La Ligue 1, c’est fini pour cette année ! Mais dans le marasme social et créatif que connaît l’humour en France, un homme s’est levé et, tel un ouragan, a fait voltiger les petits calculs des apothicaires du rire. Cet homme, il ne ressemble à aucun autre, est proprement inclassable. Est-ce un humoriste ? Un chansonnier ? Un journaliste sportif ? Nul ne sait. En revanche, partout où il passe, la déprime se tire en vacances. L’homme qui s’affranchit des carcans, le saltimbanque arménien, la starlette des multiplexes, mesdames et messieurs, Julien Cazarre.
Exploit quasi surhumain dans le paysage humoristique hexagonal, ce dernier n’a en effet jamais proclamé sa faculté à ridiculiser les « puissants », ne s’affiche pas comme le fossoyeur des méchants. Une gageure en France, l’homme est subtil. Ce n’est pas un rebelle, n’en déplaise à Lorenzo Lamas. Et malgré les attaques, plus liées à des malentendus dus à l’étroitesse d’esprit de certains, il ne s’est jamais compromis. Car Julien, c’est la cordialité, accompagnée d’une bonne humeur à toute épreuve. Avec lui, on rit ensemble, on ne se moque pas.
Un joueur polyvalent dans l’axe
Il manie la métaphore footballistique et le verbe avec une aisance sans pareille : le génie français est à l’œuvre. Le Toulousain possède une connaissance quasi encyclopédique du football, sans le ton péremptoire, ce qui est extrêmement rare à RMC – suivez mon regard – et plus largement dans le milieu du journalisme sportif français.
Au sein d’émissions aussi variées que 100 % foot, Objectif ligue 1, Action Discrète, l’AfterFoot, qu’il a marquées de son empreinte, le chansonnier en a fait rire plus d’un, à commencer par un Vikash Dhorasoo hilare et pas rancunier pour un sou. On aime à penser qu’un jour, si on le croise, ce sera dans un bar, à refaire le monde autour d’un rosé de Provence, à faire les yeux doux à la serveuse, ou au serveur – le personnage est généreux – sur fond de répartie ravageuse.
Il manie la métaphore footballistique et le verbe avec une aisance sans pareille : le génie français est à l’œuvre.
On se dit, à quand le spectacle de stand-up, passage obligé du pourvoyeur de galéjades ? Et bien non, car le bougre reste un grand timide, et préfère les studios radio aux foules parfois trop enthousiastes d’une salle de spectacle. Une timidité doublée d’une gentillesse qui se manifeste à chaque joute verbale, car au fond, son sacerdoce peut se résumer ainsi : amener le rire partout, tout le temps, pour tout le monde. Ne cherchant jamais à blesser, il ne compartimente pas son humour, et les conséquences sont palpables.
Ainsi, le Cazarre a le don d’ubiquité : télé, radio, et même couloirs du métro parisien, ces talents d’interprète l’avaient conduit à une audition pour la RATP qui restera dans les mémoires, il est omniprésent. Mais nous ne sommes pas en reste, et sur ce territoire aride de l’humour français, on aimerait le croiser plus souvent, tel un bédouin, nous abreuvant de chansons et autres chroniques exaltées dans un oasis de bonne humeur.
L’art de prendre les vannes les unes après les autres
Cette grammaire élégante, ce style ciselé, cette appétence pour le bon mot difficilement gouvernable, Julien Cazarre, c’est tout ça à la fois.
Pour le néophyte, ses élans doivent se goûter pour eux-mêmes, sans ce détour par des connaissances footballistiques plus ou moins éloignées. Ce qui plaît, c’est précisément ce caractère de liberté dans sa production, ce génie amical, cette félicité naturelle, enjolivant un quotidien parfois pesant. Le soir dans l’After, ponctué des rires d’un Hermel toujours aux anges, il officie en tant que préposé troubadour, avec plus d’une centaine de reprises à son actif. On soupçonne d’ailleurs de multiples crises d’apoplexie du côté du VRP madrilène dû au talent d’orateur du bonhomme.
Prédicateur, par les mots, de scènes triviales et prosaïques, sa familiarité est si grande, et pourtant si agréable, qu’on reste suspendu à ses paroles, avec l’espoir d’une fulgurance inattendue. Dans le confort d’un studio de radio ou sur un plateau TV (feu 100% foot), il ose tout, ou presque. Chaînon manquant entre l’humour ouvragé des tontons flingueurs et le caractère un peu brut du supporter de foot, accompagné d’un zeste de satire politique, il parvient à faire éclater de rire son auditoire, même s’il peut parfois se montrer un peu dissipé.
C’est en cela qu’il est subversif, car dans un environnement médiatique où domine un humour au goût assez fade, peu imaginatif, au final structurant un nombre de comportements et de modes de pensée, il réussit la prouesse de s’extraire de cet amas de clones plaisantins. Il est la subversion dans ce qu’elle a de plus beau. Il a ce panache français. On sent dans chacun de ses coups d’éclat un amour de la langue dont il ne s’est jamais départi. Cette grammaire élégante, ce style ciselé, cette appétence pour le bon mot difficilement gouvernable, Julien Cazarre, c’est tout ça à la fois.
On ne peut que vous conseiller de vous pencher sur ce talent caché, à l’opposé de tout ce qu’on nous propose aujourd’hui dans les médias traditionnels, ou plutôt se situant sur une planète différente. Ici, pas d’évocation des origines, pas de moqueries d’hommes politiques inoffensifs, pas d’allusion aux banalités du temps qui passe. Juste un humour sincère, libéré, de la foudre d’éloquence, parfois trop « footeux » diront certains, mais tellement sympathique.
Au fait, Julien, surtout, et c’est un cri du cœur, ne change rien.