DZ Galerie, qui occupe de superbes locaux à Metz au 49, place de Chambre depuis la fin de l’année 2016, continue de ré-enchanter notre quotidien grâce à une nouvelle exposition intitulée « Métamorphoses du mythe ».
Avec au programme deux artistes qui bien que très éloignés géographiquement, puisque Christophe Girerd vient de Lyon et Brice Poircuitte de Nouméa , se retrouvent toutefois associés dans une exposition commune par le biais d’une même inspiration .
En effet le travail qu’ils exposent semble comme métamorphosé par le mythe, celui-ci étant issu des cultures océanes et aborigènes.
Certes, au départ chacun deux possède une vision personnelle qui peut paraître parfois fort éloignée des arts du Pacifique.
Mais ensuite une certaine alchimie s’est opérée avec leur propre art. Ce changement fait suite notamment à la demande du galeriste les invitant à pénétrer et à revisiter toutes ces cultures situées aux antipodes.
Ainsi c ‘est un peu le résultat de leur travail qu’ils nous présentent actuellement , celui-là même qui a permis de changer leur regard comme si cette exposition était empreinte d’une dimension magique ?
Une dimension magique
Examinons tout d’abord le travail de Brice Poircuitte qui entretient une relation étroite et passionnelle pour les sculptures d’Océanie. Lui le Caldoche connaît bien toutes ces populations océanes car depuis six générations déjà, sa famille et lui-même vivent sur les terres du Pacifique.
Rien d’étonnant alors si à travers différentes sculptures et « masques intercesseurs », il réussit à découvrir avec beaucoup d’intuition l’être de l’oeuvre par sa façon toute particulière de la revisiter ?
En fait, il ne s’agit nullement d’une simple coïncidence ou d’un savoir-faire local mais bien d’un réel travail d’interprétation de l’artiste.
Utilisant pour cela les techniques apprises du monde occidental, il révèle le caractère profondément magique de cette création.
En valorisant notamment les yeux du masque, l’artiste restitue, à la manière des cercles concentriques d’un Vassily Kandinsky, la force intérieure de cette oeuvre issue des peuples papous.
Le procédé s’avère très surprenant d’autant qu’il réussit à nous envoûter en jouant sur la force attractive du phénomène circulaire à la manière également d’un Robert Delaunay.
Mais d’autres sculptures permettent également à l’artiste de déployer tout son talent pour nous révéler à chaque fois un autre aspect de la dimension magique de ces créations.
Même si Brice Poircuitte distille par sa pratique du monde du graffiti et de la BD une dimension quelquefois un peu « borderline », il n’en demeure pas moins vrai que cet artiste réussit une alliance étonnante avec l’art océanien.
Il prend soin de ne rien enlever au mystère de ces représentations et surtout il ne trahit nullement leur esprit profondément mystérieux et sacré.
D’ailleurs, il ne fait que répéter les rites ancestraux pratiqués par ces mêmes populations qui repeignent à chaque fois les masques lors de nouvelles cérémonies.
La couleur possède à leurs yeux ce pouvoir magique de faire parler leurs ancêtres et leurs dieux. Aussi, les habitants sont toujours très satisfaits (et honorés) que des artistes européens puissent, à leur suite, peindre également sur ces mêmes supports.
Et comme résultat à chaque fois, Brice Poircuitte renouvelle de nouvelles noces entre cet art lointain et notre monde urbain.
De même, de son côté, l’artiste lyonnais Christophe Girerd, a su trouver un compromis avec les coutumes ancestrales des populations océanes.
Notamment lorsqu’il réutilise les photos de visages des membres de ces tribus lointaines qui apparaissent avec leur maquillage lors de cérémonies rituelles.
Loin de dénaturer leur beauté formelle, il donne au contraire à ces visages une dimension esthétique nouvelle.
Une esthétique revisitée
C’est d’ailleurs toujours grâce au contact et à la demande de Didier Zanette, que cet artiste lyonnais a pu développer une forte affinité avec le monde des arts du Pacifique.
D’où l’intérêt particulier qu’il porte aux photos de Papouasie réalisées pour la plupart par le galeriste lui-même. Le peintre a su les retravailler selon son propre imaginaire et grâce à une technique très élaborée du point et du trait.
Le résultat est particulièrement étonnant: un style super élégant qui contribue à littéralement métamorphoser le mythe papouasi, pour le restituer dans une dimension autre, la modernité lui apportant assurément une épaisseur nouvelle et éternelle.
Christophe Girerd a compris, en fait, tout l’art de ce peuple et a réussi à le transcender grâce à son propre travail d’acculturation.
Déjà avant lui, les surréalistes avaient été impressionnés par la liberté avec laquelle ce peuple utilisait toutes sortes de signes énigmatiques que d’aucuns qualifiaient sous d’autres cieux d’ « écritures automatiques ».
Ici l’artiste de Lyon n’hésite pas à s’aventurer dans la même direction en ayant recours à une ornementation riche, raffinée et stylée.
L’accumulation de lignes, de cercles et de frises … tous ces éléments formels peuvent rappeler aussi le dynamisme lyrique d’un Kandinsky déjà cité plus haut, d’un Mondrian, des futuristes et autres modernistes ?
