Après La Santé de Louis XIV et une Histoire des médecins, Stanis Perez publie Le Corps du roi aux éditions Perrin. Un livre surprenant par bien des aspects car il évite les clichés inhérents à la biohistoire royale.
En 1957, le professeur Ernst Kantorowicz bouscule la recherche universitaire avec Les Deux corps du roi. Essai sur la théologie politique au Moyen Âge. A travers cette étude majeure, l’historien démonte que le roi possède un corps « humain », mortel et terrestre, et un corps « spirituel » incarnant la continuité symbolique de la monarchie. L’ouvrage est devenu non seulement un classique, mais également un topos du commentaire historico-politique.
« Le corps du roi devient, au fil des siècles, chose publique. »
La grande force du livre de Stanis Perez est de décrire la royauté dans sa chair et dans ce qu’elle a d’humaine (et de trop humaine), notamment face à la mort : « Il est à la fois sacré et encombrant, on lui doit le respect, mais, en même temps, il pose des problèmes ‘techniques’ que le protocole et les rituels entourant les obsèques sont censés résoudre ». Oint lors de son sacre, thaumaturge guérissant les écrouelles, paré des plus beaux habits pour être objet d’admiration et de respect : le corps du roi devient, au fil des siècles, chose publique. La thèse magistrale de Kantorowicz est donc non seulement prolongée mais complétée par une série d’analyses allant de Philippe Auguste à Louis-Philippe.
Le corps incarne l’État
La corporalité du monarque varie en fonction des siècles. De Saint Louis, roi pénitent pratiquant le jeûne et portant un cilice à Louis XIV, monarque absolu dont le corps est avant tout incarnation de la grandeur du royaume, la « biologie » du monarque est donc conditionnée non seulement par les mentalités de l’époque mais aussi par la politique qu’il entend incarner. Plusieurs siècles avant Charles Péguy, nous comprenons donc que mystique et politique sont intrinsèquement liées. C’est pourquoi médecins et professeurs s’échinent au fil des siècles à trouver les meilleurs remèdes possibles afin de préserver ce corps à la fois mortel et sacré.
« Robert Darnton a montré combien les physiques de Louis XVI et de Marie-Antoinette étaient dénigrés pour mieux signifier la déliquescence de l’État dans la littérature populaire. »
Le chapitre sur le corps des reines mérite également une attention particulière, tout comme les derniers chapitres (notamment celui sur Louis XVIII), qui montrent une férocité de plus en plus prégnante à l’encontre du corps du roi caricaturé. Dans Bohème littéraire et révolution, Robert Darnton a montré combien les physiques de Louis XVI et de Marie-Antoinette étaient dénigrés (maladies vénériennes, boulimies ou insuffisances sexuelles …) pour mieux signifier la déliquescence de l’État dans la littérature populaire.
Du corps du roi à la comm’ du moi
Stanis Perez démontre que la sédentarisation de la cour à Versailles a permis au roi de glorifier son apparence pour impressionner ses visiteurs, chaque instant du quotidien devenant un rituel théâtralisé. L’absolutisation du pouvoir se lit à travers le faste et l’apparence du roi.
L’étude mériterait même d’être prolongée jusqu’aux figures politiques contemporaines. Les différents totalitarismes du XXe siècle (nazisme, communisme et fascisme) ont tous eu un rapport particulier au corps du souverain. Dans nos démocraties libérales contemporaines, le corps du dirigeant est une préoccupation pour les électeurs (pensons à la santé de François Mitterrand) ou un objet de fascination à travers ce qu’il est convenu d’appeler la peoplisation.
« Le corps du dirigeant est donc toujours soumis à une stratégie politique. »
Nicolas Sarkozy et François Hollande ont récemment fait les frais de ce « manque d’incarnation » du pouvoir. Le « bling-bling » pour Sarkozy, l’aspect empoté pour Hollande. Avec Emmanuel Macron : la geste du Président se suit à travers les réseaux sociaux et ses différentes photographies en treillis militaire ou en tenue de sport. Le corps du dirigeant – surtout quand ce dernier est photogénique – est donc toujours soumis à une stratégie politique. En creux, Stanis Perez démontre une laïcisation constante du champ politique, jusqu’à la disparition de la mystique. Le corps du roi est devenu la comm’ du Moi.