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Frappée pour la quatrième fois depuis le début de l’année, la capitale turque paie un très lourd tribut à la politique de l’omnipotent président Recep Tayyip Erdogan.

Le triple attentat-suicide perpétré hier à l’aéroport international Atatürk, qui accueille chaque année environ 60 millions de passagers, à peu près autant que Roissy-Charles-de-Gaulle, n’est pas sans rappeler l’attaque commise à Zaventem le 22 mars dernier. Il porte lui aussi la signature de Daesh, qui avait revendiqué les attentats de Bruxelles, et ne l’a pas encore fait ici.

Peut-être parce que l’Etat islamique n’en voit pas forcément l’utilité, lui dont il est de notoriété publique qu’il s’est imposé en Turquie grâce au concours actif d’Erdogan, étrangleur ottoman  obnubilé par le leadership régional de son pays, un dessein qui passe par l’écrasement de la minorité kurde et par la chute du régime syrien. Pour ce faire, le président turc n’a pas hésité à armer généreusement les opposants à Bachar-el-Assad, indépendamment de leurs aspirations profondes, et à rendre les frontières des plus poreuses pour les islamistes. 

L’intrigant stambouliote, fondateur du tout-puissant AKP, s’est au fil des années mué en un despote dangereux. En un dirigeant intraitable, particulièrement zélé pour museler l’opposition, toutes les oppositions, et flirtant avec la mégalomanie. La dérive totalitaire de la Turquie, qu’il donne le sentiment de diriger d’une main de fer, mais que paradoxalement il contrôle de moins en moins, coïncide avec une multiplication d’attentats sur son territoire. 

Ankara et Istanbul sont sans surprise les villes les plus touchées, avec pour corollaire inévitable une dégringolade des recettes liées au tourisme. Un pan entier de l’économie turc est ainsi en train de s’effondrer, tandis que les velléités d’intégration à cette Union européenne (UE) que certains préfèrent quitter sont de moins en moins prises au sérieux.

La double faute d’Erdogan

Coincée, prise dans un piège à deux mâchoires, la Turquie subit sur la durée l’extrême imprudence d’un président de plus en plus extrémiste.

Alors qu’un dernier bilan fait état de 41 morts et 239 blessés, le Premier ministre turc Binali Yildirim a évoqué des indices qui « pointent » Daech. Le chef du gouvernement a expliqué que les trois kamikazes, dont il n’a spécifié ni l’identité, ni la nationalité et dont un a été neutralisé par un policier dissimulé… avant d’activer sa ceinture d’explosifs, avaient ouvert le feu contre des passagers avec des fusils-mitrailleurs avant de se faire sauter dans le terminal dédié aux vols internationaux.

Un modus operandi très similaire en effet à celui que privilégie désormais l’Etat islamique, ce qui ne saurait néanmoins passer sous silence l’autre grande menace à laquelle la Turquie est aujourd’hui confrontée: le radicalisme des indépendantistes kurdes, incarné en particulier par les Faucons de la liberté du Kurdistan (TAK), une frange dissidente du fameux PKK qui cible elle aussi le tourisme. Latent, ce radicalisme a sans doute été favorisé par le président turc à travers les bombardements à outrance des bastions kurdes du pays, alors même que les Kurdes dans leur ensemble sont aux prises avec l’Etat islamique (EI) depuis l’autoproclamation de ce dernier mi-2014. Ainsi une menace a-t-elle été encouragée, favorisée, propagée à travers l’affaiblissement d’une minorité certes revendicatrice, mais objectivement beaucoup moins dangereuse pour les intérêts supérieurs de la nation turque.

Coincée, prise dans un piège à deux mâchoires, la Turquie subit sur la durée l’extrême imprudence d’un président de plus en plus extrémiste, même si Ankara vient de se rabibocher avec Jérusalem et que Recep Tayyip Erdogan a (enfin) fait acte de contrition auprès de Vladimir Poutine, huit mois après la destruction d’un bombardier russe par l’aviation turque au-dessus de la frontière entre la Syrie et la Turquie.

Autant de retours en grâce qui ne seront peut-être pas inutiles pour tenter de desserrer l’étau dans lequel la Turquie est prise. Ils n’éludent cependant pas la nécessité pour Ankara, devenue quasiment vitale, de redéfinir ses priorités. De choisir son camp une bonne fois pour toutes.

 

Guillaume Duhamel

Guillaume Duhamel

Journaliste financier originellement spécialisé dans le sport et l'écologie. Féru de politique, de géopolitique, de balle jaune et de ballon rond. Info plutôt qu'intox et intérêt marqué pour l'investigation, bien qu'elle soit en voie de disparition.

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