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Depuis 40 ans, les femmes de France ont le droit d’interrompre volontairement une grossesse. Christophe Bérurier, homme, père et professeur livre ses avis d’hommes face à un droit trop souvent remis en question.

Le 26 novembre 1974, derrière les micros de l’Assemblée Nationale et devant un auditoire presque exclusivement masculin, Simone Veil prononça ces phrases: « L’avortement doit rester l’exception. (…) Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à un avortement ». Il ne s’agissait donc pas d’inventer de toutes pièces un droit dont les femmes n’avaient jamais fait usage mais d’encadrer des pratiques clandestines où l’absence d’hygiène faisait grandir le taux de mortalité des femmes. Le droit à l’avortement est indispensable dans la France du XXIème siècle qui a besoin de rappeler sans cesse qu’une femme dispose librement de son corps.

Personne parmi l’entourage des femmes concernées, aucun professionnel de santé ne peut se sentir autoriser à discuter la volonté d’une personne à profiter de son droit. La liberté de chacune se réalise dans ce choix. Critiquer le choix des femmes – mais s’agit-il réellement d’un choix ?- à subir une interruption volontaire de grossesse c’est critiquer l’existence de la loi Veil de 1974. Grâce à cette loi, plus d’aiguilles à tricoter, plus de barbarie chirurgicale. Des cas les plus extrêmes comme le viol aux cas plus épineux partant de la simple volonté de ne pas enfanter, la loi Veil donne aux femmes la première supériorité sur les hommes : le droit de décider.

IVG et banalisation du langage

Quarante ans. Il y a quelques décennies, c’était l’âge où l’on devenait grands-parents, c’est devenu quasiment l’âge moyen auquel les femmes actives de notre monde mondialisé deviennent mères. Selon les sources, il y aurait entre deux cent mille et trois cent mille avortements chaque année. Il y a quelques jours, France Inter fit entendre un médecin expliquant que les femmes qui venaient dans son centre IVG ressentaient parfois encore une honte, un sentiment de culpabilité face à cet acte. L’avortement reste encore un acte entouré de discrétion, voire de secret. Combien de femmes ont avorté  sans que leur mari ne le sache? Les femmes sont libres et c’est tant mieux. Cependant, ce sentiment d’inquiétude et de peur face à l’avortement, ce mal-être provoqué par une situation exceptionnelle me semble nécessaire. L’avortement n’est pas une appendicectomie. Même si elle est prise dans le secret le plus total, la décision ne doit pas devenir banale. Elle ne l’est pas et ne le deviendra pas.

Souvent vu comme un choix véritable, l’avortement serait de deux types : les IVG que certains responsables politiques qualifient de « confortables » et les IVG qui seraient donc inconfortables, l’exemple typique étant la grossesse issue d’une agression sexuelle. Parler d’un avortement de confort me paraît être la conséquence d’un manque profond de réflexion et d’intelligence. Aucune femme ne peut sortir indemne d’une interruption de grossesse. Les conséquences psychologiques et physiologiques existent réellement ; ces marques physiques et psychiques transforment la femme qui subit cette intervention. Remettre en cause la loi Veil, c’est interroger la capacité des femmes à faire un choix raisonnable quand à leur devenir de mère. C’est ce que l’Assemblée Nationale a sans doute voulu montrer en revotant symboliquement la loi il y a quelques jours. La société française ne reviendra pas sur ce droit, car si tel était le cas ce serait l’égalité entre hommes et femmes que l’on remettrait en question. Il n’y a pas d’avortement de confort ou d’avortement de choix. Les décisions prises ont de telles conséquences sur les personnes concernées que la société civile doit sans cesse défendre l’existence et la nécessité de ce droit à l’IVG.

