Partagez sur "L’intimidation contre le débat : une recension et un florilège"
En 2016 a paru chez L’Artilleur un recueil intitulé Scènes de la vie intellectuelle en France. L’intimidation contre le débat[1].
Cet ouvrage, admirablement préfacé par Jean-Claude Michéa, est une collection de petits essais signés du professeur de philosophie André Perrin relatifs à divers événements ayant émaillé le landerneau médiatique et intellectuel ces dernières années : « l’affaire » Sylvain Gouguenheim et le scandale de la parution d’Aristote au Mont Saint-Michel[2], la suppression du mot « race » de nos textes de lois, l’équivalence des civilisations ou la question de savoir si expliquer c’est excuser, entre autres thèmes abordés. André Perrin y a adjoint un long et passionnant avant-propos intitulé L’art perdu du débat.
Au fil de son ouvrage, l’auteur démontre (et démonte!) avec humour et érudition les malhonnêtetés intellectuelles et autres manipulations auxquelles se livrent sans vergogne certains universitaires (idéologues, devrais-je dire, mais il semble que ce soit loin d’être incompatible), regrettant que l’anathème ait remplacé la disputatio, et que l’Autre pensant différemment soit considéré a priori comme un ennemi à détruire auquel il ne faudrait pas même octroyé la parole.
Plutôt que de composer une chronique sur cet essai, vigoureuse et salutaire défense de la liberté d’expression et de débat à lire, relire et faire lire de toute urgence, j’ai recueilli un florilège de citations[3] dont la vérité m’est apparue avec plus encore de vigueur après avoir lu l’ouvrage d’André Perrin. Les voici, par ordre alphabétique d’auteurs :
B
« La doctrine tue la vie. » – Bakounine
« On ne comprend rien à la civilisation moderne si on admet pas d’abord qu’elle est une conspiration contre toute espèce de vie intérieure. » – Georges Bernanos
« Ce sont les démocrates qui font les Démocraties, c’est le citoyen qui fait la République. Une Démocratie sans démocrates, une République sans citoyens, c’est déjà une dictature, c’est la dictature de l’intrigue et de la corruption. La Liberté de ne sera pas sauvée par les institutions (…).
Qui ne défend la liberté de penser que pour soi-même, en effet, est déjà disposé à la trahir. Il ne s’agit pas de savoir si cette liberté rend les hommes heureux, ou si même elle les rend moraux. Il ne s’agit pas de savoir si elle favorise le mal plutôt que le bien (…). Il me suffit qu’elle rende l’homme plus homme, plus digne de sa redoutable vocation d’homme, de sa vocation selon la nature, mais aussi de sa vocation surnaturelle (…). » – Georges Bernanos, La France contre les robots, Le Livre de Poche, 1970, pp. 28-28 (pour avoir la citation intégrale)
« Il est bon, il est sain que, dans un pays libre, les philosophies sociales se combattent librement. Il est, dans l’état présent de nos sociétés, inévitable que les diverses classes aient des intérêts opposés et prennent conscience de leurs antagonismes. Le malheur de la patrie commence quand la légitimité de ces heurts n’est pas comprise. » – Marc Bloch
C
« La nuance est le luxe de l’intelligence libre » – Albert Camus
D
« Je ne suis pas un journaliste de gauche : je n’ai jamais dénoncé personne. » – Guy Debord
« Dans une société victimaire où la souffrance fait la loi, l’homme qui rit a toujours tort. Tous les hommes sont égaux, mais ceux qui n’ont pas d’humour sont plus égaux que les autres. » – David Di Nota
G
« Pas plus qu’on ne réforme une société par décret, enfin, on ne réforme pas son pays contre son histoire. » – Marcel Gauchet
J
« La démocratie, qui reposait sur le contrôle, s’est endormie sur la complaisance. » – Robert de Jouvenel
L
« Force est de reconnaître, cependant, que l’obsession égalitaire, issue d’une conception sociologique et non plus politique de la démocratie, assortie de son corollaire obligé qu’est le principe dit de « non-discrimination », a fini par dégénérer en abolition autoritaire du discernement et déboucher sur une doxa pénalement sanctionnée. » – Anne-Marie Le Pourhiet, « Le droit français est-il Charlie ? », in Le Débat n°185, mai-août 2015, pp. 21-35
M
