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Portrait du grand vainqueur de la primaire de la droite et, peut-être, du futur président de la République française.

Les traits se sont indéniablement creusés. Les cheveux ont grisonné et les rides se sont installées. Le poids des années, et surtout parce que Matignon est un enfer, comme l’a écrit Raphaëlle Bacqué en 2008. Parce que l’ombrageux, l’impulsif, le compulsif Nicolas Sarkozy ne l’a pas ménagé. Trop sans doute pour que monsieur loyal ne finisse pas, une fois la défaite consommée, et avec le sentiment du devoir accompli, par s’affranchir de son écrasante tutelle et s’émanciper.

Le tandem qu’il a formé avec lui, par-delà des différences majeures de tempérament et de vision, n’en a pas moins fonctionné, bon an mal an, pendant un quinquennat entier. Cinq années au cours desquelles la France a dû faire face à deux crises économiques majeures, ce qui a eu pour effet de diluer certaines promesses. Et d’en remettre d’autres aux calendes grecques. 

Ni le pouvoir, ni sa perte, ni les affronts hyperprésidentiels  n’ont toutefois eu raison de sa raie sur le côté, presque une marque de fabrique, particularité capillaire adoptée très tôt, souvent raillée et qui contribue à son image de bon garçon dévoué et reconnaissant. L’homme se veut en fait propre sur lui en toute circonstance, imperméable aux caprices de la météo, impeccable et classique à la fois, entre l’élégance d’un Anglais respectueux des traditions et l’audace contrôlée d’un Italien respectable qui ne renâcle pas à quelque coquetterie.

Il y a aussi, comme pour contrebalancer ce physique de bon père de famille nombreuse à la tête d’une PME prospère, cette passion pour le sport automobile, qui ne l’a jamais quitté et qui a survécu à la mort accidentelle de son frère cadet, en avril 1981, dans un accident de la route alors qu’il avait à peine dix-huit ans. Moins connu est son goût pour les randonnées en montagne et l’alpinisme, qui revêt une symbolique nouvelle pour cet homme qui brigue à présent le sommet de l’Etat.

Ce serait évidemment la consécration suprême pour celui qui fut jadis un adolescent volontiers turbulent – il fut provisoirement exclu du collège privé de Saint-Michel-des-Perrais pour avoir jeté une ampoule lacrymogène en plein cours – et qui a, très tôt, été confronté aux drames de la vie. Outre le décès d’Arnaud Fillon, il a en effet dû faire face, quatre mois auparavant, à celui dont il était l’assistant parlementaire, l’ancien ministre de la Défense Joël Le Theule, victime d’un malaise cardiaque et mort dans ses bras.

Marié depuis trente-six ans à la Britannique Penelope Clarke, rencontrée dans le cadre de ses études de droit et qui lui a donné cinq enfants, l’homme a indéniablement du vécu, fût-il largement ignoré. De la bouteille. De l’expérience. François Fillon a néanmoins aussi, dissimulée derrière une solide carapace de sobriété, une réelle sensibilité, devenue évidente en janvier 2010, lorsque Philippe Séguin, son premier mentor, celui qui lui a transmis la passion de la France souveraine et l’a sensibilisé à la beauté du roman national, s’en est allé à son tour.

Alors le vernis a craqué, alors les larmes ont coulé, face caméra, tout chef du gouvernement dont on exige pudeur et retenue qu’il était alors. Elles ont coulé encore lorsqu’il s’est agi, quelques jours plus tard, de prononcer l’éloge funèbre de l’ancien président de l’Assemblée nationale. L’honneur le plus cruel possible pour le Premier ministre, rendre un hommage public, solennel et poignant à un père spirituel vraiment aimé, nonobstant des désaccords et une quête naturelle d’exister et de s’accomplir seul.

De Philippe Séguin à Nicolas Sarkozy

La trajectoire politique de François Fillon n’est évidemment pas linéaire. Quoique toujours de droite, il n’a pas juré fidélité à un seul homme. D’abord opposé au traité de Maastricht, il est devenu, comme Jacques Chirac avant lui, un Européen de raison. A la toute fin des années 1980, il a en outre pris part, aux côtés notamment des hussards François Bayrou, Michel Barnier, Dominique Baudis et surtout Philippe Séguin, à l’éphémère et peu glorieuse aventure des rénovateurs. Une entreprise mal préparée et mal conduite qui visait à renverser le duopole Jacques Chirac-Valéry Giscard d’Estaing, indéboulonnables chefs du RPR et de l’UDF, mais a tourné au fiasco.

