Les éditions Equateurs publient le journal de Sylvain Tesson. De 2014 à 2017, l’écrivain s’est lancé dans cette « entreprise de lutte contre le désordre » en confiant ses souvenirs et ses impressions sur le monde. Une lecture agréable, au sens noble du terme.
Deux termes résument Une très légère oscillation de Sylvain Tesson : silence, et hauteur. Deux quêtes que notre aventurier des temps modernes mène de Cassis à Notre-Dame de Paris, en passant par Genève, le cratère du volcan Villarrica au Chili et les Pyrénées.
Cette ambition, il la résume dans ses pages de février 2017 : « Quand on approche du vide, et pour peu qu’on ne le craigne pas, on pourra se souvenir de cette phrase d’Erri De Luca (dans Le Plus et le moins) : ‘IL EST DANGEREUX DE SE PENCHER AU-DEHORS, dit l’écrivain officiel des temps modernes. Il est nécessaire de le faire ». Ce désir de vertige, Tesson l’a poussé jusqu’à sa limite en chutant lourdement à Chamonix. Les pages consacrées à sa rééducation sont d’ailleurs éclairantes : à chaque instant, il veut se remettre sur ses jambes pour monter des marches. Grimper. Escalader.
« Sylvain Tesson est un Sénèque qui a découvert la varappe ».
L’écriture de Sylvain Tesson est cinématographique. Plongée, contre-plongée, zoom sur ce qui paraît insignifiant. Il cherche à se débarrasser du bruit ambiant, des villes enlaidies par la publicité et les machines, des hommes encombrants et vaniteux. Vivre haut pour vivre dans le silence. Il y a dans cette volonté permanente d’obéir au cosmos tout en cherchant la paix intérieure, une influence de la morale stoïcienne. Sylvain Tesson est un Sénèque qui a découvert la varappe.
Sylvain Tesson, écrivain antimoderne
Au fil des chapitres, Tesson se montre critique à l’égard d’une modernité qui n’est plus attentive au monde. Le téléphone portable semble en être la cause principale : « Parfois, on croise un regard dans la rue, mais c’est rare : les yeux consultent les écrans en permanence. Saint-John Perse dans son discours du Nobel a dit : ‘Le poète existait dans l’homme des cavernes, il existera toujours dans l’homme des âges atomiques’. (…) Mais Saint-John Perse n’avait pas prévu l’ère numérique. Celle-là viendra peut-être vraiment à bout de la poésie ». Un aphorisme résume encore mieux son point de vue : « Les hommes ont jeté sur le monde un linceul auquel ils donnent le nom d’écran« .
« A l’instar de l’auteur des Fleurs du mal qui vitupère lettre après lettre contre la presse et le culte du progrès, Tesson écrit à la fois pour et contre son époque ».
Sylvain Tesson est un antimoderne au sens où Antoine Compagnon entend cette expression. Comme Baudelaire, il est résolument moderne tout en étant fâché de l’être. A l’instar de l’auteur des Fleurs du mal qui vitupère lettre après lettre contre la presse et le culte du progrès, Tesson écrit à la fois pour et contre son époque. Ses quelques diatribes contre l’islam (« Je m’aperçois bien vite que j’ai eu grand tort de me plonger dans le Coran (…), car partout, de la France au Kenya, du Niger à l’Irak, de l’Egypte à la Syrie, l’actualité commet la faute quotidienne de pratiquer l’amalgame avec les recommandations du Livre Saint ») le placent résolument du côté des critiques du monde comme il va.
Ce journal mérite d’être lu, ne serait-ce que pour cette alternance entre ses confessions, ses impressions et ses aphorismes qui procure une agréable sensation de légèreté. Ce livre est aérien. Il emmène sur les cimes pour respirer la poésie de l’univers à pleins poumons. Il détache de l’abrutissement moderniste pour rattacher au silence de la terre. Tesson le dit si bien lui-même : « Ce monde est fatigant. On y fait un séjour fugace. Pour quoi ? Pour y prendre goût avant d’y renoncer ».
Liens
Sylvain Tesson, d’un parapet l’autre (Nouveau Cénacle)
Sylvain Tesson dans La Grande Librairie (France 5)
Antoine Compagnon, Baudelaire moderne, antimoderne (séminaire de 2012 au Collège de France)