard cynique, non pas simplement ironique – selon l’acception convenue du terme – mais distant, légèrement provocateur, pour ne pas dire désespéré. Beigbeder, c’est Diogène au VIP Room, prononçant ses sentences et ses aphorismes sur la condition humaine. Il incarne parfaitement la paratopie chère à Dominique Maingueneau, c’est-à-dire cette figure de l’auteur qui a un pied dans le réel et un autre ailleurs,  et qui souffre de cette fracture.

Comme l’attrapeur de seigles, il refuse de grandir, de se plier aux conventions des adultes et regrette le matérialisme ambiant mais à l’inverse de son auteur fétiche, il refuse de se retrancher du monde. Il se sait esclave d’un système glorifiant l’image, alors il en joue, quitte à provoquer l’ire de ses détracteurs. Ce roman est touchant parce qu’il se confronte enfin à sa figure tutélaire, mesure à la fois ce qui l’en sépare et ce qui l’en rapproche ; il retrace ce que Jerry a vécu pour le mettre en parallèle avec son existence propre, et cette quête de Salinger explique l’ensemble de son oeuvre. Celui qui ignore que Beigbeder songe très fort à Holden Caufield en roulant des pelles à Saint-Tropez n’a pas saisi la substantifique moelle de ses romans.

Frédéric Beigbeder et la mise en scène de son écriture

Beigbeder se définit en dehors du champ du champ conventionnel des écrivains

Confronté au mutisme de l’écrivain et au refus de sa famille de communiquer ses écrits intimes, Beigbeder a été contraint d’imaginer les lettres, les conversations et les ressentis de Salinger. Ainsi, comme dans Windows on the world où il imagine les derniers instants d’une famille coincée dans les tours du World Trade Center, il se met à la place de ses personnages et nous livre l’aventure de son écriture.

Lors d’une étreinte entre Oona et Jerry, il écrit « Je suppose qu’un romancier professionnel décrirait ici le paysage océanique les entourant, et le vent, et les nuages, les pelouses couvertes de rosée, mais je ne le fais pas ». Par-delà la maîtrise de la prétérition, Beigbeder se définit en dehors du champ du champ conventionnel des écrivains, à travers une formule qui n’est pas sans renvoyer aux fulgurances de San-Antonio.

Il fait partie de ces « troubadours » qu’il décrit à la fin du roman, « qui allaient chercher le malheur en dehors de chez eux » et le restituent en feignant l’illégitimité et l’incapacité de faire mieux. Il se met en scène à travers le récit autofictionnel, mais il théâtralise également son écriture et cette mise en abyme est fondamentale de son oeuvre.

A travers Oona & Salinger, Beigbeder ne fera pas taire les critiques à son égard, car il persiste dans le « Je » et dans la confession intime. Mais ce livre est avant tout un retour à ce qu’il sait faire de mieux, à savoir capter la complicité du lecteur pour lui raconter une histoire, le tout saupoudré de formules toujours aussi savoureuses.

On a retrouvé Frédéric Beigbeder.

PS : Qu’il soit permis à l’auteur de ces lignes de lui rappeler cette phrase murmurée à son oreille il y a quelques années, très tard, dans un club parisien : « Frédéric, je me sens tout con devant toi, c’est comme si toi tu parlais à Salinger ». 

mm

Julien Leclercq

Fondateur du Nouveau Cénacle et auteur de "Catholique débutant" paru aux éditions Tallandier.

Laisser un message