Commentaire sur la France comme elle va ou ne va pas, inspiré par les événements et la lecture de Théorie de la dictature[2] de Michel Onfray.
« La démocratie donne aux cons le pouvoir d’étouffer les intelligences ; c’est d’autant plus atroce que l’intelligence ne choisit pas son milieu social pour naître, les prolos donnent autant d’enfants rusés que les profiteurs. » – Mic Berth
« La Ligue des droits de l’homme est très inquiète. Elle demande tous les jours avec angoisse si on en fusille assez. » – Jean Anouilh
La France est-elle toujours une démocratie ? Il y a un an, en septembre 2018, j’introduisais mon article de rentrée[3] sur Le Nouveau Cénacle par cette même phrase. Il me semble hélas que le temps n’a rien fait à l’affaire, et de démocratie, la France s’abîme chaque jour un peu plus en décramotie. Si Michel Onfray n’invente pas la poudre dans son essai Théorie de la dictature, pas plus qu’il ne révolutionne l’exégèse orwellienne[4], son analyse de 1984 et de La ferme des animaux épouse à merveille les contours de la Macronie, héritière syncrétique de la Giscardie, de la Mitterrandie et de la Socialie post-mitterrandienne. Le philosophe normand dégage sept pistes pour caractériser la dictature : détruire la liberté, appauvrir la langue, abolir la vérité, supprimer l’histoire, nier la nature, propager la haine, aspirer à l’empire. Il suffit de prendre au mot chaque item et de l’appliquer à la France de 2019 pour constater qu’Onfray, en dépit de ses défauts, ne se résume pas à un ex-gauchiste devenu réac. Son analyse est lucide et fondée en faits. Démonstration…
La société de la surveillance
Selon Onfray, « pour détruire la liberté, il faut assurer une surveillance perpétuelle ; ruiner la vie personnelle ; supprimer la solitude ; se réjouir des fêtes obligatoires ; uniformiser l’opinion ; dénoncer le crime par la pensée ». Qui peut nier aujourd’hui que la surveillance est omniprésente et qu’elle ne cesse de s’accroître ? Flux Internet, cartes bleues, GPS, téléphones portables, caméras de vidéosurveillance, parfois équipées de micros, contrôle minutieux de tout ce qui est dit ou écrit à grand renfort d’appels au boycott, à la censure, à la pénalisation de toute expression ou pensée hétérodoxe… Les atteintes à la vie privée sont multiples, qu’elles soient perpétrées au nom de l’hygiénisme, de la protection des femmes ou de celle des enfants. Les boites courriel sont violées en permanence par les fournisseurs, pour vous rendre service soi-disant ; en réalité pour vous vendre de la pub, cette pornographie, et mieux refourguer vos données aux autorités le cas échéant. Un vrai succès, le courriel est devenu quasi-indispensable, et vous ne pouvez quasiment pas en disposer si vous n’acceptez pas les conditions iniques de fournisseurs léonins. La solitude est suspecte à l’heure de la transparence, quand bien même comme le notait justement Philippe Muray, ceux qui n’ont rien à cacher sont déjà un peu morts. « On ne comprend rien à la civilisation moderne si on admet pas d’abord qu’elle est une conspiration contre toute forme de vie intérieure » (Georges Bernanos).
Les opposants aux J.O. de Paris 2024 tout comme ceux qui ont regretté le battage médiatique autour de la coupe du monde de football, ces réacs grincheux, savent ce qu’il en coûte de ne pas se réjouir lors des fêtes obligatoires ; Festivus Festivus[5] a gagné la bataille de la communication. Quant à l’uniformisation de l’opinion, l’essentiel de la presse d’information est détenue en France par quatre milliardaires, dont un gendre et son beau-père. Quand un journaliste l’emmerde, le très démocratique PDG de Free, Xavier Niel[6], achète des parts dans le journal, et comme par miracle, il s’en vante, les ennuis cessent. Quel titre de presse à grand tirage défend la souveraineté de la nation ? Une critique de la société libérale-libertaire ? Une relocalisation en opposition à la globalisation vendue au Saint-Fric mondialisé ? Quel grand média défend une Europe fondée sur les États et les peuples ? Et non le gloubi-boulga technocratique actuel, auquel il est, selon l’ex-président de la Commission Junker, impossible de s’opposer sans être anti-démocrate… Drôle de conception de la démocratie, qui est, rappelons-le, le régime politique dans lequel le peuple gouverne par la volonté du peuple et au service du peuple, et où se pratique l’art de la dispute civilisée. Rien à voir donc avec la palanquée de technos européistes qui décident du sort des peuples depuis leur bureau à mille lieues d’un terrain qu’il ne connaissent pas, et dont ils ne veulent rien savoir, en fonction de leurs intérêts financiers, en ignorant ostensiblement la voix des peuples, ces populistes infâmes qui refusent d’entendre que le déclassement et le changement de civilisation liés à la globalisation sont un progrès. La construction d’un ennemi populiste par les élites européennes en voie d’être dépassées est symptomatique. Pas d’argument à opposer à la réalité, c’est donc que la réalité est populiste.
