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Ces derniers mois, les annonces de remakes et autres suites de films emblématiques du siècle dernier ont fait la Une des journaux américains. C’est une véritable avalanche de productions qui s’est abattue sur nous, en vrac : Jurassic World, Robocop, Terminator, A l’Est d’Eden, Oldboy, Mad Max, et autres Godzilla.

Certains semblent seulement envisager le cinéma américain comme ne se renouvelant pas, peu original. On a ainsi toujours coutume d’attribuer ses réussites et ses succès à une forme de marketing décomplexé, avec une sorte de sarcasme mâtiné de désinvolture. Comme si le puit sans fond d’idées s’était depuis longtemps tari.

« Le plagiat est nécessaire. Le progrès l’implique »

Les meilleures idées ne sont pas toujours les plus originales, d’ailleurs si une réflexion analogue survient chez plusieurs esprits en même temps, c’est en général qu’elle est bonne. Ainsi, l’idée est avant tout un détournement. Celui-ci est une manière pour l’art de se renouveler, atomisant l’idée originelle pour la faire aller dans des directions que l’on aura choisies. Ainsi, la théorie de Schumpeter s’applique précisément à l’histoire du cinéma. De Méliès à Spielberg, en passant par John Ford, les réalisateurs n’ont pas cessé de s’inspirer de leurs prédécesseurs pour détruire et reconstruire sur de nouvelles bases. Si l’on se penche sur la chronologie du septième art, on constate qu’un grand nombre de productions considérées – parfois à tort – comme des chefs-d’œuvre, sont en fait des réactualisations de films plus anciens (Ben-Hur, Scarface ou plus récemment Titanic ).

Au lieu de désigner des bouc-émissaires, il s’agit d’essayer de comprendre les mécanismes du remake pour nuancer le propos. En France, nos élites journalistiques aiment caricaturer le cinéma américain, favorisant les productions françaises, mettant de côté les politiques de distribution des groupes français. Cela est de bonne guerre.

Reste que les phénomènes de réappropriation sont universels, ils font partie de l’Homme. Tout au long de la civilisation humaine, on a transmis des histoires, des chansons, des textes. Qu’est-ce que la Renaissance, sinon la redécouverte des textes et autres productions artistiques de l’Antiquité ? Ainsi, les artistes veulent imiter leurs modèles antiques. On veut rendre hommage aux anciens. Ce n’est pas un hasard si ce mouvement trouve son origine en Italie, berceau du plus grand empire de l’Histoire du monde occidental.

« Réinterpréter : la nécessité de dépasser l’œuvre première »

Plus qu’une copie conforme, ce procédé artistique est un moyen de se réapproprier une œuvre, la faire sienne, pour en faire quelque chose de nouveau, dans une logique de « destruction créatrice ». L’auteur prend un risque, celui de modifier la hiérarchie des supports. L’exemple de Walt Disney est de ce point de vue éloquent. Immense admirateur des contes et légendes du Vieux Continent, il s’est donné pour mission de les faire découvrir au public américain. Il puise ainsi dans les contes de Perrault pour la Belle au bois dormant ou Cendrillon, les contes italiens pour Pinocchio, danois pour La Petite Sirène. N’hésitant pas à modifier des éléments essentiels de l’intrigue pour rendre l’œuvre accessible au plus grand nombre. Son succès n’a pas été démenti depuis, faisant ainsi rêver des générations depuis plus d’un demi-siècle.

Pour voir s’opérer ce processus de détournement créateur, il faut donc que le réalisateur remette en cause l’ordre artistique, le déstabilise, pour permettre l’émergence d’un modèle nouveau, d’une incarnation nouvelle de l’œuvre. Cette subversion se traduit par une déférence teintée d’optimiste forcené chez les Américains. Ils n’hésitent ainsi jamais à reprendre un personnage plus ou moins connu du grand public pour se l’approprier, l’ « américaniser » diront les détracteurs ou les Mélenchonistes. Car à la fin, le problème ne se situe pas tellement dans le fait que tel ou tel film soit repris par les Américains, mais dans le contenu de ce détournement.

Comme le souligne Sylvain Bureau à propos de l’art, le cinéma « n’est plus figé, muséifié, il devient un objet de la vie quotidienne que l’on peut s’approprier pour produire de nouvelles représentations ». Ainsi, certains remakes sont plus aboutis que d’autres et cela ne vient pas forcément toujours d’un seul côté de l’Atlantique. Il faut distinguer la réécriture de la pure opération marketing. On a bien sûr le remake à succès par excellence, on se souvient avec bonheur de True Lies, reprise du film de Claude Zidi, La Totale. James Cameron réussit à nous donner une version enrichie de la composition originale. Il augmente l’œuvre initiale avec d’autres matériaux. Ainsi, l’efficacité du procédé cinématographique est au-delà des espérances, le film est un succès critique et commercial, à l’instar de son homologue français trois ans plus tôt.

On peut aussi citer City of Fire, chef-d’œuvre du cinéma hongkongais, réalisé par Ringo Lam en 1987, dont Quentin Tarantino s’est inspiré pour écrire et réaliser Reservoir Dog.

A l’inverse, lorsqu’on s’attaque à un des monuments du cinéma américain, le résultat peut parfois être inattendu. Ainsi, le travail de réécriture du film de Franklin J. Schaffner, lui-même inspiré du roman de Pierre Boule, La Planète des singes, s’est avéré désastreux. C’est pourtant Tim Burton – un réalisateur loué par la critique – qui est aux commandes de cette nouvelle mouture. On reste cependant perplexe devant un script brouillon, des personnages mal construits, et une fin que personne n’a véritablement compris. D’autres encore sont des copies conformes de la version originale, comme le dernier Isabelle Doval, qui dirige son mari à l’écran, José Garcia, dans le remake du film canadien Starbuck. A l’inverse de son alter-ego américain, Delivery Man, réalisé par le même homme, Ken Scott, on se contente ici tout juste de changer les noms, sans aucune réappropriation.

L’univers cinématographique est complexe, il n’y a pas d’un côté des chefs-d’œuvre et de l’autre des productions sans âme. L’inspiration est le premier moteur de cet art et les remakes en sont une partie essentielle. Mais ne perdons pas de vue qu’aujourd’hui, les considérations financières ont pris une importance parfois démesurée auxquelles certaines reprises peuvent évidemment répondre. Reste que, la répétition est un processus immuable dans l’art, et le cinéma ne fait pas exception à la règle.

Rémi Loriov

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Rémi Loriov

Rémi Loriov est un homme libre qui s'intéresse à tout. On dit souvent à son propos : "personne ne sait ce qu'il fait, mais il le fait très bien." Il aime les histoires.

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