Partagez sur "Konstantin Altunin, peintre iconoclaste de Poutine."
Assurément, Konstantin Altunin s’inscrit dans la lignée des peintres réalistes par qui le scandale arrive.
Certes il n’est pas le premier artiste à utiliser la caricature en prenant pour cible les personnes qui nous gouvernent.
Mais lui s’est attaqué à un personnage hors du commun, presque semblable à la statue du Commandeur et donc peu enclin à accepter qu’on le ridiculise et encore moins si on le travestit … puisqu’il s’agit de Vladimir Poutine lui-même !
L’un des tableaux du peintre iconoclaste intitulé « Travestis » représentait en effet le dirigeant russe en nuisette coiffant Dimitri Medvedev qui portait quant à lui (autre provocation !) un soutien-gorge.
Pour un peintre russe vivant à Saint-Pétersbourg sa démarche n’est pas sans risque. Loin d’être insignifiante ou anecdotique, elle peut conduire, en effet, cet artiste « insolent » ou particulièrement « inconscient » directement en prison.
Déjà en 2012, des femmes russes membres du groupe contestataire Pussy Riot avaient purgé une peine de prison de deux ans pour avoir chanté une « prière punk » contre Poutine dans la cathédrale du Christ-Sauveur à Moscou.
C’est pourquoi lorsqu’au mois d’août 2013, pendant son absence, des policiers russes armés de kalachnikov saisissent ses toiles, il n’a pas hésité un instant pour s’envoler à Paris et demander l’asile en France.
D’ailleurs depuis son installation en France, il sait que son retour en Russie n’est plus possible : « Maintenant ma vie est en France. » confie-t-il à un journaliste.
Sa femme et sa fille l’ont d’ailleurs rejoint et ils vivent désormais tous les trois dans l’Hexagone, plus précisément à Metz depuis avril 2014.
C’est donc en France qu’il compte débuter une nouvelle carrière artistique.
« Il avait une grande notoriété en Russie, il vendait ses toiles très cher. Tout ça s’est écroulé. En France, sa cote est repartie à zéro. Il a dû baisser ses prix, mettre son orgueil de côté » raconte Caroline Barthélémy, de la galerie parisienne La Valse qui l’a déjà exposé en 2014.
Aborder la peinture de Konstantin Altunin (K.A.) c’est d’abord entrer dans un univers tempétueux où l’artiste utilise très généreusement la matière picturale comme d’une arme contre toutes les formes d’académisme.
Son expressionnisme très remarqué dans le traitement des différents portraits de personnages illustres (Baudelaire, Van Gogh, Verlaine ou Lénine) prolonge en quelque sorte la tradition des pionniers de la nouvelle peinture allemande, celle inaugurée notamment par le caractère expressif gestuel de Baselitz et de Penck.
Mais également par d’autres peintres allemands qui ont tous en commun d’être venus de l’ex-RDA !
Cette filiation n’est donc pas étonnante pour K.A., lui qui vient de la mère patrie du socialisme et a connu comme tous ces peintres issus de l’autre côté du mur, des régimes politiques plutôt autoritaires.
A cet égard son art du portrait réussit merveilleusement à neutraliser les principes rigides du régime socialiste.
Car si K.A. reste profondément attaché à la figuration, peu intéressé, semble-t-il, par l’abstraction, il surprend toutefois par la technique qu’il utilise qui est très proche de celle d’un Pollock ou même d’un Cy Twombly.
Pour s’en convaincre, il suffit d’observer de plus près son travail. Dans le détail ci-dessus issu du portrait de Léonard de Vinci qu’il a réalisé, la figuration disparaît pratiquement au profit d’un décor « abstraitisant » avec des formes filandreuses provenant des dégoulinures de peinture.
Les dégoulinures sont un aspect important de son travail, elles ajoutent de la vivacité voire un certain délire dans ses compositions.
Le peintre nous emmène souvent dans des mondes étranges et inattendus formés de multiples entrelacements issus de filets de peinture comme s’il tissait une toile afin de faire émerger ensuite une éventuelle figuration.
Ces enchevêtrements complexes constituent à l’évidence le motif favori de l’artiste.
Selon Kandinsky : « la forme est l’expression extérieure du contenu intérieur »
L’artiste est à la recherche de cette forme, véritable « nécessité intérieure » qui « matérialise ce qu’il doit communiquer » et notamment son monde intérieur.
D’où parfois cette sensation de souffrance pour faire émerger les parties inconscientes voire insoupçonnées de l’être.
C’est pourquoi les couleurs qu’utilise K.A. accentuent volontairement ces déploiements intérieurs.
Ici les fonds gris sont étonnamment éclatants car le peintre utilise abondamment de la laque.
De même, l’artiste n’hésite pas à réaliser des contrastes très affirmés avec des teintes plus gaies et plus généreuses. D’où ce résultat au centre de la composition avec ces jaunes, ces verts et même ces bruns les plus sombres qui ressortent merveilleusement.
Le tout travaillé dans une matière souvent dense et épaisse aussi bien que liquide et coulante.
Indéniablement par l’éclat des couleurs, l’artiste révèle la jouissance dans l’accomplissement de son travail.
Ici le geste laisse transparaitre une impulsion, un mouvement qui incarne la pensée du créateur.
Les œuvres de K.A. nous livrent des histoires avec un fort pouvoir d’évocation.
Ainsi cette œuvre représentant des femmes africaines est placée sous le signe d’un expressionnisme très appuyé.
Elle fait penser au tableau fantomatique des mangeurs de pommes de terre d’un certain Vincent Van Gogh !
Le même regard souvent hagard et triste de ces femmes accentue cette ressemblance.
Par ailleurs un chromatisme très vibrant avec des figures déformées renforce un expressionisme déjà très saisissant.
A l’exemple de Van Gogh, K.A. exprime une réelle compassion et sensibilité pour ces femmes pauvres et simples.
Mais il les peint avec vérité sans apporter ni artifice ni une quelconque subjectivité qui aurait altéré cette représentation.
Seule la beauté de certaines couleurs dont notamment le camaïeu bleu du vêtement du personnage central évite d’assombrir totalement la scène.
Ainsi malgré la tristesse de cette représentation, la peinture chez K.A. agit toujours comme un exutoire.
A l’évidence cet artiste a une vision positive des êtres et des choses : l’amour et une certaine vision romantique semblent toujours triompher de la cruauté de la réalité du quotidien.
Et c’est notamment par son don à donner de l’éclat à la matière et à la couleur qu’il réussit à faire triompher cet espoir.
Christian Schmitt
Prochaine exposition à Metz : Vendredi 9 janvier 2015