Les élections européennes sont à nos portes. Dimanche, vous êtes sommés d’aller voter. Les journaux, spots radio, télévisés vous y enjoignent. Des affiches en 4 par 3 dans le métro parisien vous l’ordonnent, avec bienveillance. Impossible d’y échapper. Voter, oui, mais pourquoi ? L’idée d’États Unis d’Europe est ancienne. L’Abbé de Saint Pierre dès le début du XVIIIème siècle, Victor Hugo en 1849 ont proclamé cette idée, ou plutôt cet idéal. Pour la paix. Cependant, la construction qui s’est opérée par la suite a favorisé une concentration du pouvoir au sein de la Commission Européenne et d’instances non élues.
Pourquoi l’Europe ? « La paix ! » nous assènent nos hommes et femmes politiques, comme un réflexe. Cela avait peut-être du sens en 1957. Mais on remarque qu’après cette date, les conflits violents étaient plus souvent internes à un pays qu’entre États. L’exemple de la France en 1962, plus récent de la Thaïlande, ou même de l’Ukraine nous montre que les États occidentaux n’iront jamais vers une escalade armée de grande ampleur.
La peur de l’escalade guerrière, un argument daté
Cela est aussi à mettre en rapport avec l’armement atomique où la riposte signifierait littéralement la fin du monde, à la façon dont la guerre a changé de nature. Au final, les grands conflits armés avec leurs millions de morts sont derrière nous, même si certains agitent l’épouvantail chinois ou russe. La véritable guerre est technologique, informationnelle, économique. La mondialisation c’est l’interdépendance. Ainsi, c’est moins l’Europe qui a mis fin à la guerre que le processus de mondialisation lui-même. L’Allemagne a besoin de l’Europe, la Russie a besoin de l’Europe, la Chine a besoin de l’Europe et inversement.
L’argument de la paix est aujourd’hui caduc. Ajoutons que la création des États-Unis d’Amérique n’a pas empêché une guerre civile – la fameuse Guerre de Sécession – de se déclencher, mais passons.
Les adeptes du fédéralisme n’ont sans doute pas saisi que, pour produire une entité européenne unifiée, il faut surtout un ennemi commun. Une nation se structure contre quelque chose qui les menace. Les États-Unis se sont construits en grande partie contre l’Angleterre, les Suisses se sont unis par crainte des puissances limitrophes, la nation française de 1789 contre les monarchies alentour… Et l’Italie s’est forgée dans le sang. Ceux qui veulent plus de fédéralisme vont donc devoir passer par la guerre, sous quelque forme que ce soit, assez cocasse pour ces pacifistes paresseux.
Une méfiance due au « Moi je sais mieux que toi alors que je n’y comprends rien non plus »
Quand l’UMP proclame qu’il faut voter à droite pour battre un Parlement européen ancré à gauche, on sent la mascarade. C’est le PPE (la droite) qui a la majorité relative depuis les élections de 2009.
Mais la chasse à l’électeur est ouverte, avec comme arme de prédilection le scrutin proportionnel. Ah la proportionnelle, l’assurance d’une meilleure représentation, la démocratie à la portée de tous ! C’est surtout le meilleur moyen de perturber, voire parasiter le processus décisionnel, avec par exemple une IVème République et l’élection rocambolesque du pauvre René Coty au 13ème tour.
Par conséquent, il est normal que la circonspection envers les institutions européennes soit grandissante, car non seulement elles sont complexes à comprendre, mais en plus ne sont jamais expliquées aux électeurs. On observe une confusion dans les arguments de campagne. Même les partis politiques y perdent leur latin. Quand l’UMP proclame qu’il faut voter à droite pour battre un Parlement européen ancré à gauche, on sent la mascarade. C’est le PPE (la droite) qui a la majorité relative depuis les élections de 2009. Donc, soit ils mentent, soit ils ne connaissent rien aux institutions européennes. La question reste en suspens. A gauche, on observait un Cambadélis plein de bonne volonté, contre l’austérité en Europe mais pour la « rigueur » en France.
Ainsi, preuve que l’Europe n’intéresse personne ou presque, on gagne une élection européenne en évoquant quasi exclusivement des enjeux nationaux. A défaut d’être expliquée, l’Europe est utilisée à des fins politiciennes, par la gauche de confort, ou la droite et l’extrême droite subventionnées. Notons que ces élections sont tellement mal engagées que Marine Le Pen elle-même redoute une abstention parmi ses propres électeurs.
Une élection pour des compétences dérisoires ?
Concernant le Parlement, il a comparativement avec la Commission et le Conseil, assez peu de pouvoir. Il s’apparente plus à une sorte de tribune politique, ou un Cohn-Bendit ou un Mélenchon (quand il est présent) peut se perdre en envolées lyriques sans conséquence.
La Commission cumule aussi l’essentiel des activités législatives, ainsi que l’application des directives. La place du Parlement dans tout cela : il acquiesce.
La Commission cumule aussi l’essentiel des activités législatives, ainsi que l’application des directives. La place du Parlement dans tout cela : il acquiesce. Par opposition, celui-ci n’a pas l’initiative des lois européennes et n’a aucun pouvoir sur les traités en vigueur. Même si ce Parlement a un relatif pouvoir de décision vis-à-vis de la nomination des commissaires européens, là encore le compromis est la norme, et le peuple n’est pas consulté. Il faut bien voir que la commission européenne possède des effectifs pléthoriques, 34 000 personnes, qui par le biais des directions générales, sont chargées de produire des textes qui seront ensuite votés au Parlement et adoptés par les organes législatifs nationaux.
