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Dans une pirouette médiatique mille fois vue et revue, dans la même veine d’un Guillon, « victime des puissants », M. Pierre-Emmanuel Barré (PEB) s’en est allé, avec pertes et fracas, dans l’hystérie collective que constitue l’entre-deux-tours.

Outre le caractère laborieux des chroniques, alternant vulgarité et bons mots, prenant pour cible les politiques (ô surprise), l’absence d’intérêt des paroles du préposé troubadour frappe. On assiste bel et bien à une tempête dans un verre d’eau plate. Une chamaillerie de bac à sable, pareille à la suppression d’un ami Facebook qui ne partage pas vos idées.

On nous parle sans cesse de liberté d’expression, mais son gaspillage est flagrant depuis quelques années. Le contenu de la chronique abordait le vote du 7 mai : voter ou ne pas voter ? Car là se situe aujourd’hui la subversion véritable : l’abstention électorale. Nous avions évoqué la politisation de l’humour français l’année dernière : ce jeune homme nous en offre un exemple éclatant. Un grand merci. Ce cas semble suivre toutes les étapes canoniques du chemin de croix humoristique qu’on a tenté de mettre en lumière :

  1. Débuts modestes à la télévision ou la radio puis moqueries sur des affaires en cours du politique ou du puissant, qui mettra l’inconscient sous les projecteurs. Ses collègues l’inviteront dans leurs émissions, dans une joyeuse consanguinité. Du coup on ne sait plus qui est qui, l’interviewé devient l’intervieweur. Le spectacle à succès vient ensuite , il est à son firmament.
  2. Licenciement ou mise à l’écart du préposé ménestrel pour avoir « défié les puissants ».
  3. Épanchement du susnommé dans les médias pour justement geindre sur sa mise à l’écart, second spectacle, puis retour sur une autre antenne.
Les caprices de Pierre-Emmanuel

Nagui lui avait proposé de déclamer ladite chronique le lendemain sans changer le contenu. Il est ainsi difficile de parler de censure. Un caprice sans doute, somme toute logique pour une personne dont le travail consiste à utiliser nos politiques comme chair à canon pour faire monter sa cote d’ « humoriste subversif ». Quelque chose d’exceptionnel (sic) par les temps qui courent.

A force, sans doute, de s’entendre dire qu’on est un génie de l’humour subversif, on finit par le croire.

Quand Georges Bensoussan est attaqué en justice, avec Médiapart en figure de proue le comparant à Edouard Drumont,  personne ne dit mot ou presque, mais lorsque « PEB » doit décaler sa chronique, le scandale d’Etat survient. Remarquons cependant que lorsque certains « progressistes » dérapent, aucune association ne les traîne devant les tribunaux. A croire que les gens « de gauche » ont perdu leur sens de l’humour.

« On rit moins de tout, que du politique donné en pâture à une presse moribonde ».

La position dominante d’une radio qui conseillerait ne pas aller voter serait-elle suivie ? Mais n’ont-ils rien compris ? Prennent-ils les Français pour des idiots ? France Inter considère depuis une décennie les campagnes françaises comme un repère de rustres lepenistes, adeptes des mariages entre cousins, de chansons paillardes et de saucisson à l’ail. Sans faire rire personne, on peut espérer un buzz raisonnable. D’ailleurs, le provincial montant à Paris se fait souvent plus royaliste que le roi, le roi étant ici le Parisien bardé de certitudes.

On en vient finalement à utiliser l’antenne pour dénigrer tout ce qu’on n’apprécie pas. Le politique est considéré comme un refuge subversif. On rit moins de tout, que du politique donné en pâture à une presse moribonde.

Vis-à-vis de cette prise de position, posons-nous la question. Cette question qui pointe après chaque chronique, qui sont autant de prescriptions à “dénoncer le climat nauséabond”, ces « patrons voleurs », ces « salauds de riches » : pour qui ces gens se prennent-ils ?

La mort de la subversion

Ce chroniqueur n’est que le symptôme d’un mal plus profond, récemment mise en exergue par Christophe Guilluy : « La posture de supériorité morale de la France d’en haut permet de disqualifier tout diagnostic social. » Sans donner trop de crédit à Barré, on constate qu’une partie de nos élites préfère simplement ignorer la réalité de leur pays pour en créer une autre, à leur image.  La conséquence est une « défiance des milieux populaires dans la France périphérique mais aussi en banlieues ». Ainsi, le seul fait que cette radio, disant à Pierre-Emmanuel de retarder sa chronique d’un jour, pense qu’elle peut influencer le vote, est proprement absurde.

Revenons sur le terme. La subversion est un renversement, une destruction, dans un contexte donné. Subvertir est un verbe transitif : « on subvertit quelque chose à un moment donné, ou on ne subvertit rien. ». En l’occurrence, on subvertit un système institutionnel ou sociétal puissant, au sens où il structure nombre de comportements et modes de pensée. Cette subversion est morte depuis longtemps en France, rassurez-vous. Et ce n’est surtout pas sur France Inter qu’elle sera ramenée à la vie.

« On ne peut pas jouer les durs à cuire du rire en demandant dans le même temps une protection obsessionnelle à la moindre anicroche ».

La France incarne l’échange d’idées dans une société pluraliste. C’est l’ADN de notre pays. Par ailleurs, les multiples plate-formes, les chaines Youtube permettent à tout le monde de répandre son message dans des proportions jamais vues. Littéralement, tout le monde, enfin surtout n’importe qui, peut s’exprimer. Alors quand M. Barré se met dans une telle situation, on ne comprend pas où il veut en venir, surtout quand la teneur de ses propos est d’une banalité confondante et sera largement relayée. Non pas pour son contenu, mais pour l’histoire qui l’accompagne. Souvent, il ne reste plus que l’histoire pour soutenir le fragile édifice. Enfin, on ne peut pas jouer les durs à cuire du rire, en demandant dans le même temps une protection obsessionnelle à la moindre anicroche. La joute verbale reste un sport réjouissant pour ceux qui savent lui rendre justice, encore faut-il être prêt à mouiller le maillot.

Il criera sans doute au loup, liberté d’expression nous voilà, mais l’élément essentiel ici est de voir que, malgré la visibilité extrêmement confortable dont il bénéficie, il choisit de partir alors qu’on ne lui a rien demandé et qu’il n’est pas censuré, l’exact contraire est en train de se produire. Ses collègues semblent aussi accuser le coup, critiquant la démarche. Mais cela n’a guère d’importance, car si on ne saura jamais le fin mot de l’histoire, il aura raison, car il est perçu comme un troubadour qui n’a pas « sa langue dans sa poche ». La dérision de la vérité aboutit à faire de la dérision la seule vérité disait Régis Debray fort à propos. Le rire suppose un fond d’incertitude, or ici, l’irrépressible désir de régression donne l’impression d’un enfantillage. On est certain de son fait.

On se souvient du slogan « France Inter, écoutez la différence ». Il semble qu’on écoute à présent la déférence.

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Rémi Loriov

Rémi Loriov est un homme libre qui s'intéresse à tout. On dit souvent à son propos : "personne ne sait ce qu'il fait, mais il le fait très bien." Il aime les histoires.

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