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En écrivant une « suite » à Métronome, Lorànt Deutsch n’escomptait pas tout ce qui lui tombe sur la pomme. Critiques et publicités involontaires aident le comédien passionné d’Histoire à s’assurer un avenir plus brillant qu’il ne l’imaginait.

 

Le livre Métronome, sorti en 2009, avait reçu un franc succès. Assez rapidement, quelques jeunes historiens qui sans doute n’en finissaient plus de rédiger la conclusion de leurs thèses de doctorat, firent entendre leurs critiques. Le livre de Lorànt Deutsch comportait des erreurs factuelles et aurait tendance à simplifier les choses. Ces historiens, qui se sont depuis organisés en guilde, s’appellent dorénavant Les Historiens de Garde. Ils n’hésitent pas, à venir croquer les mollets de l’auteur pour son deuxième ouvrage, Hexagone.

Encore une fois, il y aurait des erreurs et puis de la simplification. Pis encore, Lorànt Deutsch parle de la Bataille de Poitiers : le face à face entre Charles Martel, et les fameux sarrasins. Rien de grave me direz-vous. Mais hélas, il y a un os. Deutsch ne parle pas des arabes d’alors en des termes mélioratifs. Il tente un registre épique et prend clairement parti pour l’équipée sauvage de Charles Martel. Il se range d’un côté, prend parti, ne se cache pas derrière une fausse objectivité, et le dit lui même dans son chapitre problématique : « Je le sais bien (…) l’union sacrée des chrétiens et des païens contre l’envahisseur musulman dérangent le politiquement correct. » (p.231).

Ce que Deutsch appelle le politiquement correct est nommé sous la plume de ceux d’en face « des allusions contemporaines ». Bref, on parle d’islamophobie en 2013, donc interdiction de parler des arabes du 8ème. Lorànt Deutsch et extrême droite, même exaltation de l’histoire donc même combat politique.

Pour ces historiens le problème est bien là. C’est un problème politique. L’auteur n’a jamais caché son engagement pour la monarchie constitutionnelle et démocratique, les Historiens de garde lui reprochent de trop mettre en avant certaines périodes de l’histoire de France, et surtout de ne pas être un fou furieux de la révolution de 1789.

Lorànt Deutsch, le prétexte à l’Histoire

Soyons clair, dans les deux cas, il s’agit plutôt d’un moyen original de structurer le travail et d’un prétexte accrocheur pour parler Histoire que d’une véritable invention qui change le regard porté sur le sujet.

Cela a déjà été dit ; l’auteur reprend la même recette que pour son précédent ouvrage : un récit d’histoire entrecoupé d’encarts presque touristiques qui servent à guider le lecteur. Carnet de notes et crayon à la main, Deutsch veut que son lecteur déambule et observe en suivant ses conseils. Pour Métronome il s’agissait de redécouvrir Paris à la lumière des stations de métro, pour Hexagone c’est à la lumière des grandes routes de l’Histoire que le lecteur est invité à découvrir le pays. Soyons clair, dans les deux cas, il s’agit plutôt d’un moyen original de structurer le travail et d’un prétexte accrocheur pour parler Histoire que d’une véritable invention qui change le regard porté sur le sujet. Encore une fois, l’auteur amateur d’histoire n’a pas la prétention de changer le regard sur la discipline Histoire. Il semble vouloir changer la réputation de cette science. Soyons terre à terre. À la page 164, le lecteur est pris dans un chapitre intitulé « Le triomphe de christianisme », au quatrième siècle de notre ère. L’auteur propose un encart où il invite le lecteur à visiter la ville de Tours pour y observer des ruines et des subsistances. Il est d’une extrême précision : « Les parties sud et est de la muraille sont encore bien visibles. Le mur « est » peut s’apercevoir à hauteur du 13, rue Blanqui. […] Maintenant éloignons-nous de dix kilomètres du centre de Tours, vers le sud-est, pour arriver à Larçay. » (p.164-165) siècle. 

L’emploi du pronom « Nous » comme sujet du verbe éloigner, « éloignons-nous » donne le sentiment d’un narrateur qui nous prend sous son aile, nous emmène, nous entraîne, nous emporte par la foule. Une sorte d’Alexandre Dumas de pacotille qui nous dirait « retrouvons à présent notre bon Planchet » pour retrouver le fil de son récit après une longue digression historique. D’ailleurs, Dumas n’a t-il pas donné ce fameux conseil : « On peut violer l’histoire. A condition de lui faire de beaux enfants ».

Deutsch fait donc une tripotée de Gavroche à la maquerelle Histoire. Il ne lui fait pas d’enfants bourgeois, cachés dans les bibliothèques de la Sorbonne, de Tolbiac, ou d’ailleurs. Non. Il lui donne une tripotée de rejetons tous dignes du petit gamin hugolien. Voilà bien le problème. Avec Hexagone, l’auteur popularise l’Histoire, il la vulgarise, et surtout il la rend accessible.

Métronome et tableaux d’histoire

La peinture d’histoire est selon la hiérarchie des genres établie par André Félibien, — une sorte d’historien de l’art avant l’heure, — en 1667, l’un des grands genres. Seule la peinture religieuse est au dessus de la peinture d’Histoire. Dans les livres d’Histoire comme dans la peinture historique, on part d’une même idée : l’histoire peut permettre de comprendre : « Comprendre un pays, comprendre un peuple » (p.9) Hexagone.