« Le politiquement correct est la langue des gens qui tremblent à l’idée de ce qui pourrait arriver s’ils arrêtaient de se mentir. » – Pierre Manent
« Celui des maîtres que vous avez choisi (si le choix vous en est laissé) proclame qu’il vous délivre de l’autre. C’est aux cris de « Vive la liberté! » qu’on vous enchaine et vous voilà bien contents d’être libres, entre deux tyrans qui se disputent vos services. Belle liberté, si chérie en effet qu’on ne la laisse pas sortir seule de peur qu’il ne lui arrive malheur, et qu’on la dote d’un conseil judiciaire pour lui conserver tous ses biens, en dépit d’elle-même. » – Louis Martin-Chauffier, L’engagement total, 1945
« Le pouvoir en France, qu’il soit monarchique ou populaire, a toujours eu le goût des médiocres. L’intelligence y fut toujours redoutée. » – François Mauriac
« Tant que les gens seront obligés d’écouter les deux côtés, il y a de l’espoir » – Stuart Mill
« (…) toute politique est devenue inutile parce qu’on peut combattre des idées mais jamais des intérêts (ceux-ci ne se laissent pas tuer). » – Philippe Muray
O
« La liberté, c’est la possibilité de dire à l’autre ce qu’il n’a pas envie d’entendre » – George Orwell
P
« Nos tartufes devraient tenir compte de notables changements intervenus pendant ces vingt cinq dernières années. La vieille morale chrétienne, si pratique, a tendance à s’effacer devant une éthique plus froidement utilitaire mais, fort heureusement, tout aussi contraignante, et qui par là-même devrait leur suggérer d’autres priorités qui leur permettront de rendre la vie de leurs concitoyens de plus en plus difficile, car il s’agit toujours de protéger contre lui-même un peuple imbécile. » – Georges Pichard
« Lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves et préfèrent les flatter, lorsque les jeunes méprisent les lois parce qu’ils ne reconnaissent plus au dessus d’eux l’autorité de rien ni de personne, alors c’est là en toute beauté et tout jeunesse le début de la tyrannie. » – Platon
R
« La France est peut-être le seul pays au monde où l’on cherche plus à réagir contre les idées dont on se choque, que contre les abus dont on souffre. » – Antonin François Rondelet, Réflexions de littérature, de philosophie, de morale et de religion.
S
« En dépit de toute la prospérité matérielle du pays, qu’y trouvons-nous comme sentiment prédominant ? Le vil utilitarisme avec sa compagne inévitable, l’ignorance, qui a frayé la voie à la stupide bigoterie anglicane, aux sots préjugés, à la grossièreté brutale associée à la niaise vénération pour les femmes. Et même des choses pires y sont à l’ordre du jour : l’esclavage révoltant des nègres, uni à la plus excessive cruauté contre les esclaves, la plus injuste oppression des Noirs libres, la loi de Lynch, les meurtres fréquents et souvent impunis, les duels d’une sauvagerie inouïe, le mépris de temps en temps affiché du droit et des lois, la répudiation des dettes publiques, l’escroquerie politique abominable d’une province voisine, suivie de raids rapaces sur son riche territoire, raids que le chef de l’État cherche ensuite à excuser par des mensonges que chacun dans le pays sait être tels, et dont on se moque. Ajouter à cela l’octilochratie toujours montante, et finalement l’influence désastreuse que la dénégation de la justice dans les hautes sphères doit s’exercer sur la morale privée. » – Arthur Schopenhauer
« Une démocratie dans laquelle le peuple n’a plus le droit de discuter de son identité est une démocratie sans le peuple, donc une coquille vide. » – Malika Sorel-Sutter
T
« En politique, ce qui est cru devient plus important que ce qui est vrai » – Talleyrand
[1]André PERRIN, Scènes de la vie intellectuelle en France. L’intimidation contre le débat, préface de Jean-Claude Michéa, 2016, L’Artilleur, 239 p.
[2]Sylvain GOUGUENHEIM, Aristote au Mont Saint-Michel, 2008, Seuil. Pour ce qui est relatif à « l’affaire », je vous renvoie à la lecture d’André Perrin, op. cit. « Le médiéviste et les nouveaux inquisiteurs », pp. 69-90.
[3]Ces citations ne sont pas issues du livre de Perrin, mais sa lecture me les a remises en mémoire avec une acuité telle qu’il me paraît intéressant d’en partager cette sélection.