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Sceller un « accord de gouvernement » avec Marine Le Pen tout en citant le Général de Gaulle. Nicolas Dupont-Aignan a poussé très loin l’imposture vendredi soir et apparaît désormais comme un détestable usurpateur.

Combien sont-ils à avoir cité le Grand Charles pour justifier telle ou telle position, tel ou tel revirement ? Jacques Chirac, Nadine Morano, François Fillon, Nicolas Dupont-Aignan… Tous se sont, de près ou de loin, inspirés voire réclamés de l’homme du 18 juin, dont ils n’arriveront pourtant jamais à la cheville. L’ombre de la figure tutélaire plane encore et toujours, près de cinquante ans après sa disparition, quitte à prendre bien des libertés avec l’Histoire de France, à analyser le passé à travers le prisme du présent, ou à réécrire le présent à travers le prisme d’un passé lui-même revisité…

« L’Elysée étant hors d’atteinte, le fondateur de « Debout la République », rebaptisé depuis « Debout la France » (DLF), s’est rabattu sur Matignon, que sa nouvelle alliée lui a promis en cas d’élection ».

Vendredi soir, Nicolas Dupont-Aignan a donc franchi le Rubicon, son Rubicon, dérogeant à ce fameux « ni-ni » qui était sa marque de fabrique depuis 2005 en appelant à voter pour la présidente du Front national. Une initiative qui a fait s’étrangler les ténors de la droite dite classique, une droite désorientée et, disons-le tout net, en voie d’extinction depuis l’élimination de François Fillon. La majorité de ses cadres a appelé à voter Emmanuel Macron, ce « François Hollande bis », contribuant ainsi activement à la résurrection d’un front républicain autrement moins consensuel aujourd’hui qu’en 2002, alors même que l’extrême-droite est plus forte que jamais. Pour autant, une proportion importante d’électeurs ne suivra pas la consigne, s’abstiendra voire votera pour Marine Le Pen le 7 mai.

Alors que Les Républicains boivent la tasse, « NDA », qui n’a pas peu participé à leur échec en maintenant sa candidature et en flirtant avec les 5% des suffrages exprimés au premier tour, fossoyeur de la droite dite traditionnelle tel François Bayrou avant lui, a passablement écorné sa propre image en paraphant un pacte en 6 points avec Marine Le Pen. L’Elysée étant hors d’atteinte, le fondateur de « Debout la République », rebaptisé depuis « Debout la France » (DLF), s’est rabattu sur Matignon, que sa nouvelle alliée lui a promis en cas d’élection.

Un ticket pour exister

Au diable le fameux « ni-ni », le souverainisme gaulliste, les philippiques à l’endroit d’un FN considéré jusqu’ici infréquentable, les diatribes à l’endroit du système et des ratatouilles politiciennes : le pouvoir, la possibilité d’exister enfin, la perspective de diriger valent bien cette compromission, fût-elle malhabilement dépeinte en alliance entre patriotes très différents au demeurant au nom de l’intérêt général. Quant à la sortie de l’euro jadis si chère à Marine Le Pen, indissociable d’une sortie de l’Union européenne vu les statuts et traités actuellement en vigueur, il a obtenu de la candidate frontiste que ce processus soit reporté, officiellement de quelques semaines ou de quelques mois seulement,  ce qui semble fort présomptueux au vu de la longueur extrême du « Brexit ».   

Ce « ticket » MLP-NDA scandalise à gauche comme à droite, il déconcerte pléthore d’électeurs, mais il fait aussi jaser au sein même de DLF, que Dominique Jamet et Eric Anceau, ci-devant vice-président et responsable du projet, ont décidé de quitter dans la foulée de ce tournant d’ores et déjà historique. Il a également valu à Nicolas Dupont-Aignan, celui-là même qui s’est si souvent posé en héritier de Charles De Gaulle, d’être comparé non plus à ce dernier, mais à l’amiral Darlan ou à Pierre Laval.
D’aucuns jugent le trait forcé, et il faut convenir du caractère périlleux des transpositions, mais on voit tout de même mal le général s’acoquiner avec un Jean-Louis Tixier-Vignancour, qui fut en outre le sauveur de Raoul Salan…

N’est pas De Gaulle qui veut

« NDA » et le fondateur de la Ve République ont en commun, sans nul doute, l’amour d’une France souveraine, attachée à ses racines et à son histoire. Le goût d’une France forte, qui s’assume et dont l’âme, le prestige, les tripes mêmes sont présents dans ses clochers, ses villages, ses châteaux et ses musées. Un « euroscepticisme » évident aussi, quand bien même Charles De Gaulle au pouvoir est devenu un « eurocontraint ». La volonté indéfectible enfin d’une France aussi solidaire que possible contre le grand ennemi du moment, le nazisme hier, l’islamisme aujourd’hui.
Las ! Le FN avec lequel « NDA » s’est uni, dédiabolisé ou non, compte toujours dans ses rangs des détracteurs farouches de Charles De Gaulle, anciens de l’OAS qui ne lui ont jamais pardonné l’indépendance de l’Algérie et autres pétainistes nostalgiques, antisémites patentés ou plus modérément contempteurs d’un homme qui a eu de leur point de vue l’outrecuidance suprême de fuir le pays quand d’autres donnaient leur sang pour lui.

