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François Hollande parlait le 16 Août 1944 de la « dette que la France avait envers l’Afrique ». L’occasion pour nous de nous interroger sur la pertinence de tels propos et de resituer, historiquement parlant, le contexte et les causes de la colonisation. C’est sans doute un phénomène de notre temps et, peut-être lié à une certaine gauche morale, que de vouloir culpabiliser la France sur un phénomène que l’on qualifierait aujourd’hui de monstrueux.

Mais n’est-ce pas là un dangereux anachronisme ? En faisant fi du contexte de l’époque, de la mentalité des Européens et des tendances culturelles qui faisaient consensus au XIXème siècle, nous nous condamnons peut-être, en permettant la pluralité des lectures historiques (alors que l’Histoire est Une et Universelle), à une balkanisation de notre pays : le communautarisme à son plus haut point.

Il est possible de comprendre les causes de la colonisation en ayant une lecture critique du discours du 28 Juillet 1885 de Jules Ferry. Bref rappel sur l’homme : antimonarchiste, républicain, député et ministre de l’Instruction Publique, père de l’école publique, laïque et obligatoire. En résumé, un républicain et un homme de gauche.

La colonisation, des causes humanitaires et morales

Le terme humanitaire tel qu’il est compris par Jules Ferry et bien d’autres intellectuels de l’époque se base sur une argumentation allant de Voltaire à l’Anglais Kipling (l’auteur du Livre de la Jungle) en passant par le déifié Victor Hugo.
Il y a d’abord l’idée qu’il existe des races inférieures et supérieures, formulée d’abord par Voltaire en remettant en cause le récit biblique de la Création et en constatant les inégalités de développement à travers le monde.

Ainsi :

«Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai! Il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis à vis des races inférieures parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont un devoir de civiliser les races inférieures.» (J.F. 28/7/1885)

Du même : «Si nous avons le droit d’aller chez ces barbares, c’est parce que nous avons le devoir de les civiliser » (à la Chambre des Députés du 27 mars 1884)  et en 1891 : « La race supérieure ne conquiert pas pour le plaisir, dans le dessein d’exploiter le faible, mais bien de le civiliser et de l’élever jusqu’à elle ».

 Victor Hugo allait dans le même sens le 18 Mai 1879, à l’occasion d’un banquet commémoratif de l’abolition de l’esclavage : «Allez, Peuples ! Emparez-vous de cette terre. Prenez là. A qui ? à personne. Prenez cette terre à Dieu. Dieu donne la terre aux hommes, Dieu offre l’Afrique à l’Europe. Prenez-la. Où les rois apporteraient la guerre, apportez la concorde. Prenez-la, non pour le canon, mais pour la charrue; non pour le sabre, mais pour le commerce ; non pour la bataille, mais pour l’industrie; non pour la conquête, mais pour la fraternité. (Applaudissements prolongés)»

Au delà de ces figures et de nos frontières nationales, ce discours a perduré dans le temps (Albert Bayet, radical et membre de la Ligue des Droits de l’Homme, en 1931, tenait un discours semblable) et a même été plus européen que Français (Kipling titrera son poème Le fardeau de l’Homme Blanc vantant les mérites du colonialisme).

Les causes économiques et sociales de la colonisation

On peut aborder ces causes de trois manières : d’abord il y a à cette époque un trop-plein démographique, puis un besoin d’exportation des capitaux et des marchandises. Mais le problème économique posé par la colonisation restera la question des ressources naturelle.
L’immigration européenne colonisatrice permet en effet d’envoyer outre-mer pauvres et miséreux en leur garantissant un «asile» (refuge, droit au logement) et  un travail (insertion sociale) notamment en leur donnant une terre à cultiver.

J. Ferry : « La première forme de la colonisation, c’est celle qui offre un asile et du travail au surcroît de population des pays pauvres ou de ceux qui renferment une population exubérante.»

V. Hugo : «Versez votre trop-plein dans cette Afrique, et du même coup résolvez vos questions sociales, changez vos prolétaires en propriétaires»

La colonisation coïncide de plus avec la révolution industrielle, le développement du capitalisme, industriel, commercial et financier, avec ses périodes de  très forte croissance et de ralentissement de la croissance (notamment 1873-1893). Le marché devient ainsi mondial (1ère mondialisation), et la concurrence est vive entre les pays occidentaux qui commencent de coloniser. Lénine publie à ce titre en 1916 un livre intitulé  L’impérialisme stade suprême du capitalisme, et autant dire qu’il n’a pas, dans les faits, tort : « Les colonies sont pour les pays riches un placement de capitaux des plus avantageux. […] Dans la crise que traversent toutes les industries européennes, la fondation d’une colonie, c’est la création d’un débouché. » J. Ferry

Quant aux ressources naturelles, elles sont divisibles en deux catégories : soit il s’agit de produits tropicaux et coloniaux qui ne peuvent être produits en métropole (à l’image du caoutchouc) et qui déséquilibrent la balance commerciale puisqu’il faut les importer, intra-empire dirait-on ; soit il s’agit de produits agricoles type céréales, viande et textiles pouvant concurrencer dangereusement (car produits à des coûts beaucoup plus faibles) les producteurs métropolitains.

La droite de l’époque fera longuement campagne à ce sujet mettant en avant les errances économiques (plus que sur le principe même) de la colonisation.

