Partagez sur "L’Angleterre est une île, et on devrait s’arrêter là"
Avec les élections britanniques du 7 Mai 2015, la sphère médiatique nous a livré quelques florilèges de son originale connaissance du Royaume-Uni.
Preuve s’il en fallait une, que l’on ne comprend l’Histoire que par l’étude chronologique des faits et l’actualité que par la connaissance de cette Histoire. Cependant, cette élection pose la question de la Grande-Bretagne au sein de l’Union Européenne, et tend à replacer le Royaume-Uni dans son histoire et sa nature profonde s’en trouverait restaurée. Elle révèle, enfin, la nécessité de ce questionnement pour tout pays membre de l’UE.
Les analystes béchamel des élections générales
Yves Thréard était Jeudi soir l’invité d’iTélé pour commenter les élections générales au Royaume-Uni. Il est frappant de constater qu’il y a parfois des personnes dont le débit d’âneries prononcées à la minute est supérieur au débit d’eau de la tamise sous Tower Bridge.
L’expert dit ainsi : « On dit que l’Angleterre est une île, mais c’est faux, si l’on écoute la campagne, beaucoup de thèmes sont similaires à ce que l’on peut entendre ici ».
En décrypté, cela signifie que l’on met en balance un aspect factuel (géographique) avec une surface communicationnelle (la campagne). Cette méthode, hasardeuse, est d’autant plus surprenante qu’elle n’est pas propre à M. Thréard, puisque l’on a pu constater, peu ou prou, le même type de réflexion sur l’ensemble des autres chaînes.
Ainsi donc, pour citer Emmanuel Todd, « ce n’est pas parce qu’Hitler dit que l’Angleterre est une île que c’est faux ». Si l’on se fie à un atlas géographique, on peut constater, pour peu que la synapse se réalise, que le Royaume Uni est entouré d’eau. Ceci peut permettre, sans trop s’avancer, de déduire qu’il s’agit là d’une île. (Il est parfois nécessaire de démontrer ce qui saute aux yeux)
M. Thréard, non content d’être géographe contestable, raisonne de plus à court terme, et déconnecte totalement le Royaume-Uni de son histoire, ce qui fait de lui, et de l’ensemble de ses amis, des apôtres de l’Oubli.
Le Royaume-Uni, l’UE et l’immensité de l’océan
De Gaulle reprochant à Churchill de lui préférer Roosevelt, se vit recevoir la volée de bois vert suivant « Comprenez bien qu’entre l’immensité de l’océan et vous [le continent], nous choisirons toujours l’océan ».
Comprenons, quant à nous, que l’histoire – complexe – du Royaume-Uni, présente toutefois une constante relativement simple : il a toujours été une puissance d’équilibre.
Ainsi, on analyse plus facilement les relations franco-britanniques au dix-neuvième siècle et au début du vingtième. Si la Couronne met un point d’honneur à faire tomber Napoléon Ier (1815), elle conservera des relations plutôt bonnes avec Napoléon III et sera l’alliée de la France en 1914 ; et ce pour la simple et bonne raison que Napoléon Ier avait des tendances dominatrices sur l’ensemble du continent européen, ce qui mettait la Grande-Bretagne dans une situation géopolitique délicate (d’où la tentative d’alliance de Napoléon Ier avec la Russie Tsariste)
Ainsi donc, le fait que le Royaume-Uni soit « enchaîné » au continent, par un jeu juridique dont la légitimité est de plus en plus contestable (et l’on connaît ici les propos de Juncker, président de la Commission Européenne, prononcés après la victoire en Grèce du parti Syriza) semble contre-historique et contre-nature.
« Comprenez bien qu’entre l’immensité de l’océan et vous [le continent], nous choisirons toujours l’océan ».
Or, les Travaillistes ont été relativement divisés sur la question du référendum, promettant parfois de « tenir tête à Bruxelles » et Ed Miliband allant jusqu’à dire que son ennemi « c’est la City » (soit la Finance). On retrouve presque, outre-manche, les mêmes éléments de langage que chez nos amis les socialistes : « La souveraineté c’est la délégation, l’ami est l’ennemi » etc. Il s’agit là d’une novlangue orwellienne, mais en résumé, beaucoup de rodomontades (ce qui semble être une caractéristique « organique » dans les partis dits socialistes).
Cette pseudo-convergence des discours obère une différence non négligeable avec la France : le Royaume-Uni bat monnaie. Cette souveraineté monétaire explique la dévaluation opérée par le Royaume-Uni en 2012 et, en partie, le taux de croissance et de chômage en Grande-Bretagne (respectivement +2,6% et 5,5% fin 2014).
Il est difficile dans ce cas, pour l’ensemble des médias et des politiques, de dire d’un côté, que la dissolution ou la sortie (fusse-t-elle unilatérale) de la zone euro provoquerait l’assèchement de la méditerranée et l’arrivée des martiens sur la planète Zorg ; et de l’autre de faire preuve d’honnêteté intellectuelle en reconnaissant le succès britannique (mais aussi islandais, qui n’est pas dans l’UE) du fait de sa souveraineté monétaire.
Pays marchand et aux origines de la démocratie libérale occidentale, le Royaume-Uni est, par nature, tourné vers l’océan : son histoire et sa géographie l’y obligent, et ce n’est pas un hasard si la Grande-Bretagne fut la première puissance mondiale pendant plus d’un siècle, avec un empire colonial à l’origine d’une mondialisation et une marine réputée invincible. La Grande-Bretagne peut donc légitimement, et historiquement, s’offrir un référendum sur la question de son appartenance ou non à l’Union Européenne. Il faudra néanmoins s’interroger sur la manière dont David Cameron posera la question aux britanniques, et quelles seront les réactions des petits juristes européens. Car si le choix démocratique va à l’encontre des traités, on peut espérer qu’il y va armé du canif adéquat.
La victoire, nette, des Conservateurs, montre ainsi une volonté de poursuivre le chemin entamé ainsi que de faire voile là où le vent souffle le plus fort. La Grande-Bretagne mettrait ainsi, espérons le, une claque à tout ce qui va à l’encontre de sa nature profonde et de son histoire. Et nous de citer Georges Junior Rémi : « Faire face à l’immensité des océans, c’est tourner le dos aux vicissitudes terrestres. » (Un oncle nommé Hergé)