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La coupe du monde de football au Brésil et le Tour de France tombent en même temps cette année. Ces divertissements sportifs soulèvent régulièrement les passions : dopage pour l’un, argent roi pour l’autre, ces deux sports semblent les plus honnis et sont pourtant parmi les plus rassembleurs dans nos contrées. Le professeur Bérurier, qui ne cache pas son amour de la petite reine, met les pieds dans le plat et s’interroge sur l’utilité de ces divertissements.

Réfléchir en termes d’utilité de la chose sportive, plus particulièrement de la chose cycliste contre la chose footballistique n’est pas si malvenu. Si la France n’avait pas été encore une fois éliminée du champ de bataille par la puissante Allemagne, le Président Hollande aurait pu, paraît-il, changer la date des festivités du 14 juillet afin d’assister à la grande finale. Entre le divertissement national et la mémoire d’une tranche de notre histoire, l’homme avait fait son choix.

A l’instar de Nicolas Sarkozy, François Hollande ne semble pas amoureux de la France comme l’était le président Chirac. Il se fout de son terroir comme le montre ses rapides apparitions au Salon de l’Agriculture ou en Province, il se fout de sa géographie comme on a pu le voir sur sa nouvelle carte des régions, déjà remise en cause par le parlement. Il n’a donc pas de raison profonde d’apprécier ce moment particulier du mois de juillet où le bruit des roues libres raisonne sur les pavés du Nord ou sur le bitume grimpant au Galibier. Or, la grande boucle porte un intérêt indispensable pour la France et sa bonne santé. Le Tour de France est une réminiscence sorcière d’une France qui n’existe plus, d’une culture commune à tous les citoyens.

Le cyclisme, sport de patience

Le vélo, c’est la solitude. Un sport d’endurance et de patience. Le coureur cycliste enfile les kilomètres et regarde devant.

En 1923, le tour de France a vingt ans. Henri Pélissier se fait mousser en enquillant deux sommets qui vont lui donner le tout premier maillot jaune de l’histoire du tour. Seul sur son vélo, il se fait reluire les jarrets en lustrant la selle de ses dandinements de fesses. A l’arrivée à Paris, Pélissier reçoit une ovation de la foule massée sur les gradins du vélodrome du Parc des Princes, stade utilisé pour le sport roi du temps, le cyclisme. Le vélo, c’est la solitude. Un sport d’endurance et de patience. Le coureur cycliste enfile les kilomètres et regarde devant. En 90 minutes, sur une pelouse synthétique, le footballeur fait rêver les foules par une balle bien cadrée ou par une passe décisive. On perd le match, on pleure, pour faire croire qu’on y met ses tripes malgré la prime en million que l’on touchera pour avoir foulé le terrain. Une seule magie subsiste encore : le poids de la tension, la force des nerfs qui explosent ; la force qui fait chialer les petits et qui pousse un Zidane à faire perdre une finale de coupe du monde sur un coup de tête. Cette tension que l’on ressent aussi bien au stade que sur le canapé brille par son caractère unique. Mais les foules massées le long des routes de l’hexagone, les diables rouges venus rappeler aux coureurs que tirer le malin par la queue aura des conséquences, les coups de poussettes sur les derniers virages avant le sommet d’un petit comptable en vacances qui se sent nécessaire ont une force plus profonde, car collective. Elle engage toute l’âme du spectateur, elle engage tout son corps et tous ses sens.

Le tour de France, épreuve sensuelle et repoussante

Les sons émanent du peloton avec une puissance évocatrice formidable. Le spectateur est pris dans l’instant par cette force du mouvement qui aurait dû être peinte par les futuristes italiens. Ces spectateurs ont, comme les coureurs en selle, la patience dans la peau. Regarder le tour sur une route de France, c’est accepter une longue attente, c’est être littéralement allumé par le passage de la caravane publicitaire, c’est espérer des échappées et un peloton disloqué, pour que cela dure un peu plus longtemps. A l’époque de l’immédiateté et du tout, tout de suite, cette attente typique du passage du peloton rappelle la vraie valeur du temps qui passe. Pour le spectateur, le poil se dresse, les pieds sentent le bitume vibrer, les roues libres raisonnent encore quand passe la lanterne rouge, dernier coureur du peloton, spectacle du courage de l’être humain. C’est l’espoir, la patience et le courage comme vertus majeures.