A l’opposé, le Parlement n’a pas de fonctionnaires dédiés, et si l’on s’aventure à un rapide calcul prenant en compte le nombre de députés, 751, et qui leur est alloué pour payer des attachés parlementaires, on parvient à un chiffre autour de 1 500 personnes, soit un rapport de 1 à 20 par rapport à la Commission. On constate le déséquilibre des forces. Voter pour des gens plus ou moins incompétents dans une configuration démocratique, ce n’est pas le mieux, mais voter pour des gens dans un système qui organise la non démocratie, c’est pire.
Pour ces élections, on parle d’un désastre annoncé, avec une abstention record. Et si ce désamour était voulu ? Lorsqu’on observe que le Parlement n’a pas vraiment de rôle dans le choix des membres de la commission, doit partager son « pouvoir » législatif avec le Conseil Européen, qui est lui-même une émanation des exécutifs nationaux. En clair, la plupart des décisions importantes se prennent au niveau inter-gouvernemental et non législatif.
L’Union Européenne : Une gouvernance sans citoyen
Ainsi, pour permettre la paix, il fallait retirer le peuple de l’équation démocratique, pour son propre bien. Substituer un peuple national à un peuple européen, un peuple introuvable en somme.
On a parfois l’impression que les commissaires européens et les différents chefs de gouvernements du Conseil de l’Europe se servent de la « démocratie » européenne pour leurs propres intérêts. En cela, si le but était de se débarrasser des citoyens, leurs actions au cours des trente dernières années, depuis l’Acte Unique, a été rationnelle. L’Acte Unique a préparé Maastricht, qui a placé le citoyen à l’arrière-plan : plus de liberté économique, moins de démocratie, avec pour corollaire une complexification des institutions grâce aux différents traités qui ont suivi et une relégation politique des votants.
Il s’agit d’être honnête. Ainsi, il serait sans doute plus sain de dire aux Européens que leur vote n’a aucun impact sur la marche institutionnelle de l’Union. Si l’on revient sur la genèse de l’institution, on observe parmi les principaux acteurs, Jean Monnet notamment, une peur viscérale du peuple, le même qui porta au pouvoir le NSDAP. Ainsi, pour permettre la paix, il fallait retirer le peuple de l’équation démocratique, pour son propre bien. Substituer un peuple national à un peuple européen, un peuple introuvable en somme. En effet, si l’électeur ne comprend pas le système dans lequel il vote, on peut lui faire dire n’importe quoi. On a tenté de le faire participer, à l’aide de référendums, assez grossièrement, même si le résultat n’a pas souvent été en accord avec les plans préétablis.
Mais l’Europe n’a pas que des inconvénients. La libre circulation est une bonne chose, même si les dirigeants ont pêché par excès de supériorité. Il faut sans doute remettre à plat les processus de décisions, avec une simplification et un resserrement des missions de l’Union par rapport au rôle des États. Avoir en même temps un édifice qui prétend étendre son pouvoir aux domaines économique, social, et monétaire sans tenir compte des particularités historiques et politiques des pays n’est pas viable. Cela n’existe d’ailleurs nulle part dans le monde.
Enfin, on voit que les pays ne sont pas d’accord sur grand-chose et cela a des effets pervers sur le fonctionnement de l’Union. Ainsi, sans même être un expert économiste de l’OCDE, les multiples failles institutionnelles de la création de l’Euro étaient assez apparentes. Robert Mundell et sa théorie de la zone monétaire optimale nous avaient fourni un mode d’emploi très complet. Il semble que les leaders n’aient pas lu, ni même parcouru ses travaux. Sur un autre plan, les récents accrochages sur l’immigration, déclenchés par un nouveau naufrage au large de l’île de Lampedusa ont de nouveau déchaîné les passions. Ainsi, comme au Canada, aux États-Unis, ainsi qu’en Norvège, il serait salutaire de créer un filet de protection solide et enfin mettre en place des accords d’immigration choisie avec les pays pourvoyeurs. Mais ça évidemment, personne ne le fait, et on laisse les extrêmes s’exprimer.
La conséquence de cette inaction, c’est la montée de protestations et de réactions assez peu cohérentes, comme la volonté d’abroger la libre circulation des personnes au sein de l’Espace Schengen alors que ce sont les frontières européennes qu’il faudrait renforcer, si on se place d’un point de vue pro-européen. Or, on n’a jamais pris les mesures nécessaires pour réguler l’immigration extra-européenne, et on se retrouve devant une cacophonie à l’intérieur de l’Europe. Il ne s’agit pas de jouer les incendiaires politiques en opposant les pauvres petits électeurs aux puissants confiscateurs, ni de « rendre le pouvoir » au peuple. Car d’un côté comme de l’autre, ce dernier demeure un élément assez pratique pour s’affubler d’une onction électorale de moins en moins évidente. On mobilise l’électorat car il possède le côté commode d’être toujours légitime, même si la majorité ne s’exprime plus par les urnes. Le Parlement Européen joue parfaitement son rôle cache-misère démocratique. A défaut de décider, au moins on vote.
On mobilise l’électorat car il possède le côté commode d’être toujours légitime, même si la grande majorité ne s’exprime plus par les urnes. Le Parlement européen joue parfaitement son rôle de cache-misère. A défaut de décider, au moins on vote.