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La Nuit du Bûcher est un livre de Sandor Marai sorti des oubliettes littéraires par les éditions Albin Michel. Et quelle brillante idée. L’écrivain signe là un roman à la fois touchant, brutal et profondément humain.

L’auteur hongrois, qui a mis fin à ses jours en 1989 revit depuis plusieurs années. Moins connu que Stefan Sweig, il n’en reste pas moins l’un des observateurs les plus fins du XXème siècle, de ses guerres, de ses grandeurs, de ses tourments, de ses joies et ses horreurs. Dans la Nuit du Bûcher, Sandor Marai plonge cette fois-ci au cœur de l’Europe du XVIème siècle. Non pas pour évoquer le caractère novateur et lumineux de la Renaissance mais pour se pencher sur la question de l’Inquisition qui a sévi ou sévit partiellement en France, en Suisse, en Espagne ou en Italie.

Sont alors qualifiés d’hérétiques, au sens large, tous ceux qui ne croient pas au Saint-Office, aux méthodes de l’Inquisition ou qui font semblant de se convertir. Catholiques sincères, protestants, athées, personne ne semble échapper au bûcher et au fagot de bois. Fagot humide quand on veut faire « durer le plaisir » des spectateurs en extase venus se repaître de la crémation d’un malheureux. Bien sec lorsque les juges veulent abréger la scène. Le protagoniste n’est autre qu’un Carme venu d’Avila pour connaître les secrets les plus extravagants des inquisiteurs romains. Défenseur de l’Inquisition, il se révèle avide d’apprendre les méthodes de ses pairs Italiens pour mieux débusquer les hérétiques. Chaque technique apprise tombe dans son oreille comme un bout de viande dans le gosier d’un bébé vautour. Il est l’élève et les prétendus prêtres italiens les maîtres. Il rêve de savoir comment obtenir la confession ultime d’un détenu par tous les moyens.

L’Espoir en fil rouge

Le carme espagnol restera finalement dix-huit mois dans la capitale italienne. Sandor Marai use dans ce livre d’un champ lexical abondant de la cruauté physique et mentale qui n’épargne pas son lecteur, suggérant les moments macabres plutôt que de se complairedans les détails sordides, comme ces scènes avec les Confortatori, membres croyants et laïques dont le but est de forcer les aveux d’un prisonnier la nuit précédant sa mise à mort. Autre passage éloquent lorsque le condamné à mort Bruno Giordano refuse de baiser la croix qu’un Confortatore lui colle contre la bouche. Dédain suprême d’un lettré qui a parcouru le monde. Mépris de cet ancien prêtre qui a atteint un degré de liberté spirituelle qui pallie la liberté physique dont il est privé.

« Sandor Marai dévoile une face sombre des Hommes. Il montre cependant avec subtilité le processus de revirement et de doute qui peut s’immiscer en chacun ».

Quant au carme d’Avila, il déroge un peu à la règle d’infaillibilité qui régit l’Inquisition. Il opère même un demi-revirement. Après l’exécution de Bruno Giordano, le carme troque sa soutane contre un costume de scribe et change radicalement de vie. La violence de l’expérience a inconsciemment produit son effet. Le prêtre espagnol ne devient pas totalement un pourfendeur de l’Inquisition. Il doute toutefois de son efficacité. Il ne veut plus observer les violences commises mais semble, d’après ses dires, croire toujours en leur bien-fondé.

Sandor Marai dévoile une face sombre des Hommes. Il montre cependant avec subtilité le processus de revirement et de doute qui peut s’immiscer en chacun. En outre, à travers le personnage de Bruno Giordano, Sandor Marai prouve que toute forme de résistance à l’oppression ne peut pas constamment être éradiquée, qu’importe l’époque. Comme un phare au milieu de la nuit. Comme un chant de résistance en des temps ravagés par la bêtise humaine.

 Ella Michelleti

Ella Micheletti

Ella Micheletti

26 ans mais parfois 90 dans sa tête. Ex-juriste qui critique l’empilement des lois, maintenant étudiante en journalisme. Passionnée par le théâtre politique. Gros béguin pour le XIXème siècle et les années folles. Voit de la poésie partout. Un peu amoureuse de Nietzsche et Liszt. Aime l’humour noir et les animaux.

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