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William Marx a rassemblé les documents épars du « Cours de poétique » de Paul Valéry afin de donner une édition en deux volumes de l’enseignement du poète, aux éditions Gallimard. Un chantier éditorial titanesque qui redonne vie à un monument de la pensée philosophique et littéraire.

La France entretient un rapport complexe avec ses poètes, et Paul Valéry ne déroge pas à la règle. La poésie, par le prisme scolaire, n’est enseignée que par la récitation et, plus tard, par le commentaire composé d’auteurs totémiques. L’oral de français est dès lors le plus souvent le dernier contact avec la poésie, les allitérations, les enjambements et autres contre-rejets.

Valéry n’est guère plus enseigné. Trop complexe. Parfois jugé suranné. Je l’ai personnellement découvert en hypokhâgne, lorsque j’avais dû plancher sur un extrait de ses Cahiers. Je l’ai ensuite retrouvé à la Sorbonne, à l’occasion d’un partiel de stylistique. Il ne m’en fallut pas davantage pour le ranger dans la catégorie des « auteurs de sujet de dissertation », comme Julien Gracq ou Maurice Blanchot.

Les mois ont passé, et j’ai véritablement découvert Paul Valéry avec sa poésie, qu’on ne peut résumer au seul « Cimetière marin ». Hors du carcan scolaire et de l’analyse stylistique, je l’ai apprécié comme la poésie doit toujours l’être : comme une sonate qui chatouille l’oreille puis l’esprit, qui n’empêche pas le travail intellectuel a posteriori, mais qui se déguste hors du temps et en dehors de tout pédantisme universitaire qui assèche plutôt qu’il ne révèle. J’ai ensuite eu la chance d’assister à plusieurs séminaires de Michel Jarrety sur Paul Valéry, pour cultiver mon goût naissant pour celui qui est depuis devenu l’un de mes poètes les plus chers.

Paul Valéry : l’aventure de l’esprit, l’aventure de l’édition

Pas rancunier, je suis devenu un lecteur attentif du Paul Valéry théoricien et critique littéraire. Les moments de solitude de la classe préparatoire face aux extraits des Cahiers étaient derrière moi. J’attendais donc beaucoup de cette édition du Cours de poétique, texte qui avait acquis le statut de mythe puisque – de Blanchot à Barthes – beaucoup d’esprits furent frappés et inspirés par l’enseignement de Valéry, sans que la postérité n’en garde trace. Comme un clin d’oeil, William Marx, professeur de littératures comparées au Collège de France, dont le cours sur la recherche des œuvres perdues m’a particulièrement marqué, a entrepris un travail d’archiviste, d’enquêteur et finalement d’éditeur considérable pour redonner vie au Cours de poétique de Valéry. Les années 2020 voient donc ressurgir les manuscrits perdus de Céline puis les cours inédits de Paul Valéry, laissant une nouvelle fois le lecteur – souvent effondré par la médiocrité des publications actuelles – résolument optimiste quant aux résurgences de Beautés passées dans la tiédeur d’aujourd’hui.

D’emblée, la lecture du premier volume est déceptive, dans la mesure où l’on ne découvre pas un cours sur la poésie, ni sur la théorie critique, ni, à proprement parler, sur la littérature. Valéry revient à la source de la poétique, à son sens aristotélicien de poiën, de création, de force de l’esprit, d’élaboration. Il propose une théorie de la sensibilité, une analyse du langage, du Moi, bref, un panorama complet de l’intelligence et de ses facultés. Une entreprise philosophique, linguistique, littéraire, parfois aride mais toujours lumineuse, sortie miraculeusement des archives de Gallimard, de la BNF et du fonds « Valeryanum » de la bibliothèque Jacques Doucet.

J’avais, cet automne, entamé la lecture de la Préparation du roman de Roland Barthes, à savoir le cours que ce dernier avait dispensé au Collège de France sur le travail préparatoire de l’écrivain. Heureux hasard. J’y ai découvert avec délice plusieurs échos, plusieurs inspirations du jeune Barthes assistant au cours de Valéry qui se retrouvent dans l’analyse du Barthes professeur plusieurs décennies après. Devant certaines pages du Cours de poétique, j’ai aussi retrouvé le sentiment de solitude intellectuelle du jeune étudiant que j’étais pour comprendre certains passages, mais la force de ce texte n’en finira pas d’infuser durablement mon propre esprit. Je ne suis décidément pas rancunier.

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Julien Leclercq

Fondateur du Nouveau Cénacle et auteur de "Catholique débutant" paru aux éditions Tallandier.

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