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« Le cigare et la vodka, compagnons idéaux de ces moments de repli. Aux pauvres gens, aux solitaires, il ne reste que cela. Et les hygiénistes voudraient interdire ces bienfaits ! Pour nous faire parvenir à la mort en bonne santé ? » – Sylvain Tesson, Dans les forêts de Sibérie, Gallimard, 2011.

Je suis nostalgique d’une époque que je n’ai pas connue et qui n’a sans doute jamais existé. Une époque où la France s’aimait.

« Mais j’entends déjà les hurlements des camelots de la pédagogie officielle, de l’ignorance gratuite et obligatoire, les sectateurs du mens sana, les socio-psys à la mords-moi le calibistri qui émargent au râtelier des cellules psychologiques, tous ces dictateurs de la vertu et de la tempérance subventionnés pour assommer le licheur, le fumeur et le trousseur à coups de sermons, de rapports et de menaces : « L’alcoolique n’est pas libre ! Il est, bien au contraire, prisonnier, esclave de son vice. » Pompeux imbéciles ! Allez donc vous noyer dans un verre d’eau minérale plate. » – Gérard Oberlé, Itinéraire spiritueux, Grasset, 2006.

Je suis nostalgique d’une époque que je n’ai pas connue et qui n’a sans doute jamais existé. Une époque où la France s’aimait. L’actualité tragique de ces derniers mois nous montre que, malgré l’autoflagellation constante qui nous est infligée par la caste dirigeante, nombre d’étrangers ont eux aussi la France à l’estomac. Ainsi Jim Harrison, qui vient de nous quitter, sans doute l’un des plus francophiles écrivains américains, vouait un culte à René Char et à la tête de veau, et ne crachait pas sur quelques bonnes bouteilles bien de chez nous, ainsi qu’il le revendiquait et ce dont peut témoigner son ami Gérard Oberlé. La France est un pays gastronome et bon vivant. Pourtant, des ligues de vertu contemporaines[1] à Marisol Touraine, une élite hygiéniste moralisante, sectaire et liberticide ne cesse de s’en prendre à notre savoir-vivre.

« Basé sur les terroirs et l’amour des produits de qualité, il résout la crise agricole et éradique la malbouffe. Basé sur l’artisanat et une agriculture propre, il est en conflit ouvert avec l’Europe des multinationales et du Saint-Fric mondialisé ».

Bien aidée en cela, il faut le reconnaître, par le patronat qui voit un gain de productivité dans la réduction des pauses repas, et par une industrie pharmaceutique trop contente de fourguer ses médocs nuisibles qui ne soignent le cancer pas plus qu’ils ne soulagent la douleur. La solution est pourtant simple : l’art de vivre à la française. Une histoire d’équilibre. La richesse des viandes et sauces est compensée par la finesse des vins et l’art de cuisiner légumes et fruits. Le fameux paradoxe français. Basé sur les terroirs et l’amour des produits de qualité, il résout la crise agricole et éradique la malbouffe. Basé sur l’artisanat et une agriculture propre, il est en conflit ouvert avec l’Europe des multinationales et du Saint-Fric mondialisé[2].

Requiem pour notre art de vivre français

Les temps sont tristes, l’art de vivre à la française aide à les supporter. Le combattre au nom de la santé publique est une imposture de foutriquets d’opérette. En toute honnêteté, il y a moins de risque de crever des suites d’une consommation quotidienne de nuits-saint-georges que d’une consommation hebdomadaire de produits bas de gamme vendus par les discounters, les fast-foods et autres satyres de la grande distribution. Respecter les saisons, les terroirs, les animaux, les plantes, fruits, légumes, ne pas les assassiner avec des engrais chimiques ou en plantant des graines génétiquement modifiés, artificiellement rendues stériles à N+1 pour obliger l’agriculteur à racheter ses semences chaque année…

Préférer toujours un saint-nicolas de bourgueil à un coca-cola, un sylvaner à un château-la-pompe.

