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La chronique hebdomadaire de Christophe Bérurier, professeur de lettres en ZEP

Lundi

En arrivant dans la salle des professeurs, je retrouve quelques collègues. Ils discutent du mouvement de « La Manif Pour Tous ». J’écoute une collègue qui s’y connaît :

–          Non mais tu sais … À l’église, c’est rigolo, ils n’ont pas l’impression de penser quoi que ce soit de mal. Je veux dire ils te le disent bien après la messe on va faire la manif, ça fera une balade, ça sera comme une fête… Non mais vraiment c’est n’importe quoi. En plus ils emmènent leurs enfants et tout.

–          Mais bien sûr attends, ça fait des années qu’ils nous gavent avec leurs valeurs à la c**** les cul-bénis, répond un collègue d’histoire et géographie.

–          Ce qui est vraiment incroyable c’est qu’ils vivent ça très bien… ah, la religion ça les rend dingues quand même, reprend la première collègue.

Il a donc bien fallu que j’intervienne :

            — Mais tu as l’air de parler en connaissance de cause en tout cas non ? Ai-je osé…

         — Oui, oui, je me suis mariée à l’église l’année dernière… C’est pas trop mon truc, mais tu sais la tradition…

 

            — Non, j’ai conclu, je ne sais pas, désolé.

Les élèves sont énervés, les vacances arrivent dans deux semaines, ils le savent.

Mardi

Ce soir a lieu une seconde réunion pour parler du cas d’un élève dont je suis professeur principal. J’ai reçu une lettre m’invitant à cette réunion. La principale adjointe me demande

« Vous avez été convoqué pour la réunion de ce soir avec les parents de ***** ?. 

— Heu, j’ai été « invité » comme écrit sur la lettre que j’ai reçue dans mon casier, mais « convoqué », non. 

— Vous jouez sur les mots Monsieur Béru, me dit-elle.

— Oh oui Madame la principale adjointe. »

Les parents, qui contrairement à la première réunion, ont choisi de se déplacer ensemble, nous expliquent l’origine du je-m’en-foutisme de leur fils. Les mots-clefs qui sortent de leur bouche sont les suivants : police, bêtises, justice, garde à vue.

L’absence de deux jours du jeune garçon de 5ème s’explique donc par une garde à vue. Les professeurs n’ont pas le droit de connaître le motif de cette interpellation.

Dès lors, tenter de lui faire retenir ce qu’est une proposition subordonnée conjonctive complétive, semble illusoire et inutile.

Jeudi

Dans la journée j’ai reçu quatre rapports de discipline concernant l’élève de 5ème posant problème. Tutoiement, refus d’obéir, insolence ; rien qui mérite un conseil de discipline et une exclusion définitive. Pourtant les collègues ont l’air de s’être mis d’accord pour enfoncer le gamin le plus profondément possible.

En lisant les rapports, je me dis que tout de même, ils chipotent, mes chers collègues.

Sur trois heures de cours cet après-midi je reçois de chacun des trois professeurs faisant cours dans les salles voisines, un élève par heure qu’ils n’arrivent plus à gérer. Il est plus simple d’envoyer les élèves chez le voisin qu’à l’administration : ainsi, les statistiques ne vont pas dans le mauvais sens et on ne risque pas de se faire remonter les bretelles.

Vendredi

Cours avec une classe de troisième. Pendant la lecture d’un poème de Paul Eluard, j’entends un portable sonner. L’élève fautive est celle que j’ai vue il y a quelques semaines se cacher en enfilant son voile religieux. La sonnerie est un texte prononcé en arabe, à la manière d’un muezzin. En entendant les quelques mots, l’élève s’est exclamée « Oh non… »

Après un petit laïus sur le rapport que l’on peut faire entre les vêtements, la sonnerie de téléphone, la manière de parler et la personnalité de chacun, les élèves me corrigent en me signifiant le sens de la sonnerie entendue. La charte de la laïcité du ministre ne mentionne pas ce qu’il faut répondre dans le cas suivant :

« Monsieur, monsieur, c’était pas une sonnerie hein, c’est pour dire que c’est l’heure de la prière. »

 Christophe Bérurier

 

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Christophe Berurier

Christophe Berurier est professeur. Il aime les mots et le vélo.

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