Le sens des mots
Je pourrais détailler ainsi les sept pistes explorées par Michel Onfray. Il suffit de lire la presse, de jeter un œil sur les programmes scolaires de Français, ou plus simplement de tendre l’oreille au quotidien pour constater, simplement constater que l’appauvrissement de la langue est non seulement réel, mais à un stade avancé. Les mots n’ont plus de sens. L’idéologie est à tous les étages scolaires et médiatiques ; la France, cet astre noir de la nuit des temps, est forcément esclavagiste, colonialiste, raciste, sexiste, homophobe, patriarcale, génocidaire… Il n’est qu’à lire les programmes d’Histoire, les productions universitaires, écouter les sociologues autorisés et les Patrick Boucheron en service commandé pour réécrire l’Histoire sous couvert de l’autorité morale du Collège de France[7]. Les lois bioéthiques s’affranchissent de toutes limites au nom du droit à… au choix : l’enfant, mourir dans la dignité, ne pas avoir d’enfant (liste non-exhaustive). La responsabilité individuelle s’efface devant la technologie. Et tant pis si les enfants naitront sans père ou sans mère, tant pis si on arrachera le consentement à l’euthanasie aux vieux pour soulager les comptes de la sécurité sociale. La civilisation est vaincue par le progrès et le culte individualiste du j’ai droit à. On transforme les opposants en ennemis, on distille la haine au nom de la démocratie et du progrès, on fait taire les gêneurs à coups de XVIIe chambre correctionnelle et de lynchage médiatique, on formate les écoliers comme de vulgaires clés USB à défaut de les instruire. Avec l’État-maman, plus besoin de Liberté, si ce n’est la liberté de consommer et d’applaudir à l’hubris[8] progressiste. Une fois n’est pas coutume, je conseille vivement la lecture de Michel Onfray ; son essai est éclairant et offre un autre regard sur la société française telle qu’elle se métamorphose.
Comme le disait un vieux dégueulasse[9], « il n’y a que trois façons de s’en sortir : se saouler, se flinguer ou rire ».
[1]Terme emprunté à la belle chanson des Têtes Raides Patalo.
[2]Michel Onfray, Théorie de la dictature, Robert Laffont, 2019.
[3]Le Librairtaire, « Sommes-nous en démocratie ou en décramotie », lenouveaucenacle.fr, 19 septembre 2018.
[4]Son étude des deux fictions anti-totalitaires d’Orwell est une bénédiction pour les lycéens atteints de flemmingite aigüe à l’heure d’étudier ces œuvres. L’analyse produite par Onfray a le mérite d’être claire et didactique, d’une lecture agréable par ailleurs, ce qui ne gâche rien.
[5]Philippe Muray, Festivus Festivus, Conversations avec Elisabeth Lévy, Fayard, 2005.
[6]Sur ce charmant personnage et néanmoins bienfaiteur de Macron, je vous renvoie à l’ouvrage de Juan Branco, Crépuscule, Au Diable Vauvert / Massot Éditions, 2019.
[7]Patrick Boucheron (dir.), Histoire mondiale de la France, Le Seuil, 2017.
Chercher dans l’histoire de France des détails et des exceptions pour justifier une idéologie politique contemporaine, aussi respectable soit-elle, relève de l’anachronisme, de l’erreur scientifique, voire de la malhonnêteté intellectuelle. Boucheron fait avec cet ouvrage la même chose que son ennemi Zemmour, une lecture politique, donc partiale, partielle et subjective, de l’histoire. La différence avec Zemmour est que ce dernier ne se prétend pas historien, mais journaliste passionné d’histoire, n’en déplaise à Gérard Noiriel (qui n’est pas le dernier à tremper sa plume dans le venin, pour détourner le titre de son essai Le venin dans la plume, La Découverte, 2019, comparant le Juif Zemmour à l’antisémite Drumont, avec une classe qu’il faut souligner).
[8]Outrance de comportement, démesure. Chez les Grecs, l’hubris est tout ce qui dans le comportement des hommes est considéré par les dieux comme démesuré, et appelle donc leur vengeance (Source : www.larousse.fr).
[9]Charles Bukowski.