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« Au commencement était le verbe » (Prologue, Evangile selon Saint-Jean). A l’origine de toute civilisation se trouve le mot, la parole et le discours appelés logos.

Si aujourd’hui la langue n’est plus une composante essentielle de la définition d’une nation, mondialisation culturelle oblige, il n’en demeure pas moins qu’elle est un outil essentiel à la culture comme fondement de sa richesse.

Les bancs de l’école nous ont tous permis d’apprendre la distinction entre les trois registres de langue utilisables en Français : le niveau de langage soutenu, le courant, et le familier. Ce dernier étant proche du langage vulgaire. Ces différents niveaux définissent le vocabulaire utilisé pour s’exprimer tant à l’oral qu’à l’écrit.

Le langage courant, qui présente les caractéristiques d’un vocabulaire fondamental, correct,  dénué de toute emprunte socio-culturelle s’oppose théoriquement au langage familier synonyme d’approximations stylistiques et grammaticales et utilisé principalement à l’oral. Néanmoins il est intéressant de constater que ces deux registres tendent à s’uniformiser tant la frontière qui les sépare s’effrite inexorablement. Le langage familier se confond dans le registre courant et est amené à le remplacer. Dès lors le langage n’est plus simple, il devient simpliste.

Registre courant et déclassement

Si les causes sont multiples, elles sont en partie économiques. Les tenants du registre courant que sont les classes moyennes sont victimes d’un déclassement social. Elles se paupérisent et viennent agrandir les rangs de la classe populaire. La violence de cette chute s’exprime symboliquement par un appauvrissement culturel et donc par la perte du vocabulaire qui les caractérisait jadis. Ainsi l’homogénéisation se manifeste aussi par la langue.

Bien que le registre courant tente de survivre malgré tout, l’argot quant à lui a déjà signé son acte de décès. Les origines de sa naissance sont diverses : qu’il s’agisse de milieu social, d’aire géographique ou encore de milieu professionnel, il est avant tout un langage parallèle, une paralangue destinée à être compris du plus petit nombre à l’image du Louchébem, l’argot des bouchers. Au fil des ans, le langage argotique s’est appauvri. Aux différents argots passés ne subsistent aujourd’hui que le langage des comptoirs de café cher à Fréderic Dard et Louis-Ferdinand Céline et celui issu des banlieues. Pire encore, ce dernier s’est démocratisé et est parlé par le plus grand nombre. Si le langage familier se fond dans le langage courant, il puise allègrement dans l’argot pour s’enrichir. Les tenants du registre soutenu iront même jusqu’à l’employer. En effet le verbe est un moyen de s’élever socialement mais est aussi un outil d’intégration destiné à être accepté et compris du plus grand nombre. Auparavant le langage argotique choquait le bourgeois, il est aujourd’hui tendance car synonyme d’encanaillement, d’Art littéraire ou encore de modernité.

Le langage soutenu et les élites

Quid du langage soutenu ? Seul rempart contre l’affaissement du langage et dernier bastion de la culture dite bourgeoise. Lui-même est victime de son époque, de son image et de ceux qui l’utilisent. S’il reste prépondérant dans les universités ou les grandes écoles, il n’est plus guère utilisé par l’élite qui nous gouverne. Le « Casse toi pauv’ con » a mis à mal le registre élevé. De même, les libertés prises avec le discours dans les médias écrits ou télévisuels sont symptomatiques d’un nivellement par le bas.  Et quand il est usité, il provoque non sans une certaine légitimité, le rejet. Le discours des technocrates qui en usent et en abusent est alors excluant, anxiogène, car compris d’une très faible minorité. Il provoque la défiance de ses auditeurs tant il est incompréhensible.

Depuis le début des années soixante-dix et la parution de l’ouvrage de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, Les héritiers, les étudiants et la culture, l’accent est mis sur l’appropriation d’une langue moderne, qui exalte les bienfaits du vocable populaire en opposition à celui de l’élite, au nom de la lutte des classes. Le registre soutenu alors synonyme de savoir était aux mains du plus petit nombre, les héritiers de la classe bourgeoise d’avant-guerre. Dès lors, les années qui suivirent furent employées à mettre en valeur un langage détaché de tous les carcans sociaux dans un souci d’égalité. Cinquante ans plus tard, le constat est amer. Certes la libération du sens s’est accompagnée d’une libération de la forme mais au profit d’un appauvrissement. En effet, si le creuset existant entre les différents registres de langue ne s’est pas agrandi, force est de constater que s’est opérée une uniformisation par le bas.

Aujourd’hui le dictionnaire se divise en deux catégories, les tenants d’un langage technique, et ceux qui n’ont pour seul vocabulaire qu’une langue courante aux accents familiers et teintée d’argot. 

Au milieu ? Plus grand-chose.

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Andrés Rib

Ancien de la Sorbonne. Professeur de Lettres. Aime le Balto, et la Philo.

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