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 « Avec les Trente Glorieuses, le surmoi révolutionnaire des Français a progressivement cédé la place au Moi-Je pépère fonctionnaire. »

« Toujours afin de démontrer la même chose, d’ailleurs : l’immaturité gueularde du Français. »

« Les Français se comparent perpétuellement aux Américains, mais sans se douter que la réciproque n’existe pas. »

Citations extraites de Nicolas Fargues, Au pays du p’tit, P.O.L., 2015.

 

Je suis nostalgique d’une époque que je n’ai pas connue et qui n’a sans doute jamais existé. Une époque où les déclinologues et autres défaitistes patrio-masochistes étaient combattus (sur le plan des idées) et non vénérés comme un Quatremer à Bruxelles par des européistes béats. Ces guignols crachent dans la soupe en permanence, insultent la France, son histoire, son peuple, son mode de vie. Leurs critiques ne sont qu’exceptionnellement constructives. Elles se résument le plus souvent à un abaissement de la France et une culpabilité de son peuple prétendument objective, qu’il faudrait accepter, intégrer, assumer et dont il faudrait se repentir, payer les dommages et intérêts sans rechigner. Les déclinologues sont la France sans estomac. Ils pullulent. Aucun pays n’a une histoire linéaire, pas plus que manichéenne. L’histoire s’interprète en tenant compte des contextes historiques et géographiques évidemment, mais aussi – et sans cela, ce n’est plus un travail d’historien mais d’idéologue – en prenant en compte les mentalités et croyances des époques. Autrement dit, on n’interprète ni ne juge l’histoire à l’aune de la mentalité, de la morale et des valeurs contemporaines.

L’histoire s’interprète en tenant compte des contextes historiques et géographiques évidemment, mais aussi – et sans cela, ce n’est plus un travail d’historien mais d’idéologue – en prenant en compte les mentalités et croyances des époques

La lecture du roman de Nicolas Fargues Au pays du p’tit m’inspire cette gueulante. Son héros, Romain Ruyssen, est un sociologue désabusé qui défend en Russie et aux États-Unis notamment son livre critique sur les multiples défauts des Français, tout en trompant sa femme allègrement et en se comportant avec ses conquêtes féminines comme un ado attardé, égocentrique et dégueulasse. Il est, à bien des égards (quoique je ne me prononce pas sur leurs relations avec la gent féminine), une incarnation littéraire de ces déclinologues qui, disons-le, nous emmerdent. D’une lecture facile, le roman de Fargues est déstabilisant dans le sens où il est difficile de faire la part des choses entre l’ironie de l’auteur et la traduction de sa pensée à travers son personnage principal. Son mérite essentiel est de susciter la réflexion et d’ouvrir le débat, non sans user de poncifs et de facilités sur les critiques du comportement français. Précisons aussi que l’auteur a eu, si l’on en croit sa notice Wikipedia une carrière internationale, qui lui confère un certain recul.

A qui profite le déclin ?

La rhétorique trotsko-mao a tellement infusé depuis 1968 que la moindre allusion à la grandeur de la France, à l’intérêt de l’Etat-Nation en tant que cadre démocratique, à l’intérêt général, vous renvoie dans les miasmes des heures sombres de notre histoire

S’il y a une maladie bien française, c’est sans doute de ne voir que ses défauts, ses tares, ses erreurs. Or la France ne retrouvera pas de projet politique (au sens noble du terme) en se morigénant à longueur de colonnes, d’ondes et de billets de blogues. Mais n’est-ce pas là le projet politique des déclinologues, commun à celui des libéraux-libertaires de ce point de vue, de noyer la France dans sa culpabilité supposée, qui au profit d’un communautarisme revanchard et germe de guerre civile, qui au profit d’une globalisation économique et financière vendue au culte du Saint-Fric, au sein de laquelle toute règle n’engage que les idiots utiles qui les respectent et où tous les coups sont permis, surtout les plus bas…

Face à cela, les tenants de la France à l’estomac, que je crois largement majoritaire au sein du pays, ont bien de la peine à être entendus. La rhétorique trotsko-mao a tellement infusé depuis 1968 que la moindre allusion à la grandeur de la France, à l’intérêt de l’Etat-Nation en tant que cadre démocratique, à l’intérêt général même vous renvoie dans les miasmes des heures sombres de notre histoire chères à Harlem Désir (et auxquelles l’histoire pluriséculaire de la France se résume pour les déclinologues, les communautaristes, les libéraux-libertaires, et toute cette gangue suicidaire). Sans doute leur offrons-nous trop de publicité en discutant loyalement leurs idées. Ici la loyauté est à sens unique. La déloyauté étant exclue, noblesse oblige, nous ne nous battons pas à armes égales. Pourtant, ce n’est pas le communautarisme ou la croissance qui permettront à la France de retrouver sa fierté, sa liberté, son indépendance, sa démocratie réelle et sa voix. C’est bien un projet politique, par-delà les différentes opinions politiques ou religieuses on ne peut plus légitimes dans une démocratie, porté par un consensus général, avec une vision à long terme qui tracera le chemin du redressement. La croissance n’est qu’un corollaire de ce projet commun, condition sine qua non de la confiance sans laquelle nous resterons plongés dans un marasme politico-comptable de guerre civile larvée sur fond de communautarisme, de concurrence mémorielle et de vieilles haines recuites. Le Brexit vient de nous donner une leçon à ce titre : on ne bâtit pas l’avenir d’un pays contre son peuple, en s’asseyant sur ses singularités, ses idiotismes, son histoire ou son mode de vie. Je crains que pour autant l’avertissement ne soit qu’un énième coup d’épée dans la boue.

Les solutions pour se sortir de la dépression dans laquelle la France patauge depuis 40 ans sur les plans politique, économique et moral sont connues : les pays qui s’en sortent, Chine, États-Unis, sont ceux qui assument leur histoire (ce qui n’implique aucunement la haine de l’autre) et qui ont ce fameux projet politique consensuel par-delà les options philosophiques de leurs citoyens. J’appelle de mes vœux à ce réveil politique de la France à l’estomac. Et si nous profitions du Brexit pour faire de cet espoir une réalité ? Hélas, nos dirigeants déconnectés ne semblent pas en prendre le chemin. Comme le disait un vieux dégueulasse[1], « il n’y a que trois façons de s’en sortir : se saouler, se flinguer ou rire ».

 

[1]Charles Bukowski.

[1]Charles Bukowski.

[1]Charles Bukowski.

Le Librairtaire

Le Librairtaire

Historien de formation, Le Librairtaire vit à Cordicopolis. Bibliophage bibliophile, amateur de caves à cigares et à vins. http://librairtaire.fr/wordpress/

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