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Le samedi 17 novembre a vu, pour la première fois depuis les Bonnets rouges, un mouvement populaire se former contre le matraquage fiscal étatique. Loin d’être une simple jacquerie, la manifestation trouve même d’étonnantes similitudes avec l’histoire … romaine.

Avec près de 300 000 personnes mobilisées, le mouvement des « Gilets jaunes » est une réussite considérable, même si cette dernière se voit entachée par le décès d’une manifestante.  Il ne s’agit d’ailleurs pas d’une simple manifestation, corsetée par les mouvements syndicaux et contrainte de suivre le même cortège dans les rues de Paris : l’essence du mouvement est de passer outre les corps intermédiaires. Alors que les récents mouvements sociaux n’ont mobilisé personne – ou presque – les gilets jaunes sont parvenus à faire ce que la France insoumise tente depuis un an, à savoir fédérer la rue contre le gouvernement.

« La pétition, signée par plus de 800 000 internautes, rappelle elle aussi que les partis politiques comme les syndicats sont incapables de juguler le ressentiment populaire. »

Il est faux, d’ailleurs, d’évoquer « la rue ». La reprise massive du mouvement en Charente-Maritime, en Dordogne, dans les Pyrénées Atlantiques ou dans la Haute-Vienne montre un maillage territoriale inédit pour un mouvement social. Les bocages, les chemins de traverse et les bourgs sont tout autant – voire davantage – en colère que « la rue ». La pétition, signée par plus de 800 000 internautes, rappelle elle aussi que les partis politiques comme les syndicats sont incapables de juguler le ressentiment populaire et n’offre aucun moyen d’action crédible pour exprimer la révolte. Jérôme Fourquet (IFOP) a aussi rappelé un point crucial sur le plateau de C dans l’air : « Les 2000 points de blocage répartis sur toute la France montrent la diffusion spatiale de cette colère. Il y a eu un vrai écho dans les profondeurs du pays ».

Vers un non-consentement (salutaire) à l’impôt

Dans les colonnes du Parisien, Christophe Guilluy (No Society, la fin de la classe moyenne occidentale, éditions Flammarion) abonde en ce sens : « A chaque fois, la grogne vient de territoires qui sont moins productifs économiquement, où le chômage est très implanté. Ce sont des territoires ruraux, des petites et moyennes villes souvent éloignées des grandes métropoles : ce que j’appelle la France périphérique« . Et le géographe de rajouter : « Le monde d’en haut ne parle plus au monde d’en bas. Et le monde d’en bas n’écoute plus le monde d’en haut. » Après le matraquage fiscal des classes moyennes opéré par François Hollande, Emmanuel Macron semblait être le candidat de la rupture ou tout du moins – pour les plus réalistes – celui qui allait desserrer l’étau fiscal qui étrangle les Français. Las.

« Les gilets jaunes incarnent ce trop-plein de ressentiment à l’égard du centralisme parisien. Pire : la population ne consent tout simplement plus à l’impôt. »

Emmanuel Macron ne fait que poursuivre une folie française qui conduit chaque représentant politique à répondre à tous les problèmes par la création d’une nouvelle taxe ou d’un impôt nouveau. La France rurale, désertée par les transports et par l’ensemble des services publics, est dépendante de la voiture et l’augmentation du prix du carburant constitue un coût supplémentaire que le Président des métropoles et des urbains ne peut pas comprendre. Une telle augmentation pourrait se comprendre si l’aménagement du territoire était reconsidéré, avec une réflexion d’ampleur sur les nouveaux modes de transports ainsi que sur le développement souvent anarchique des métropoles. Les gilets jaunes incarnent ce trop-plein de ressentiment à l’égard du centralisme parisien. Pire : la population ne consent tout simplement plus à l’impôt, lorsque ce dernier devient spoliation fiscale. La Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen de 1789 elle-même rappelle que l’imposition doit être consentie par le contribuable ! Il s’agit d’un fondement majeur du « contrat social » vendu aux citoyens depuis plus de deux siècles … Et force est de constater qu’il est rompu.

La sécession de la plèbe

Dans son Histoire de la Rome antique (Robert Laffont, collection Bouquins), Lucien Jerphagnon rappelle qu’aux alentours du Ve siècle avant Jésus-Christ, se produit un évènement décisif dans l’histoire de l’édification de la Ville éternelle : « Frustrés des responsabilités auxquelles ils se voyaient en droit de prétendre, les plébéiens décidèrent le schisme, autrement dit se retirèrent sur l’Aventin (…) Les patriciens voulaient la séparation ? – Qu’à cela ne tienne : la plèbe leur imposait la sécession pure et simple ». Deux autres sécessions eurent lieu (-449 et -287), avec toujours un même corollaire : lorsque les patriciens (les citoyens de la classe supérieure) se constituent en oligarchie et abusent de leur privilège, la plèbe choisit de se retirer. Nous ne sommes pas encore en état de sédition, mais force est de constater que le parallèle historique se justifie. La plèbe, les sans-grandes et « monsieur Tout-le-monde » font le choix de ne plus consentir au racket fiscal piloté par l’oligarchie au pouvoir.

« Le changement introduit par Constantin dans les finances fut une des principales causes de la chute de l’empire romain. »

A travers son Essai sur les taxes, le philosophe David Hume démontre même que la chute de l’empire romain serait causée par l’excès d’impôts décidé par les différents empereurs : « Le changement introduit par Constantin dans les finances fut une des principales causes de la chute de l’empire romain. (…) Les peuples de toutes les provinces furent si excessivement opprimés par les exactions des receveurs publics, qu’ils allèrent au-devant des armées victorieuses des nations barbares, et se mirent sous la protection de conquérants ». Là encore, la similitude est troublante. Il s’agit bien des nouveaux plébéiens des provinces qui entrent en lutte contre un État qui les prive de leurs maigres ressources. Pour l’historienne de l’antiquité Virginie Girod *, cette analyse se justifie : « Cela me semble pertinent, mais il faut toujours analyser avec prudence et avec mesure. Il faut aussi toujours du pain et des jeux pour que le peuple ne s’occupe pas de politique … Nous avons Cyril Hanouna pour les jeux, mais il n’y a pas assez de pain ».

La France « des territoires » selon le vocabulaire de l’ENA, la France « qui écoute les GG » pour les urbains qui se piquent de cynisme, la France « qui fume et qui roule au diesel » pour le porte-parole du gouvernement, bref, la France en dehors du périphérique est à cran. Déjà dépossédée de son art de vivre dans plusieurs zones, quand elle n’est pas privée de sa sécurité ou de son beau tissu de solidarités, la France sort d’un long sommeil et se réveille pour dire aux nouveaux patriciens qu’elle est au bord de la sécession. Nos dirigeants auraient donc tort de ne pas méditer cette sentence de Jules César : « Tous les hommes ont naturellement au coeur l’amour de la liberté et la haine de la servitude. »

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*Virginie Girod a notamment publié Théodora, Prostituée et impératrice de Byzance aux éditions Tallandier.

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Julien Leclercq

Fondateur du Nouveau Cénacle et auteur de "Catholique débutant" paru aux éditions Tallandier.

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