Partagez sur "Les mondes communistes : entre bain de sang et illusions collectives"
Jean-Christophe Buisson publie Le Siècle rouge, Les mondes communistes 191-1989 aux éditions Perrin. Une fresque impressionnante qui retrace cent ans d’une idéologie qui a bouleversé la vie politique et intellectuelle du XXe siècle.
Après son analyse très réussie de l’année 1917, Jean-Christophe Buisson reprend le même procédé pour faire le récit, année par année et mois par mois, de l’histoire du communisme à travers le monde. Au cours de l’introduction, Buisson affirme : « Réduire le communisme aux horreurs qu’il a engendrées et charriées est tout aussi antihistorique que nier leur réalité et leur ampleur inédite. Comme il serait coupable de ne pas rappeller quels immenses espoirs il a suscités, quels progrès sociaux il a permis, quel rôle il a joué dans des combats pionniers. Et ce que furent le courage, la détermination et la foi de ses premiers militants, dont les profils et les destins font immanquablement penser à ceux des chrétiens des catacombes sous l’Empire romain des premiers siècles après Jésus-Christ ».
Les massacres du communisme mis à part, le parallèle avec les premiers siècles du christianisme est intéressant : le zèle des premiers rouges rappelle la foi inébranlable des premiers convertis qu’aucun péril ne semblait atteindre. De même, les grandes figures du soviétisme qui sillonnent le monde pour rencontrer les révolutionnaires étrangers (comme les troupes de Tchang Kaï-chek à Shangaï qui sont financées et formées par l’URSS) renvoient aux voyages des apôtres qui fédéraient les communautés chrétiennes autour des premières églises.
Le livre commence d’ailleurs en 1919 et non en 1917 car il s’agit de l’année de création du Komintern, c’est-à-dire de l’Internationale communiste, sorte de parti mondial qui vise à exporter le communisme dans tous les pays. Europe de l’Est, Asie, Amérique du Sud : l’étincelle partie de Moscou a embrasé la quasi-totalité des continents.
La fin des espérances collectives
La riche iconographie de l’ouvrage est aussi passionnante que les textes qui le composent. Les milliers d’affiches, plaquettes et autres photographies illustrent le gigantisme de la propagande communiste dans les pays au sein desquels la doctrine a prospéré. A l’inverse, la contre-propagande américaine – surtout sur le plan cinématographique – rend compte de l’incroyable guerre des images entre les deux blocs afin de prendre le contrôle des esprits. Les années 2000 n’ont rien inventé sur ce plan : le matraquage médiatique autour de la PMA dite pour toutes n’atteint certes pas les sommets du milieu du XXe siècle, mais l’héritage est bel et bien présent. La richesse de ce livre réside aussi et surtout dans l’apprentissage de l’esprit critique à l’égard des différentes formes de propagandes auxquelles nous avons le droit quotidiennement.
« L’agonie du communisme conjuguée à la déchristianisation occidentale a donné naissance à un individu qui ne croit plus au ciel ni au drapeau de son pays. »
Le délitement rouge qui débute à la fin des années 70 (suite à l’invasion de l’Afghanistan) culmine avec la Chute du Mur de Berlin en 1989 puis la dissolution de l’URSS au cours des années 1990. L’évènement marque ce que le philosophe Jean-François Lyotard nomme la fin du « Grand récit unificateur », autrement dit l’épilogue des mouvements collectifs au nom d’une transcendance. L’agonie du communisme conjuguée à la déchristianisation occidentale a donné naissance à un individu qui ne croit plus au ciel ni au drapeau de son pays.
L’effondrement du bloc soviétique a mis fin au « passé d’une illusion », pour reprendre l’expression de François Furet. A présent, l’unique mouvement transnational qui sait fédérer les différents ressentiments contre le monde occidental, c’est l’islam. Et les comparaisons avec le communisme – volonté d’expansion, embrigadement, fanatisme – sont multiples. L’historien Maxime Rodinson soutenait d’ailleurs que « L’islam est un communisme avec Dieu », et l’alliance objective entre l’extrême-gauche d’aujourd’hui et l’islam qui prospère dans les anciennes « cités rouges » n’est pas anodine. Après avoir lu ce livre, le lecteur ne peut que se demander si les braises sont encore brûlantes. Reste à savoir si elles sont encore rouges, ou si elles ont déjà tourné au vert.