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Avant d’être incarnée par Frank Underwood, la série House of cards est d’abord un thriller qui relate les aventures de l’homme politique anglais Francis Urquhart.

Les éditions Milady ont eu la bonne idée de publier ce mois-ci la version française du roman écrit par Michael Dobbs, ancien journaliste pour la BBC et ex conseiller de Margaret Thatcher puis de David Cameron. Il est vrai qu’à force de voir dans le générique que cet homme a inspiré la série qui fait le bonheur de Netflix, notre curiosité était plus qu’aiguisée.

« Tout finit par disparaître. Le rire et le désir sont éphémères, et la vie elle-même s’arrête un jour. C’est pour cette raison qu’il faut exploiter sans remords ce que le sort veut bien nous accorder ».

Dès les premières pages, nous sommes d’emblée plongés dans les arcanes de la politique anglaise et dans l’intimité de ses ministres et conseillers, et en particulier dans celle d’un homme, Francis Urquhart, le « Chief Whip », à savoir le chef des députés au Parlement anglais, chargé de les faire voter les lois et de faire le sale boulot en coulisses pour que les troupes votent comme il faut.

D’Urquhart à Underwood, l’intime et le scandale

Chaque chapitre s’ouvre sur une réflexion intérieure, souvent acide, toujours virulente, sur l’ambition, la manipulation ou les affres du pouvoir et ces méditations renvoient aux confidences face caméra de Kevin Spacey. Du livre à la série, nous avons cette formidable sensation de complicité entre le narrateur et le lecteur, entre celui qui raconte l’histoire à sa façon et emmène son complice dans l’arène pour en découdre. Comme dans la série, il est question de trahison et de luttes intestines pour faire tomber le gouvernement et son chef, un certain Collingridge, pour s’emparer du 10 Downing Street.

« Les députés se font face comme deux groupes d’ennemis prêts à la confrontation. Ils sont séparés par deux lignes rouges sur la moquette, dont l’écart correspond à la longueur de deux épées. Au demeurant, cette précaution est trompeuse, puisque le plus grand danger revient probablement à un coup de poignard, assené du banc derrière ».

Il rencontre la jeune journaliste pleine d’ambition Mattie, qui, à l’instar de Zoe Barnes, sera son moyen de diffuser des informations pour faire chuter ses concurrents, le tout dans un jeu de séduction autorisé par la propre femme d’Urquhart (beaucoup moins présente dans le roman que l’inégalable Claire Underwood). Si l’histoire qui mêle scandales financiers et vie privée pour le moins originale est différente, nous sommes toujours face à un génial intrigant ivre de pouvoir qui tire les ficelles et consacre le plus clair de son temps à ourdir des complots pour parvenir à ses fins.

Mais avec ce mode de narration subjectif qui repose sur la confidence, le lecteur parvient à éprouver une coupable sympathie envers cet antihéros moderne, aussi odieux que distingué, aussi impitoyable que clairvoyant. Il s’agit d’un Prince de Machiavel à l’heure de l’information de masse, qui a compris avant les autres que l’image primait sur les actes.

La médiocrité des autres, l’arme fatale de la réussite

« Le monde avait été livré aux pygmées, aux hommes sans stature ni ambition, choisis non pas pour leurs qualités exceptionnelles mais parce qu’ils ne dérangeaient personne.  Des hommes qui suivaient les règles imposées au lieu de se forger les leurs. »

Urquhart et Underwood nous montrent finalement que les grands hommes n’existent plus et que seuls des nains politiques nous gouvernent (dans le livre, le Premier Ministre ne fait que se lamenter en regardant les portraits de ses prédécesseurs, comme le Président Garret Walker s’effondre devant celui de Roosevelt).

Le jeu pour ces hommes de l’ombre devient presque simple. Il leur suffit de connaître les faiblesses de l’autre pour en jouer et attendre qu’ils se prennent les pieds dans le tapis (songeons ici à cette métaphore filée de la bête blessée qui excite la meute, présente au fil des pages) et rafler la mise. Il n’y a pas de grandeur du pouvoir dans House of cards. La politique n’y est qu’une affaire de bonne communication qui permet les comportements les plus bas dans la sphère de l’intime. Collingridge, figure du pouvoir intègre, se fait laminer par Urquhart sans jamais le soupçonner une seule seconde …

« Une manifestation de loyauté est sans doute une bonne nouvelle, mais c’est rarement un bon conseil ».

Aussi intense que la série, le roman brille tout autant par son écriture imagée et sa narration entrecoupée de sentences percutantes. Enfin, il laisse le même goût d’amertume à la fin, en ce que nous prenons conscience à la fois de la veulerie des gouvernants comme de la faiblesse de l’être humain en général, sans cesse menacé par le vice d’un Urquhart / Underwood …

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Julien Leclercq

Fondateur du Nouveau Cénacle et auteur de "Catholique débutant" paru aux éditions Tallandier.

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