Seulement, la peinture d’histoire, surtout au XVIIIème siècle permet aussi de mettre en avant la grandeur et la majesté du sujet. Napoléon traversant les Alpes, Le Sacre de Napoléon, Le Serment des Horaces, Les Sabines : le peintre Jacques-Louis David est un chef, en matière de peinture historique au croisement des 18ème et 19ème siècles.

Et puis il y a Charlotte Corday, et le tableau Marat Assassiné. Le sujet, le lieu, l’activité de Marat au moment de sa mort n’a rien d’un grand épisode historique. David lui donnera ses gallons d’événement révolutionnaire. Il prend un homme mort dans son bain et « réussit à en faire quelque chose d’héroïque » (Gombrich)

Dans son livre, Lorànt Deutsch semble vouloir lui aussi écrire des tableaux d’histoire. Les événements y sont décrits d’une manière telle que le lecteur les a devant les yeux. On utilise le présent de l’indicatif, on nous décrit les lieux comme dans une didascalie de théâtre : « Dans la salle basse du château une table massive est dressée. Le Baron est assis sur une chaise de bois au dossier finement ouvragé, les autres convives sont installés plus rudement sur des bottes de pailles couvertes d’étoffe. (…) Pour les viandes, on raffole bien sur des animaux de la chasse, et les parties les plus appréciées des gourmets sont les yeux et les daintiers, c’est à dire les testicules cuisinés en ragouts, ceux de cerfs en particulier sont fort prisés. » (p.269)

Les événements sont sans doute historiquement arrangés, mais le lecteur ressent plus de choses qu’en lisant une étude de l’économie des pays baltes sous le Haut Moyen-Âge. Hexagone n’a pas la prétention d’être un manuel d’histoire. Ce livre est un divertissement intéressant et en tant qu’enseignant je préfère imaginer mes élèves lisant un livre de Deutsch que la biographie de Zlatan Ibrahimovic ou de Booba.

Une vieille querelle des Anciens et des Modernes

Gardons nous de comparer la querelle qui oppose Deutsch à ses Historiens de Garde et la fameuse querelle des Anciens et des Modernes. Il s’agit d’un autre type de bataille. Notre auteur est une sorte de nouvel Alain Decaux. Celui qui osait parler d’Histoire à la télévision dans son émission Alain Decaux Raconte. Les techniques narratives pour présenter les événements sont les mêmes. Voyez l’extrait « Les Faux Monnayeurs d’Hitler » disponible gratuitement sur le site de l’INA. Les premiers mots de Decaux en début d’émission sont les suivants :

« Début mai 1945…Deux camions…Deux camions de l’armée allemande qui roulent sur les routes de l’Autriche… » Les pauses que s’offre l’animateur historien sont impressionnantes, mais le présent de l’indicatif est encore là, le tableau est sous nos yeux. En terme d’analyse littéraire, on appelle cela une hypotypose — la consonance grecque est plus classe n’est-ce pas. Tout est fait pour nous faire croire que les événements se passent au moment où on nous les raconte.

Sans doute, Alain Decaux recevait-il lui aussi des critiques sur sa vision des faits, de l’histoire qu’il traitait et de l’Histoire en général. Sans doute a-t-il été critiqué pour avoir voulu populariser cette discipline. Peut-être mettons nous le doigt sur la question qui fait mal aux Historiens de Garde qui critiquent tant le travail de Lorànt Deutsch. Un vulgaire comédien, un saltimbanque, qui marche sur les plates-bandes des universitaires et des savants, on n’aime pas ça. Si en plus, il fait cela avec succès, il faut absolument le prendre pour cible.

Regret et vertus

Ainsi donc, un regret de taille apparaît alors que la « polémique » s’est essoufflée d’elle-même comme à chaque fois. Avec Métronome, Lorànt Deutsch allait faire des animations dans les écoles primaires. Avec Hexagone et sa description de la Bataille de Poitiers, il n’y a apparemment plus accès. On préfère priver une classe de l’intervention intéressante d’un passionné pour avoir la paix et ne pas déranger les susceptibilités.

Cette petite querelle pourrait avoir une vertu. Étudier les arguments échangés par médias interposés entre Lorànt Deutsch et ses détracteurs pourrait très simplement expliquer à de jeunes étudiants en Histoire la question de l’engagement dans la manière de faire de l’Histoire. L’auteur divertit, il a l’audace de s’approprier un savoir qui ne devrait pas être le sien, à en croire certains. Il tente de transmettre l’envie de voir sur place les choses, l’envie de lever la tête en marchant. Il transmet ce qu’il y a de plus cher : la curiosité. Il est un exemple à suivre : attiser sa curiosité pour l’histoire de son pays est un bon moyen de comprendre sa richesse et ses particularités. Pendant que certains historiens perdent leur temps à attaquer le travail d’un vulgarisateur, l’Histoire, elle, suit Georges Perec et affute sa « grande Hache ».

Christophe Berurier

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Christophe Berurier

Christophe Berurier est professeur. Il aime les mots et le vélo.

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