Il lui est revenu à ce titre une responsabilité peu enviable, celle de réformer les retraites, dont le régime général était – déjà – très déficitaire. Une mission à haut risque dans un pays à la propension à l’embrasement légendaire.

D’aucuns se souviennent aussi que le Sarthois a succombé à la tentation balladurienne, l’un de ses rares points communs, au bout du compte, avec Nicolas Sarkozy. La trahison s’est toutefois voulue moins ostensible, ce qui explique au moins en partie pourquoi le successeur de François Mitterrand et ses plus fervents soutiens lui ont pardonné assez vite cet écart de conduite. Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche sous Edouard Balladur, il a hérité en mai 1995 de la fonction de ministre des Technologies de l’information et de la Poste puis est devenu quelques mois plus tard ministre délégué à la Poste, aux Télécommunications et à l’Espace (il a alors mené, avec Alain Juppé, la réforme de France Télécom).

Peu connu du grand public, quand bien même il était le benjamin de l’Assemblée nationale en 1981, François Fillon a en fait accédé pour de bon à la notoriété nationale en 2003, un an après avoir été désigné ministre des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité. Il lui est revenu à ce titre une responsabilité peu enviable, celle de réformer les retraites, dont le régime général était – déjà – très déficitaire. Une mission à haut risque dans un pays à la propension à l’embrasement légendaire. Sous le poids de manifestations monstres, François Fillon a plié et a dû lâcher du lest, mais il n’a pas rompu.

La France a alors découvert un homme à poigne et opiniâtre, peu disposé à ce que la rue gouverne et déterminé à accomplir sa périlleuse mission par-delà les dégâts portés à son image – l’histoire bégaya quelque peu lorsqu’il devint ministre de l’Education nationale et pilota une réforme du baccalauréat qui amena à son tour des centaines de milliers de personnes dans les rues. Beaucoup plus tard, l’opinion apprendra aussi que le Sarthois est épris de reconnaissance. C’est en effet après que sa réforme de l’ANPE et de l’UNEDIC a été récusée par l’Elysée qu’il a commencé à se rapprocher de Nicolas Sarkozy, plus ambitieux que jamais, qu’il n’a pas toujours apprécié, doux euphémisme, mais dont il n’a, au fond, jamais douté qu’il parvienne à ses fins.

C’est peu de dire que François Fillon a beaucoup aidé le maire de Neuilly à atteindre le Graal politique. Par rejet définitif d’une chiraquie qui lui a constamment refusé le poste de la Défense et qui, après le « non » au traité constitutionnel européen en 2005, lui a fermé la porte du gouvernement. Très orgueilleux, le Manceau, qui a estimé avoir payé les pots cassés pour tout le monde, n’a pas oublié. Par stratégie aussi, au regard de la cote de popularité de l’époque d’un Nicolas Sarkozy en mode « bulldozer » et qui se sera révélé suffisamment habile pour incarner la sacro-sainte rupture aux yeux d’une majorité d’électeurs, alors même qu’il était un membre ô combien éminent de l’administration sortante !

En réserve de la République malgré lui, François Fillon s’est mué en directeur précoce de la campagne de l’ennemi juré de Jacques Chirac. Au contact étroit de cette brute politique, il s’est endurci.  Le programme du candidat Nicolas Sarkozy portait largement sa patte, avec une trentaine de propositions retenues sur les deux cents élaborées par les groupes de réflexion qu’il a coordonnés. La victoire du nouveau président Sarkozy a, de facto, également été la sienne, et sa récompense, Matignon, on ne peut plus logique.

Ayant très tôt appris qu’il lui reviendrait de diriger le gouvernement, François Fillon a tout connu lors de ce quinquennat à 200 à l’heure. L’ouverture à gauche, la période « bling bling », la réforme des régimes spéciaux, mais surtout de fréquentes brimades qui sont allées de pair avec une neutralisation de sa fonction sans précédent dans l’histoire de la Ve République. Ouvertement relégué au rang de simple « collaborateur », il a pourtant tenu bon et n’a pas, contrairement à un Jacques Chirac lassé que Valéry Giscard d’Estaing lui tanne constamment le cuir, donné sa démission en serrant les dents.

