La critique littéraire est un art que Yann Moix manie avec une grande dextérité. Il a fait ses armes durant plusieurs années au Figaro. Hypermnésique, sa mémoire phénoménale lui permet de retenir des milliers d’informations, de noms et de titres, et il s’en sert souvent à bon escient dans ses différentes critiques. Ses goûts sont assez sûrs.
Cependant, Yann Moix n’a pas su disparaître en silence. On le voit partout, tout le temps. Il parle beaucoup, surtout de lui. Sur une chaîne de radio, il s’essaie régulièrement à l’humour. Mais bien souvent ses remarques s’écrasent contre les parois insonorisées du studio et les membres de l’équipe qui l’entourent font entendre de petits rires forcés pour ne pas le laisser dans la panade.
Yann Moix aime la Corée, les romans, la littérature, Guitry – qu’il cite à tout va – et puis lui. Yann Moix s’aime et quand il laisse entendre qu’il n’a pas confiance en lui, il faut y voir de la fausse modestie. Cet homme est en permanence dans la posture, à la façon des Romantiques du XIXe siècle. Il prend la pose de l’écrivain incompris qui damne et condamne à tour de bras. Cependant cela sonne faux. Sa voix éraillée et faussement chantante ne nous laisse guère d’illusion.
Yann Moix aime aussi le cinéma. A la façon de ces acteurs, qui, parce qu’ils aiment la musique, décident un beau jour de s’emparer de textes griffonnés sur le coin d’une table et de les interpréter, Moix a voulu faire du cinéma. N’était le talent de Benoît Poelvoorde qui porte le film Podium à bout de bras, il aurait pu connaître l’échec plus tôt. Il faudra attendre le film Cinéman afin qu’il comprenne que le cinéma est une affaire de réalisateur et non de littérateur.
Yann Moix aime surtout la littérature. Sa littérature. Son dernier roman, Naissance, qui semble avoir frappé davantage les esprits par son poids que par sa prose, est une somme. Les critiques sont plutôt bonnes, fait remarquer à juste titre l’auteur, qui n’a pourtant pas pour habitude de se soucier de ce que pensent ses confrères. Yann Moix est désormais satisfait. Pourtant, à la lecture de son roman (comme dit Guitry dans Quadrille « Il ne faut jamais aller au devant des choses que l’on redoute »), notre enthousiasme fond comme neige à Paris.
Moix à la recherche du Proust perdu
La digression érigée au rang de technique romanesque n’est pas qu’un subtil subterfuge trouvé par l’écrivain pour noircir les pages de son cahier
Le roman de Moix est trop long pour qu’on puisse le lire intégralement, à moins d’être de ses amis ou de ses connaissances. Trop court aussi pour qu’on puisse le considérer comme un chef d’œuvre. La digression érigée au rang de technique romanesque n’est pas qu’un subtil subterfuge trouvé par l’écrivain pour noircir les pages de son cahier. Moix a fait du sautillement romanesque sa marque de fabrique, et le lecteur se retrouve pris dans un grand-huit interminable. Inévitablement, on saute du wagon en route. Et on laisse le train continuer sa folle cavale jusqu’au déraillement. Proust, que Moix prend volontiers comme exemple, a fait un livre autour d’un rien. Il n’y a pas d’action, pas de péripéties dans la Recherche. Yann Moix explique avoir voulu faire la même chose, et sans aucune gêne, il pousse les fauteuils autour de la grande table de la littérature, afin de placer, en jouant des coudes, sa petite chaise de paille entre Rabelais et Proust, ni plus, ni moins. Mais Moix a oublié que Proust a construit son œuvre autour d’un phrasé, et non d’un vide. Moix a construit son livre autour de lui.
Pour citer Guitry une dernière fois « Ceux qui font progresser les choses sont souvent des hommes de génie qui croyaient imiter des hommes de talent ». Peut-être.