Les sondages annonçaient une victoire du « Remain ». Ils se sont trompés et le Royaume n’a sans doute jamais été aussi désuni de toute son histoire.
« Brexit ». Le monde n’a pas fini d’entendre et de lire ce mot-valise. Car c’est désormais une certitude: au terme d’un scrutin serré et marqué par une forte participation, la Grande-Bretagne va quitter l’Union européenne (UE), quarante-trois ans après l’avoir intégrée.
Durant ces quatre décennies, c’est peu de dire que le mariage n’a pas été un modèle de stabilité. La raison plus que le coeur. Les années « Thatcher » ont manifestement laissé des traces tenaces, sinon indélébiles, et d’aucuns diront a posteriori qu’au bout du compte, l’euroscepticisme latent, l’euroscepticisme chronique ont fini par triompher. « Les réformes de l’UE ont toujours abouti, à cause de vous, à la rendre de plus en plus illisible aux yeux des citoyens et donc à les en éloigner. En dépit de tous nos efforts, vous continuiez à trouver cette Europe ultra-réglementaire et dirigiste, alors que la majorité des Européens la trouvent bien trop libérale », précise Jean Quatremer.
Ainsi, si chaque médaille a son revers, des mauvaises nouvelles ou considérées comme telles peuvent également cacher de véritables motifs de satisfaction, assureront certains « britosceptiques », en l’occurrence la fin d’une certaine idée de l’obstruction, égoïste dessein servi par la terrible règle de l’unanimité, alors même que la Grande-Bretagne n’a jamais adhéré à la monnaie unique, à l’union bancaire et n’a pas signé les accords de Schengen. Comme si, au bout du compte, ce pays si attaché à ses particularités et juridiquement titulaire d’un « statut spécial » jusqu’à vendredi n’avait jamais eu plus qu’un pied dans le système européen.
Une Angleterre divisée sur l’Europe
Considérant la courte victoire du camp adverse, on a aujourd’hui affaire à un pays coupé en deux et la fracture s’annonce durable.
Ce vote trahit-il un cas de nombrilisme aggravé ? Une surestimation des capacités réelles de la Grande-Bretagne, comme le pensent nombre de déçus ? C’est en tous les cas elle « qui a pesé pour que les décisions européennes en matière fiscale soient prises à l’unanimité. C’est elle qui a fait revoir à la baisse les ambitions du plan de lutte contre l’évasion fiscale. C’est elle qui s’est alliée à la Chine pour lui permettre d’exporter son acier en Europe », s’est insurgée Nicole Fontaine, ci-devant présidente du Parlement européen, dans les colonnes de L’Express.
Les campagnes et les plus de cinquante ans ont massivement voté en faveur d’un « Brexit ». A contrario, les jeunes, Londres et l’Ecosse se sont majoritairement prononcés pour le « Remain ». Considérant la courte victoire du camp adverse, on a aujourd’hui affaire à un pays coupé en deux et la fracture s’annonce durable. La jeunesse, qui souhaitait un maintien, tout comme la capitale britannique, ne digèrent pas leur revers. Deux pétitions, réclamant un nouveau vote pour la première et l’indépendance de Londres pour la seconde, ont rassemblé des centaines de milliers de votes, avec toutefois peu de chances d’infléchir le cours de l’histoire.
Sur le plan politique, il est en revanche acquis que la Grande-Bretagne va changer de gouvernement. S’il avait d’abord écarté cette option, David Cameron, europhile contre nature et par conséquent piètre défenseur de la cause communautaire, s’est en effet résolu à démissionner. Le fantasque ancien maire de Londres Boris Johnson, fervent partisan du « Brexit » et chantre du politiquement incorrect, est a priori le mieux placé pour lui succéder au 10, Downing Street. A moins que le poste n’échoit à Nigel Farage, lequel a néanmoins reconnu un mensonge lourd de conséquences pour tenter de convaincre les électeurs de se rallier à ses vues, le reversement de 350 millions de livres alloués à l’UE au NHS (National Health Service), équivalent de la Sécurité sociale britannique en cas de sortie.
Du point de vue économique, en attendant de savoir, sans doute d’ici 2 ans, si la Grande-Bretagne rejoindra ou non l’E3 (Espace économique européen), la récession à moyen terme semble acquise (les analystes d’AXA IM viennent quoi qu’il en soit de ramener leur prévision de croissance de la Grande-Bretagne pour 2017 de 1,9 à… 0,4%). De leur côté, Standard & Poor’s et Moody’s vont très certainement dégrader le pays, qui sauf improbable surprise perdra son désormais célèbre « AAA », avec de facto des conditions de crédit moins avantageuses.