A-t-il été tenté de claquer la porte ? Certainement. Est-il resté Premier ministre tout simplement par goût du pouvoir ? François Fillon est-il l’un de ces politicards interchangeables qui accepteraient n’importe quelle humiliation pour un palais et une voiture avec chauffeur ? Plutôt discret et taiseux, y compris sur ce sujet, l’intéressé semble plutôt avoir un certain sens du devoir. Peu lui a été permis, Nicolas Sarkozy, jaloux de sondages qui étaient plus favorables à celui qu’il a tant déconsidéré, a parfois été tenté de le congédier, mais voilà, le Manceau ne s’est pas dérobé et a sans doute fait ce qu’il a pu dans un environnement humain difficile, et un contexte économique particulièrement dégradé.

Après la défaite de 2012, François Fillon est devenu député de Paris, non sans ferrailler avec Rachida Dati, ci-devant chouchoute de Nicolas Sarkozy, avant de briguer la présidence de l’UMP. Las ! Jean-François Copé a raflé la mise d’un souffle, au terme d’un scrutin dramatique, empreint de nombreuses anomalies et autres suspicions, et suffisamment piteux pour avoir un temps fait craindre l’éclatement du parti.

Vu l’état déplorable de ce dernier, l’ex-Premier ministre a hésité à quitter sa famille politique, mais n’a finalement pas franchi le Rubicon. La tornade n’a cessé de souffler qu’en juin 2014 avec la constitution d’un triumvirat avec Alain Juppé et Jean-Pierre Raffarin pour présider aux destinées de l’UMP, jusqu’au retour de Nicolas Sarkozy aux manettes et à la préparation de primaires pour lesquelles il n’aurait dû avoir aucune chance.

L’alternative

Il ambitionne la fin de l’impunité qui n’est, il est vrai, plus un simple sentiment, et il préconise des changements drastiques dans l’éducation, qui sous l’égide de Najat Vallaud-Belkacem a de son point de vue pris un bien mauvais virage

François Fillon a mûri son projet, mais il a longtemps été décroché dans les sondages.  Moins médiatique que le maire de Bordeaux, qui semblait faire l’unanimité ou presque, moins encombrant qu’un Nicolas Sarkozy se voyait en sauveur, il est toutefois sorti du lot dans les débats.

Jamais un mot plus haut que l’autre, une certaine assurance dans ses propos, de la tenue et de la hauteur. Soudain, il est devenu « bankable » et s’est engouffré dans la brèche.

François Fillon a capté l’appel de ceux qui veulent un Etat plus fort et plus ferme, quitte à être moins soucieux des minorités. Il s’est posé en incarnation et en défenseur de la droite traditionnelle, lassée des gesticulations et provocations du prédécesseur de François Hollande, inquiète des prétendues connivences et compromissions de l’ancien poulain de Jacques Chirac avec l’islam(isme), et avide de droiture et d’exemplarité.

Derrière un lyrisme globalement contenu et, parfois, dans le feu de l’action, quelques accents gaulliens, le Sarthois a laissé poindre son amour de la France, un patriotisme non feint qui tend à revenir à la mode après un quart de siècle d’une mondialisation effrénée. Sous l’épais manteau d’une impassibilité qui, dans son cas, tend à se confondre avec la dignité, un nombre croissant d’électeurs s’est reconnu dans ses quelques envolées. Ils ont eu le sentiment que l’éternel loser a son pays chevillé au corps et qu’il veut l’incarner. Qu’il veut le réveiller aussi, au sortir d’un quinquennat désastreux et pusillanime à bien des égards, moyennant des réformes dont il n’a pas dissimulé le caractère douloureux.

Il veut redonner des forces à cette France lasse en la faisant renouer avec les valeurs traditionnelles qui ont façonné son charme, forgé sa singularité et fait son histoire. Quitte à prendre le risque suprême de passer pour un psychorigide, un rétrograde, un épouvantable libéral, un suppôt d’un catholicisme zélé, tombé en désuétude et qui n’a pas la cote auprès de cette jeunesse biberonnée à l’anticléricalisme.

Libération a bien pu publier un morphing entre son visage et la coiffure de Margaret Thatcher, la presse de gauche dans son ensemble peut bien pousser des cris d’orfraie et voir en lui la réincarnation politique de Jésus, ses adversaires peuvent bien le ringardiser et le dépeindre en « tradi » nostalgique de la Dame de fer, il refuse de reculer et affiche une autre de ses qualités, une autre vertu en voie de disparition : la constance.