La certification des semences rendue obligatoire par l’Union européenne ouvre la porte à tous les excès et notamment à l’obligation de rachat annuel ou l’interdiction de réutiliser des plants d’une année sur l’autre. L’argument sera hygiénique en façade, sonnant et trébuchant en réalité. Bien que ce ne soit pas prouvé, l’augmentation du nombre de cancers épouse pourtant bien celle de l’utilisation des produits phytosanitaires industriels censés à la fois augmenter le rendement, préserver la qualité et le goût et protéger notre santé. Vaste fumisterie !

À tous les bourreaux de l’art de vivre à la française, il faut opposer une résistance sans faille. S’inspirer de Gouffé et Brillat-Savarin plutôt que des vegans et de la cuisine moléculaire. Préférer toujours un saint-nicolas de bourgueil à un coca-cola, un sylvaner à un château-la-pompe. Respecter les traditions culinaires plutôt que croire les menteries hygiéno-industrielles. Jean-Pierre Coffe, qui vient de nous quitter, a eu le grand mérite de braquer les phares sur les dégueulasseries de l’industrie agroalimentaire et phytosanitaire, sur l’influence désastreuse pour la santé et l’économie agricole de la grande distribution (avant il est vrai de déroger, avec quel profit?). La grande distribution en pesant sur les prix à la baisse (mais pas leurs marges) au nom du pouvoir d’achat (quelle connerie ce concept!)[3] se graisse sur la mort économique des paysans et la fragilisation des artisans. Et sur notre dos aussi. La relève du Coffe d’avant la pub est assurée par le développement d’une paysannerie de qualité, qui réhabilite le terroir et les saisons, gage à la fois de bien manger, de prix raisonnables et de maintien de métiers agricoles, donc de vie sur les territoires. Périco Légasse est aujourd’hui l’un des plus actifs et pertinents défenseurs de la gastronomie et du savoir-vivre. Ce Basque à la France à l’estomac ! Une lueur d’espoir qui paraît s’élargir… À Dieu vat !

La France est le pays de la liberté, c’est-à-dire celui aussi de la responsabilité. C’est ce libre-arbitre qui est méthodiquement assassiné depuis le mitant des années 1970 au moins. Défendre l’art de vivre à la française n’est pas une action chauvine, rétrograde ou je-ne-sais-quoi-phobe. C’est revendiquer une certaine idée de la Culture et du modus vivendi social, c’est assumer la vertu cardinale qu’est la liberté sans pleurer sur les conséquences de ses actes, sans mendier une réparation payée par d’autres. Je ne cherche à imposer à quiconque mes vues sur cette question, en revanche, que cessent la culpabilisation permanente et la moraline infantilisante ! Comme le disait un vieux dégueulasse, « il n’y a que trois façons de s’en sortir : se saouler, se flinguer ou rire ».

 

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[1]Vous ne connaissez qu’elles, elles n’épargnent aucun plaisir terrestre. Elles ont déclaré une guerre à outrance contre l’art de vivre à la française, gastronome, érudit et humaniste. Guerre totale au nom de l’hygiène, de la morale et de la nécessité économique impérieuse d’avoir des esclaves employés en bonne santé, productivité et marges obligent. Je ne leur ferai donc aucune publicité et ne les citerai pas.

[2]Y’avait longtemps !

[3]Il n’y a pas de problème de pouvoir d’achat en France. Il y a un problème de vouloir d’achat. Intoxiqués par les publicités, le souci d’image et l’incitation à consommer, ce signe de réussite, un nombre certain de personnes désirent péter plus haut que leur portefeuille, surtout depuis les chocs pétroliers me semble-t’il… La fuite en avant dans la globalisation financière inculte et individualiste aura au moins obtenu ce succès qu’il serait mesquin de ne pas reconnaître : elle a réussi à produire quantité de consommateurs stupides et veules. De bons petits moutons tant qu’ils ont du pognon. Et qui se révolteront violemment, ne pouvant se faire entendre intelligemment, dès qu’on touchera à leur pécule. Le tout bien entendu au nom des droits de l’homme et de la liberté individuelle.

[4]Coup de revient plus élevé, mais marges honnêtes, revenant au producteur.

[5]Charles Bukowski.

Le Librairtaire

Le Librairtaire

Historien de formation, Le Librairtaire vit à Cordicopolis. Bibliophage bibliophile, amateur de caves à cigares et à vins. http://librairtaire.fr/wordpress/

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