Il y a près d’un demi-siècle, la révolte grondait. En France, mais aussi au Mexique, aux Etats-Unis et en Tchécoslovaquie. Retour en trois parties sur une année 1968 décapante qui n’a pas débouché partout sur les changements espérés, mais aura malgré tout laissé des traces.
Mexico, 2 octobre 1968. Alors que la capitale mexicaine se prépare à accueillir les Jeux Olympiques d’été, qui doivent débuter dans 10 jours, la contestation étudiante, latente depuis 7 ans, et qui commence à gagner les milieux populaires, fait rage. Plusieurs milliers d’étudiants mexicains sont réunis en meeting sur la place des Trois-Cultures, dans le quartier de Tlatelolco. Embarrassé, déterminé à balayer tout signe de contestation qui ferait tache au vu de l’événement planétaire qui se profile, le régime du président Gustavo Diaz Ordaz panique. En début de soirée, l’armée mexicaine ouvre le feu.
53 ans plus tard, le journaliste français Fernand Choisel a raconté dans les colonnes de L’Equipe : « Il y avait un monde fou sur la place […] D’un seul coup, je vois arriver un hélico équipé de mitrailleuses qui arrosent la foule sans sommation […] Je suis avec les étudiants, ils sont interrogés, je ne comprends pas ce qu’ils disent et ils sont tués à bout portant devant nous. Arrive mon tour, j’ai ma carte de presse dans la bouche et le milicien n’a pas tiré. »
Le nombre exact de victimes ne sera jamais connu. Les sympathisants du mouvement feront état de 200 à 300 morts, alors que les forces de police avancent le chiffre d’une cinquantaine de décès. Pour rien.
« Le point ganté de noir pointé vers le ciel, la tête ostensiblement baissée quand retentit l’hymne américain, la mine grave, ils manifestent de façon retentissante leur désapprobation de la politique de ségrégation raciale toujours en vigueur aux Etats-Unis ».
Lors de ces mêmes Jeux Olympiques de Mexico (au surplus marqués sur le plan sportif par les médailles d’or de Colette Besson au 400 mètres, de Bob Beamon en saut en longueur et de Dick Fosbury en saut en hauteur), les noirs américains Tommie Smith et John Carlos délivrent un message fort devant les télévisions du monde entier. Le point ganté de noir pointé vers le ciel, la tête ostensiblement baissée quand retentit l’hymne américain, la mine grave, ils manifestent de façon retentissante leur désapprobation de la politique de ségrégation raciale toujours en vigueur aux Etats-Unis.
L’année 68 aux Etats-Unis
Quelques mois plus tôt, le 4 avril, Martin Luther King, chantre de la lutte pacifique pour la cause noire et suspecté par certains de communisme, avait été assassiné à Memphis dans des circonstances encore douteuses. Deux mois et deux jours plus tard, Robert Kennedy, bien parti pour obtenir l’investiture du camp démocrate en vue du prochain scrutin présidentiel, connut le même sort, tué par balles par Sirhan Sirhan, un antisioniste virulent aux motivations profondes aujourd’hui encore incertaines, dans les cuisines d’un hôtel de Los Angeles.
Le frère de JFK – dont il fut l’attorney général – était un partisan résolu du retrait américain du Vietnam, une opinion largement partagée par ses concitoyens, de plus en plus excédés par la tournure des événements. Débutant le 31 janvier dans sa première phase, la longue offensive du Tet, quoique très durement réprimée, mais bien préparée par des Nord-vietnamiens galvanisés et à l’origine de pertes substantielles dans les rangs des GI’s, avait il est vrai sonné le glas de la fable johnsonienne selon laquelle la victoire de l’Oncle Sam était pour ainsi dire inéluctable.
« 1968 constitua un tournant dans la guerre du Vietnam, conflit à l’origine d’une littérature et d’une filmographie d’une rare densité ».
Cette offensive fut un échec militaire pour ses instigateurs, mais un succès tout aussi indéniable sur le plan médiatique. Elle marqua surtout la confirmation de l’enlisement militaire du conflit vietnamien, en même temps qu’elle mit un terme aux velléités du président de Lyndon Johnson d’être candidat à sa propre succession. D’une façon plus générale, 1968 constitua un tournant dans la guerre du Vietnam, conflit à l’origine d’une littérature et d’une filmographie d’une rare densité.
C’est en effet à compter de cette année que l’opinion américaine, jusqu’alors dans sa majorité favorable à une intervention, croyant à une guerre juste et, vu la puissance militaire des Etats-Unis, relativement facile à gagner, bascula dans la protestation, tandis que des dizaines de soldats – souvent très jeunes – revenaient quotidiennement de ce qui était devenu un bourbier dans des sacs en plastique.
La contestation n’était désormais plus l’apanage des hippies et autres utopistes férus de substances récréatives, tout comme elle n’était pas le seul fait des seuls étudiants en France, à tout le moins dans un second temps…