Il s’agit de défendre, bec et ongles, avec un courage politique qu’il faut bien lui laisser, un programme qui ne fait pas dans la dentelle. Un programme archaïque et dangereux pour certains, peu soucieux des thématiques environnementales, axé sur l’emploi et la réduction des déficits, mais maîtrisé, plutôt précis et au bout du compte fondé sur d’implacables constats. Un programme viscéralement de droite et à même de battre le Front National, lequel s’en inquiète d’ailleurs, parce qu’ayant le mérite d’appeler les problèmes par leur nom et de jouer sur la corde de la fibre nationale.

Pourrait-il appliquer tout ce qu’il préconise ? Sans doute pas, tant les crispations sont grandes, les maux profonds, les peurs encore plus exacerbées depuis que François Hollande a pris les commandes.  

François Fillon sait néanmoins qu’on ne fait pas une omelette sans casser des œufs et que le mur se rapproche, à mesure que l’inaction, les rustines et les mesurettes perdurent. Il sait qu’il faut agir et il veut, comme tous ceux qu’il a battus lors des primaires, agir vite, agir fort et changer de paradigme.

Si les autres pays l’ont fait, pourquoi pas la France ? Fort de l’intime conviction que son pays n’est pas complètement allergique au changement, il vise rien de moins que la durée du temps de travail hebdomadaire, les fonctionnaires, dont il veut réduire drastiquement le nombre, et plus largement tout ce que le Parti socialiste n’a jamais voulu combattre pour ne pas déplaire au plus offrant. Il veut une lutte sans merci contre le djihadisme, consacré grand péril de ce début de millénaire, face auquel la législation doit être durcie.

Il prône le retour des peines planchers, que Christiane Taubira a supprimées. Il ambitionne la fin de l’impunité qui n’est, il est vrai, plus un simple sentiment, et il préconise des changements drastiques dans l’éducation, qui sous l’égide de Najat Vallaud-Belkacem a de son point de vue pris un bien mauvais virage – quand bien même la suppression qu’il a dénoncée de certaines références historiques dans les manuels scolaires comme Clovis et Jean-Jacques Rousseau était exagérée. Il ose enfin un rapprochement avec Vladimir Poutine et une normalisation des relations avec la Russie, quitte à fermer les yeux sur le drame d’Alep et sur l’annexion de la Crimée, au nom du nécessaire anéantissement de l’Etat islamique.

Ces dispositions décomplexées, toutes contestables, mais pleinement assumées, la droite dite progressiste et moderne ne s’est pas privée de les dénoncer, de concert avec les centristes et la gauche, à l’unisson en la circonstance. Celui qui les porte sait à quoi il s’expose. Aux diatribes convenues des bienpensants, aux brocards dépanachés des bobos. A la vindicte de ceux qui ont peur de tout, et surtout de perdre leurs si précieux acquis. Aux amalgames des pourfendeurs de la realpolitik quelle que soit ses justifications. Aux caricatures, aux raccourcis de ceux qui préfèrent avoir tort avec Jean-Paul Sartre que raison avec Raymond Aron. Aux réécritures de sa propre histoire.

Policé et poli, il se défend, mais plutôt courtoisement.

Au fond, François Fillon est bien élevé, peut-être trop pour répondre au bashing en aboyant et en tout état de cause suffisamment pour ne pas inviter un pauvre con de ses détracteurs à se casser. C’est ce qui faisait tant défaut à Nicolas Sarkozy et c’est certainement, avec sa probité, l’une des raisons de sa victoire aux primaires. Bien élevé donc, à la foi revendiquée, aussi drôle qu’un infarctus et désespérément froid pour ses contempteurs, mais sans casserole. Immaculé. Ordinaire peut-être, mais pas non plus dans cette normalité qui ne s’impose plus, et animé d’une volonté de casser la baraque très risquée dans un pays passé maître dans l’art de réclamer des réformes pour mieux les contester ensuite.

Le programme, probablement excessif, mais tout sauf insignifiant et son artisan bien plus volontiers mesuré se rejoignent quoi qu’il en soit sur un point, la stature présidentielle, et le passé, la déférence, la décence de François Fillon démontrent qu’il a au minimum le sens de l’Homme.

L’avenir dira si une majorité de ses concitoyens pense qu’il a aussi le sens des masses.

Guillaume Duhamel

Guillaume Duhamel

Journaliste financier originellement spécialisé dans le sport et l'écologie. Féru de politique, de géopolitique, de balle jaune et de ballon rond. Info plutôt qu'intox et intérêt marqué pour l'investigation, bien qu'elle soit en voie de disparition.

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