Des causes militaires et politiques

Première cause : les besoins grandissants de la Marine en charbon et en matières premières : il fallait de quoi répondre aux nouveaux enjeux technologiques, notamment le passage de la voile à la vapeur comme mode de propulsion. Les colonies offraient ainsi des bases et abris solides pour permettre aux flottes de s’abriter et de faire escale.

Ceci permettant ainsi d’affirmer, et c’est la deuxième cause, la puissance politique. Le chancelier allemand Hohenlohe de 1894 à 1900 déclara ainsi « Il n’y a pas de grande puissance sans colonies ». La colonisation est une conséquence directe de l’affirmation des nations et des nationalismes européens. Alors que la colonisation, contrairement à ce que l’on peut entendre parfois, n’a pas nécessairement nourri le nationalisme : on parle ainsi de « nation prolétaire » (Enrico Corradini) en Italie, pays qui n’avait que très peu de colonies.

Et Jules Ferry de refuser «le grand chemin de la décadence» et préférer celui de la grandeur nationale par la colonisation.


La décolonisation et l’éternelle pénitence universelle

Posons d’abord la question de l’évolution des attitudes des colonisés et des colonisateurs, car celle-ci est essentielle, et (malheureusement) complexe. Il y a d’abord une fascination : celle-ci est liée à l’avance technique, médicale et sociale des colonisateurs. Malgré des conquêtes difficiles (Algérie notamment), les colonisés imitent le colonisateur sans protester contre les excès qui débutent dès les premières années de la colonisation. On apprécie l’ordre établi, la possibilité de l’ascension sociale (grâce aux armées d’Afrique notamment), l’amélioration des conditions de vie etc. Cette réaction de fascination va de pair avec la  mission civilisatrice des Européens et de leur bonne conscience.

Ces positions évoluent pourtant avec le temps, au fur et à mesure que certains européens (notamment intellectuels) dénoncent la cruauté des administrations coloniales : ils sont pour la plupart catholiques et socialistes. (cf. André Gide, Voyage au Congo, 1927).

Néanmoins les années 1920 et 1930 marquent l’intérêt pour l’art « nègre », la cuisine orientale », avec comme point d’orgue l’immense succès l’Exposition coloniale de 193 1et sa pléiade de zoos humains. La question coloniale ne se pose pas, puisqu’une majorité de Français (et de jeunes Français) estime que la France peut être fière de son œuvre coloniale.

Paradoxalement, la production d’élites indigènes à l’image d’Ho Chi Minh ou de Bourguiba a permis l’élaboration de mouvances nationalistes et indépendantistes dans les colonies. Mais c’est surtout la deuxième guerre mondiale qui agira en élément déclencheur de la décolonisation : remise en question des puissances européennes, droit des peuples à disposer d’eux-mêmes affirmé par les Etats-Unis etc.
La décolonisation est un phénomène complexe, au même titre que la colonisation.

Dès lors, on peut s’interroger sur la pertinence des excuses de nos hommes politiques, qui, ne cessent de demander à la France une forme de culpabilité de ce qu’elle a pu faire dans le passé.
Lors du procès de Nuremberg s’est posée la question de la responsabilité collective des Allemands dans les crimes commis par les Nazis : la réponse fut « Pas de responsabilité collective ».
Sans faire de parallèle (ça n’aurait aucun sens historique), peut-on demander aux générations actuelles et futures qui n’ont en rien connu la colonisation, de culpabiliser pour ce qui a été fait dans le passé ? Pourrait-on demander aux Radicaux de s’excuser en permanence pour avoir inventé le colonialisme en France ?
Rendre hommage aux soldats des armées d’Afrique, tel que l’a fait François Hollande, était une bonne chose en terme de justice, car ils ont, au même titre que les Américains, Britanniques et soldats du Commonwealth, combattu sur notre sol. Cependant, c’est un bon grain au milieu de l’ivraie.
Même la formulation présidentielle de « dette envers l’Afrique » gêne, car c’est une manipulation de l’Histoire : nous sommes tous reconnaissants de leur sacrifice, du sang versé, mais devrions nous nous estimer redevable, parce que nous les avons colonisés ?

Nous pouvons élargir ce propos : la discrimination positive, telle qu’elle est notamment pratiquée aux Etats-Unis et tend à l’être en France, est une réparation de l’Histoire. Autrement dit, nous culpabilisons des actes commis par nos ancêtres, au nom de vertus morales et universelles, et desquels nous devrions faire pénitence : à quand une réparation pour la conquête romaine de la Gaule ?
Si nous comprenions plus nos erreurs en adoptant une posture critique (et non accablante) de la colonisation, c’est-à-dire en isolant les causes et le contexte du phénomène, nous cesserions de nous jeter des fientes au visage. Et Camus de résumer magistralement cette pensée :

«S’il est bon qu’une nation soit assez forte de tradition et d’honneur pour trouver le courage de dénoncer ses propres erreurs… Elle ne doit pas oublier les raisons qu’elle peut avoir encore de s’estimer elle-même. Il est dangereux en tout cas de lui demander de s’avouer seule coupable et de la vouer à une pénitence universelle. C’est en fonction de l’avenir qu’il faut poser les problèmes sans remâcher interminablement les fautes du passé»


Il n’y a rien d’autre à ajouter.

HENRY WOTTON

Sources et Annexes :
– Cours E.P
– Histoire du Peuple Français, Volume 4,  Georges Duveau

Annexe 1 Jules Ferry et la colonisation
Annexe 2 Victor Hugo et la colonisation

 

Rédaction

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Rédacteur depuis Mars 2014

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