« L’accord entre le FN et le NDA ressemble à ces alliances entre partis qui étaient une constante de cette IVe République déliquescente que Charles De Gaulle récusait de toute sa force ».

De surcroît, le FN avec lequel « NDA » s’est acoquiné est historiquement hostile à la Ve République et à la personne du Général (il ne fut certes pas le seul), auquel un Jean-Marie Le Pen poujadiste n’avait, un peu moins de quinze ans avant sa création, pas souhaité accorder les pleins pouvoirs quand la question s’est posée (même remarque).
Dicté par une convergence d’intérêts évidente, la nécessité de paraître plus modéré et plus présentable pour le premier, celle de s’adosser pour exister pour le second, avec en toile de fond une volonté commune de prospérer sur le fiasco des Républicains afin de rafler la nouvelle mise à droite, l’accord entre le FN et le NDA ressemble à ces alliances entre partis qui étaient une constante de cette IVe République déliquescente que Charles De Gaulle récusait de toute sa force.

Surtout, le RPF, fondé par de Gaulle en 1946 a toujours navigué seul. Il était certes autrement plus fort que DLF, mais pas suffisamment pour remporter les élections législatives de 1951, ce qu’il aurait certainement pu faire en trouvant un terrain d’entente avec le MRP.

Même si les histoires personnelles et les contextes sont fort différents, Charles De Gaulle et Nicolas Dupont-Aignan ne sont donc ni du même moule, ni du même métal.  Gardons-nous de faire parler le Général s’il avait été de ce monde pour commenter l’affrontement à venir entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Souvenons-nous tout de même que lorsqu’il a lancé son appel le 18 juin 1940, il s’est adressé à tous les Français de bonne volonté désireux de continuer la lutte, dans un climat général d’autoflagellation et d’abattement profond après une déroute militaire historique. Qu’il n’a jamais pris de minorités pour cible et qu’à ses yeux, il n’existait que deux catégories de Français : ceux qui faisaient leur devoir et ceux qui ne le faisaient pas.

La guerre terminée, le Général de retour au pouvoir n’était certes pas partisan d’une immigration incontrôlée, mais il n’a jamais défendu non plus une France repliée sur elle-même. Après des décennies d’hésitations, la droite à laquelle appartenait « NDA » jusqu’en 2005 s’est finalement rangée au dogme européen et cette évolution n’aurait assurément pas transporté de joie Charles de Gaulle. Pour autant, il était aussi un réaliste, un homme capable d’accepter des évolutions inéluctables – l’indépendance de l’Algérie en témoigne -, sans pour autant tout subir, un dirigeant en mesure de s’adapter à son temps.

Pour toutes ces raisons, il est donc probable que le Grand Charles se soit une fois de plus retourné dans sa tombe ce vendredi en écoutant cet énième héritier, énième succédané, cet homme certes patriote, certes souverainiste, certes approuvé par Marie-France Garraud, appeler à voter en faveur de Marine Le Pen avec de limpides arrière-pensées boutiquières. Car le parfum des maroquins n’a jamais fait tourner la tête de Charles De Gaulle, ce loup solitaire, à distance respectable de Maurras, des Croix de Feu et de l’Action française en leurs temps, devenu fédérateur, intouchable et intemporel.

Gageons que Nicolas Dupont-Aignan, coupable d’avoir placé son mouvement sous la botte de Jean-Marie et le sabot de Marine, subira le sort inverse. Que ce bloc de marbre à la probité et à la droiture jusqu’ici peu contestés ne sera ni dieu, ni table, mais cuvette. En fait de marbre dont on fait les statues, celui-là aura en tous les cas d’ores et déjà prouvé à Daniel Cordier, ancien secrétaire de Jean Moulin, qu’il est de la faïence dont on fait les bidets.

Guillaume Duhamel

Guillaume Duhamel

Journaliste financier originellement spécialisé dans le sport et l'écologie. Féru de politique, de géopolitique, de balle jaune et de ballon rond. Info plutôt qu'intox et intérêt marqué pour l'investigation, bien qu'elle soit en voie de disparition.

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