 Il existe cependant un risque de banalisation autour du discours sur l’IVG. L’acte lui-même n’est pas un acte banal et ne le deviendra jamais. Le problème réside dans le discours sur l’avortement, porté par les opposants, par les professionnels de santé qui pensent bien faire, par les associations féministes qui font de l’IVG un cheval de bataille, voire de guerre contre les hommes. Il convient d’éviter de faire une éducation à l’avortement comme il existe un semblant d’éducation à la sexualité. On n’avorte pas comme on fait l’amour. Le discours autour de l’IVG doit être porté avec raison et pudeur pour que les femmes ayant la nécessité de recourir à cet acte puissent le faire en pressentant, quelque soit leur âge, le poids de cette décision. Au contact quotidien de la jeunesse, il me semble normal que la sexualité soit abordée, mais il m’apparaît dangereux que l’avortement soit abordé à l’école comme on mentionne la contraception. Les jeunes d’aujourd’hui n’ont plus peur du SIDA car ils connaissent l’existence d’un traitement. L’avortement ne doit pas apparaître comme un choix simple, un recours au cas où, comme un « au pire il y a cela ». Il ne s’agit plus d’apprendre le fonctionnement des trompes de Fallope, mais plutôt d’expliquer aux jeunes filles et jeunes garçons qu’un rapport sexuel non protégé peut être refusé, que l’on peut l’éviter et que l’on a le droit à la contraception. Qu’avant l’IVG il y a des moyens d’éviter la grossesse.

La place de l’homme

L’un des problèmes du discours sur l’interruption volontaire de grossesse est que le sujet paraît véritablement confisqué par les femmes. L’avortement est vu comme un problème de femmes dans lequel les hommes n’ont rien à faire. L’homme ou ses spermatozoïdes sont encore nécessaires à la procréation, leur place dans une interruption de grossesse est réelle. En dehors des cas de grossesses issues d’agression sexuelle l’homme pourrait toujours avoir, non pas un mot à dire, mais une voix au chapitre. L’homme du 21ème siècle est aussi un père, souvent investi dans l’éducation. Pendant la grossesse le père passe neuf mois à soutenir la femme et tente vainement d’imaginer ce qu’elle peut ressentir. Il n’y parviendra jamais réellement et tant mieux. Cependant pourquoi faire croire que l’homme n’a rien à faire là quand l’avortement arrive? En France la grossesse est un moment particulier : c’est l’étape où l’homme investi dans la parentalité est renvoyé à sa condition d’homme, de spectateur. L’étape où les femmes se voient rappeler leur condition intrinsèque de génitrice. L’étape où l’on refuse la participation réelle de l’homme (combien de maternités acceptent réellement la présence de l’homme aux côtés de sa compagne et de son enfant la première nuit?). Les discours sur l’avortement, la grossesse, semblent confisqués par les femmes. Les hommes, y compris ceux qui accompagnent et soutiennent leur compagne ne sont pas les bienvenus dans le discours sur l’IVG. Ils n’ont rien à dire car personne ne s’est jamais réellement posé la question de la souffrance psychologique de l’homme face à l’interruption d’une grossesse voulue.

Il est des domaines comme la grossesse, comme l’accouchement, comme l’avortement, qui semblent encore réservés aux femmes. Pourtant certains hommes, et nous sommes de plus en plus, vivent pleinement leur masculinité et leur paternité. Et ils souhaitent tous partager ces moments de joie ou de douleur avec leur compagne. Hélas, nous vivons dans une société où il existe encore des domaines réservés à l’un ou l’autre des deux sexes. L’avortement touche toujours profondément les personnes concernées. La femme en premier lieu, mais l’homme, le père n’est jamais bien loin sur l’échelle des traumatismes. L’homme a le droit de souffrir d’un avortement et il ne doit pas être tenu éloigné du discours sur cet acte médical et sur sa réception. La société française deviendra véritablement paritaire quand les hommes seront les bienvenus dans le discours qui touche l’interruption de grossesse. Que l’on considère l’embryon, le fœtus de moins de douze semaines comme un être humain ou non, l’interruption volontaire de grossesse est un droit, une question qui touche l’humanité de chacun.

C’est loin d’être une question seulement féminine.

Christophe Bérurier

NB : Ces quelques considérations si grossières soient-elles, n’eurent pas été possibles sans les réflexions avisées de Madame Anaïs Bérurier.

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Christophe Berurier

Christophe Berurier est professeur. Il aime les mots et le vélo.

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