Mais au-delà d’un simple rappel esthétique, ces vastes réseaux en mouvement restituent aussi notre monde actuel quelque peu inhumain et aliénant. Nous sommes aussi, d’une certaine manière, tous enfermés dans un tourbillon de formes sans fin !
Heureusement, le visage discret et rassurant du jeune Papou ne vient-il pas, juste à-propos, apporter la sérénité qui manque à l’homme occidental, celle d’une force intérieure ?
Le besoin de retourner aux mythes, comme d’un éternel retour selon Mircea Eliade, participe en fait à notre fondement humain, permettant de faire ressurgir en permanence la dimension métaphysique et la conscience de l’éternité.
Bref, les cultures lointaines d’Océanie nous interpellent sur nos carences et nos manques, parmi lesquelles la perte du sacré ainsi que tout ce qui transcende l’humain.
La perte du sacré
Plus que d’autres, les artistes sont les plus perméables à ce genre de discours.
En côtoyant les arts océaniens, nos deux peintres ont bien compris l’écart existant entre notre monde et le leur.
La souffrance d’un manque est perceptible dans leurs oeuvres pour traduire l’état de notre propre société.
Chez Brice Poircuitte, cette situation est perceptible dans ses peintures. Celles-ci révèlent souvent de la vacuité malgré l’apparence joyeuse des représentations mêlant des personnages comiques ou fantasmagoriques issus de l’univers de la BD.
En effet, derrière une ambiance superficiellement festive, l’artiste instille un réel désenchantement . On découvre ici et là des formes insolites s’apparentant soit à une tête de squelette ou à des zombies avec des yeux exorbités totalement noircis.
De même au lieu de paysages bucoliques, ce sont des immeubles collectifs accolés en barre et très élevés qui tapissent le fond de l’oeuvre avec des fenêtres offrant des espaces totalement assombris.
Un article de la revue de la galerie DZ consacré à l’artiste lors de l’exposition Taba, Naba au Musée Océanographique de Monaco, conforte la même analyse lorsqu’il décrit l’univers de celui-ci:
«Il (Brice) met en scène un univers déroutant, saturé d’images apocalyptiques, constituant une trame narrative complexe éloignée du schéma traditionnel où le sens du récit échappe au spectateur. »
Christophe Girerd, pour sa part, n’échappe pas non plus au même constat lorsqu’il s’agit de décrire notre monde.
Face à une toile récente (voir ci-dessous), on est d’abord interpellé par les bordures qui enserrent l’oeuvre comme des fers barbelés clôturant l’espace.
Cela fait penser au travail de Pierre Alechinsky qui utilisait abondamment les remarques marginales appelées aussi les prédelles dans ses différentes oeuvres.
Ces bordures ont souvent pour but de définir l’image du monde: un monde clos, non ouvert, fermé sur lui-même, coupé des autres et de la transcendance.
A l’intérieur fourmillent des formes éparses, difficilement identifiables, des motifs souvent mystérieux. La qualité du graphisme est ici remarquable, on y décèle un travail d’une grande finesse et d’une précision édifiante !
Mais le risque d’étouffement guette aussi cette même représentation tellement l’espace y est occupé !
Au final une oeuvre hermétique remplie de fantômes et d’esprits très proche de l’art pariétal de la préhistoire et du monde des graffitis.
Un espoir de renouveau
Par conséquent nos deux artistes sont très lucides sur le monde d’où ils viennent. Leur jugement sera d’autant plus acerbe sur celui-ci qu’eux-mêmes s’ouvriront progressivement à d’autres cultures comme celles du Pacifique.
En cela ils rejoignent l’expérience vécue antérieurement par d’autres artistes qui ont découvert au début du XX° s. les arts océaniens et africains.
Les surréalistes, comme cela avait été déjà évoqué, s’y sont particulièrement intéressés, eux qui étaient dans une logique d’opposition à la civilisation capitaliste occidentale. André Breton ira même jusqu’à lancer, dans un poème glorifiant l’Ile de Pâques, que « la Grèce n’a jamais existé ».
Bref la découverte des arts océaniens sonne comme un espoir de renouveau car ils révèlent une mythologie hautement poétique permettant une sacralisation des êtres et des choses.
Pasolini, lui aussi, avait expérimenté le mythe dans son cinéma comme lien avec le passé et nostalgie du sacré. Il ne cessait alors de répéter:
« Je suis de plus en plus scandalisé par l’absence de sens du sacré de mes contemporains. » (dans les Dernières Paroles d’un Impie, page 103)
Cette phrase semble se faire l’écho de celle que l’on attribue à tort ou à raison à André Malraux:
« Le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas. »
Aussi l’exposition « Métamorphoses du mythe » à DZ Galerie Metz vient à point nommé pour répondre à cette « urgente » alternative mystique.
Christian Schmitt
www.espacetrevisse.com
VERNISSAGE LE VENDREDI 20 OCTOBRE 2017
A PARTIR DE 19H00
DZ Galerie 49, Place de Chambre 57000 METZ
www.dz-galerie.com
Horaires Metz: du mardi au samedi – 10h30 /13h – 14h30/19h et sur RDV
adresse mail: dzgaleriemetz@gmail.com