La dépréciation de la livre amènera quant à elle une érosion du pouvoir d’achat des ménages britanniques. Ces derniers auront aussi davantage de difficultés à passer leurs vacances sur le Vieux Continent, essentiellement « en vertu d’accords communautaires qui permettent à toute compagnie européenne d’opérer sans limite de fréquence, de capacité ou de prix dans l’espace aérien européen », souligne Le Point.
Sur le front de l’emploi, l’hebdomadaire juge par ailleurs « probable que la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne s’accompagne de la délocalisation de nombreux postes, notamment au sein des grandes banques ayant pignon sur rue à la City », où la panique était sans surprise à son comble en ce « Black Friday » que les intervenants n’avaient pas vu venir. Il va sans dire qu’il leur faudra du temps pour avaler ce boa constructor.
Une victoire majeure de l’euroscepticisme
Pour beaucoup, il s’apparente à un carton rouge contre les dérives actuelles de ce bloc sans cesse élargi, melting pot d’Etats (trop) différents à bien des égards, devenu quasiment ingouvernable et qui se serait dramatiquement éloigné des préoccupations centrales des peuples qu’il englobe.
A quoi va ressembler l’économie britannique désormais en dehors de l’Union européenne (UE) ? Est-ce que le Royaume-Uni restera uni ou cela va-t-il déclencher nouvelle rupture au sein du Royaume-Uni ? », s’interrogeait vendredi matin Matthew Beesley, directeur Actions Internationales d’Henderson Global Investors. L’Ecosse ayant, on l’a vu, majoritairement voté pour le « Remain », une nouvelle consultation quant à son indépendance devrait avoir lieu dans quelques mois, a annoncé la Première ministre Nicola Sturgeon, avec potentiellement un dénouement bien différent du précédent.
L’Espagne a en outre demandé la restitution de Gibraltar, tandis que le Sinn Fein préconise maintenant une fusion entre l’Irlande – farouchement pro-européenne – et l’Irlande du Nord ! En clair, le Royaume-Uni pourrait bien éclater…
A l’échelle continentale, « le divorce sera long, acrimonieux et vraisemblablement coûteux pour les 2 parties », a de son côté prévenu Bruno Cavalier, chef économiste d’Oddo Securities, pour qui « le Brexit va stimuler le sentiment eurosceptique, déjà vif ailleurs sur le continent ».
Selon cet expert, « le résultat final montre que les thèmes de la souveraineté et de l’immigration l’ont emporté sur les considérations économiques ». Une analyse largement partagée, et c’est sans doute ainsi que les principaux dirigeants de l’UE et les gouvernements concernés devront interpréter ce vote choc.
Très inattendu, le « Brexit » fait l’unanimité au sein de la classe politique française en ce sens que tous plaident désormais pour une refondation de l’Union. Pour beaucoup, il s’apparente à un carton rouge contre les dérives actuelles de ce bloc sans cesse élargi, melting pot d’Etats (trop) différents à bien des égards, devenu quasiment ingouvernable et qui se serait dramatiquement éloigné des préoccupations centrales des peuples qu’il englobe. Si souvent jugé trop libéral et trop technocratique, à tout le moins par les extrêmes, le projet européen tel qu’il se présente aujourd’hui a indéniablement du plomb dans l’aile et les doutes s’accumulent quant à sa pérennité. Gageons par ailleurs, à la lecture de la campagne des partisans de la sortie britannique et du résultat final, que la gestion de la crise migratoire par Bruxelles a été sévèrement sanctionnée en la circonstance.
Ladite crise a quoi qu’il en soit ravivé des sentiments nationalistes dont pléthore d’observateurs avaient cru qu’ils ne concernaient véritablement que les pays de l’Est, la France et l’Allemagne à un degré moindre.
Ces dernières, les deux principales puissance de l’Eurozone, connaîtront l’an prochain des échéances électorales majeures. La question de la gestion sécuritaire devrait se poser à nouveau avec insistance, et avec elle celle d’une refonte des accords de Schengen qui consacrerait un retour partiel à la souveraineté nationale. En attendant, un scrutin législatif, le deuxième en seulement six mois, s’est tenu en Espagne. Le parti eurosceptique et anti-capitaliste Podemos a terminé deuxième, devant la gauche socialiste, une première dans l’histoire du pays et surtout la confirmation d’une réelle défiance européenne de l’autre côté des Pyrénées…
« La leçon du Brexit est simple: une seconde chance est donnée à l’Europe politique, et jamais le projet fédéral n’a été plus nécessaire », estimait Christophe Barbier dans les heures qui ont suivi l’annonce de sa victoire. L’éditorialiste à l’écharpe rouge a sans doute visé juste. Reste à savoir comment mener ce projet et qui seraient les nouveaux pères de l’Europe, comment ranimer une flamme dont on mesure mieux la faiblesse depuis vendredi.