Dans le but d’échapper aux catégories, Christophe Berurier, professeur dans un collège porteur de l’étiquette « éducation prioritaire » tente de rendre compte des faits qui l’entourent. Membre actif ou simple observateur, l’auteur livre un document hebdomadaire qui souhaite éviter la récupération sociale ou identitaire. Un tableau hyperréaliste de l’éducation prioritaire d’aujourd’hui.
Lundi 2 septembre 2013
Journée de pré-rentrée. L’équipe enseignante se retrouve et se raconte ses vacances.
L’établissement hérite d’un nouveau chef. Tous les travailleurs attendent de se faire une première impression après le discours. Plus tard dans la journée, le nouveau principal passe au milieu des réunions disciplinaires. Il nous demande si cela nous dérangerait s’il venait assister à un cours pendant l’année. Il précise que cela ne se fera pas sans notre accord et que c’est par curiosité. D’une demi voix certains professeurs acceptent. Les autres ne répondent pas. Dans la salle des professeurs, après la réunion, j’observe les collègues se dire que cela ne doit pas se faire, qu’il faut refuser. Je préfère être observé par mon chef d’établissement (lui me connaît et connaît les élèves) que par un inspecteur d’académie qui ne connaît pas vraiment mon nom, mais plutôt mon numéro de fonctionnaire.
Je tente de déplacer deux heures de cours.
Mardi 3 septembre 2013
Accueil des classes de 3èmes.
Certains élèves montrent sur leur visage la déception de se retrouver dans une nouvelle classe. Les élèves écoutent sagement. On appelle cela l’état de grâce. Parfois il n’y en a pas. Pendant la récréation, les professeurs se méfient ; ils ne veulent pas faire plus de réunions que jusqu’à présent.
Jeudi 4 septembre 2013
Première journée de cours. Un jeune garçon arrive en retard. Il s’assoit en posant son sac à dos sur la table, ne l’ouvre pas. Il pose son pied en équilibre contre le pied de la table, de sorte qu’entre sa jambe gauche repliée et sa jambe droite, il se forme presque un angle droit.
Au moment d’arriver à son nom pendant l’appel, je le regarde, lui dit simplement :
— Alors, le sac, la jambe, la chaise, les mains dans les poches.
Il s’exécute et se tient correctement. La journée de six heures de cours est assez longue.
Vendredi 5 septembre 2013
Une certaine routine se met déjà en place. Les élèves s’acclimatent difficilement au travail. Ceux ayant une réputation de perturbateur prennent sur eux. Certains débordent déjà.
J’ai changé deux élèves de place.
Un professeur de latin vient se plaindre d’un élève auprès de moi. Cet élève a dit au revoir à un surveillant qui sortait dans la salle. Je ne comprends pas ce qui est grave. Les élèves qui n’arrivaient pas à se concentrer hier ont été très attentifs parce que je leur ai parlé d’un roman narrant l’histoire des expositions coloniales. J’ai eu l’impression d’être le premier à leur parler des anciennes colonies françaises.
Christophe Bérurier