L’exploit irréel de ces coureurs crée une force galvanisante. Quiconque a déjà enfourché un vélo pour 50 kilomètres d’un coup se rend bien compte de l’exploit physique et mental de ces colosses de muscles. Ces forçats de la route, comme les appelait le journaliste Albert Londres, ne sont pas enviables, à la différence des footballeurs chez qui l’effort ne semble pas à la hauteur de la rétribution et des récompenses exagérées. Pour la paix sociale, on crée des sections football dans les collèges de France et de Navarre. Certains de ces gosses y sont repérés par les centres de formation de clubs nationaux. Combien d’entre eux réussiront dans ce métier entre les amis-agents de joueurs aux dents longues et les longues heures d’entraînement. Le sport vélocipédique a ceci d’utile aux Français : il ne fait pas rêver, il n’est pas un leurre. Le vélo est un effort. Ce goût de l’effort paraît un peu oublié ces temps-ci.

Le vélo, le football, la société et les médias

Le brillant du footballeur qui sort de Segpa et dit merde à son entraîneur fait rêver les gosses mais il n’y a évidemment que peu d’élus. Le cyclisme a su dès le début du Tour de France casser ce vernis médiatique. L’épreuve rime plus avec dopage et condamnation qu’avec réussite, fric et grosses cylindrées. Certains coureurs cyclistes se droguent. Combien de footballeurs, s’il ne s’agit de drogue, tombent sur la cheville gauche et se tiennent la droite pour mériter un penalty ? Le sport professionnel est un divertissement, un spectacle théâtral. Le Tour de France, avec ses surnoms exotiques, dignes des plus belles épithètes homériques, est une tragédie épique qui se joue en étapes plutôt qu’en actes.

Tristan Bernard écrivit de nombreux reportages sur le Tour de France. Il est l’auteur de cette maxime fameuse : « Quand le Tour de France passe, la France est sur le pas de sa porte ».

Le football du XXIème siècle, c’est Nicolas Anelka qui fait des quenelles sur le terrain et qui insulte son entraîneur, seul référent adulte. Comme l’école, le football fait face à une crise de l’autorité, de la référence. Le cyclisme est un sport trop dangereux pour se comporter en gamin pourri d’argent. Le footballeur, objet gagnant ou perdant sa valeur au rythme des clubs, des matchs et des talents, peut jouer n’importe où. L’espace du stade est un ovale fermé, un lieu clos, toujours vert. Le seul changement est climatique. Les footballeurs sont les gladiateurs des temps nouveaux. Le cycliste lui, travaille dans un espace ouvert, entre la nature et le grain du bitume toujours prêt à grignoter quelques centimètres carré de peau à la moindre chute. Toujours debout sur sa monture, toujours en mouvement, le coureur cycliste est un oiseau libre mais contraint par son milieu, l’équipe, le peloton. Le cycliste est seul maître à bord mais il est entouré. Le vélo c’est la solitude en interactions.

A ses débuts, le Tour de France n’eut pas tellement séduit les foules. Mais avec les années, des personnalités s’y greffèrent et attirèrent les passions. Tristan Bernard écrivit de nombreux reportages sur le Tour de France. Il est l’auteur de cette maxime fameuse : « Quand le Tour de France passe, la France est sur le pas de sa porte ». Traditionnellement, le cyclisme a attiré les intellectuels. De Tristan Bernard à Eric Fottorino, en passant par l’alcoolique Antoine Blondin écrivant pour l’Equipe, la grande boucle n’a pas dû faire face au mépris comme le football. Sport pourri par les capitaux et sans doute trop populaire encore aujourd’hui, le football a longtemps été détesté par nombre d’intellectuels qui lui préféraient le rugby ou les sports plus solitaires, plus enclin à l’introspection. Jusqu’à Philippe Labro qui décrivait il y a peu, les footballeurs comme des « gosses chialeurs », on n’ose pas reconnaître une certaine beauté à ce divertissement sportif. L’explication pourrait être la suivante : plus qu’un simple sport individuel, le cyclisme et plus particulièrement le Tour de France permet d’ouvrir le regard sur l’histoire, la géographie et la beauté du pays. En près de vingt ans de Tour de France, la voix de Jean Paul Ollivier m’est devenue familière. Durant chaque étape, France Télévisions fait l’effort de fournir quelques minutes de direct à l’homme qui sait d’où vient cette appellation de village, l’origine d’une abbaye ou la spécialité culinaire d’une région, bref au savoir. C’est encore une des utilités du Tour de France : on s’y dessine une géographie intérieure de notre pays, on y voit des images aériennes que l’on ne voit même plus dans les manuels d’histoire-géographie. Regarder le Tour c’est aussi apprendre à connaître et à aimer son pays. Nous sommes nombreux à en avoir bien besoin.

Ces quelques lignes sont dédiées à Monsieur Jean-Paul Ollivier qui participe à son dernier Tour de France ainsi qu’aux grands disparus : le campionnissimo (Fausto Coppi), l’aigle de Tolède (Fédérico Bahamontès), Poupou (Raymond Poulidor), le cannibale (Eddy Merckx), le pirate (Marco Pantani) et les autres.

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Christophe Berurier

Christophe Berurier est professeur. Il aime les mots et le vélo.

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