Le Rwanda n’a jamais été ma première passion. Un pays où on veut absolument foutre les pieds avant de prendre rendez-vous avec le grand barbu. Mais alors que je chilais sur mon canap’, une idée m’est venue. Pourquoi ne pas fouler la terre rougeâtre du pays des mille collines où, il y a vingt ans, Hutus tentaient d’exterminer voisins, amis et même parfois frères Tutsis ?
J’ai donc du rapidement annoncer la nouvelle : « les gars, papa, maman, papy, mamie, je m’en vais au Rwanda. » Leur première réaction fut de siffler ou de me faire répéter ma destination. « Es-tu sûr de vouloir aller là-bas, n’est-ce pas dangereux ? »-pour la famille et : « Tu vas voir, je prends le pari de te retrouver dans le JT de TF1 quelques jours après ton départ »-pour mes potes. J’avais bien évidemment potassé la chose et les échos qui m’étaient revenus furent toujours positifs. « Pays le plus safe d’Afrique », « Kigali, la capitale, plus sûre que Paris », « les Rwandais n’en veulent pas aux Occidentaux ». A part une mise en garde sur la tendance aux jets de grenades dans les grands marchés du pays-foutu internet-j’ai donc été conforté dans mon envie soudaine de décoller pour le petit pays d’Afrique de l’Est coincé entre les instables et gigantesques Tanzanie et Congo Kinshasa. Après un petit passage obligé par Bruxelles, me voilà à Kigali. J’arrive de nuit, donc impossible de voir par le hublot ce que j’allais découvrir. Petite appréhension à la douane. Les occidentaux sont peu nombreux, je suis l’un des rares blancs à présenter mes papiers et mon visa à une bande de types peu enclins à un sourire ou à une petite déconnade. Après un coup de tampon, me voilà enfin arrivé à destination. Là où, depuis mon canapé je m’étais décidé à bouger mes fesses.
Mon arrivée au Rwanda : Le musungu de Kacyiru
Quelques jours avant de partir, j’avais conversé avec une rwandaise et nous avions convenu qu’elle me logerait dans sa modeste demeure deux semaines tout au plus. Elle m’attend à la sortie. Les quelques autres « basungus » (blancs en rwandais) à mes cotés sont eux attendus par des ONG types UNICEF. Je suis donc l’un des seuls à venir hors contexte humanitaire. Après de multiples montées et descentes en taxi, nous nous arrêtons dans un des nombreux quartiers populaires de la périphérie de Kigali. Là où je logerai oscille entre le bidonville et les maisons de fortunes. J’apprends rapidement que l’électricité se commande par ticket recharge. L’eau chaude est bien évidemment inconnue au bataillon, tout comme la machine à laver, le lave vaisselles, internet et tous ces accessoires de riches occidentaux dont nous bénéficions. Même si j’aime parfois me couler des bains chauds, cela ne me gêne guère. J’ai toujours voyagé dans des contrées peu ou pas touchées par la culture monde occidentale. Ce sera donc la bassine d’eau froide, le rasage à l’aide d’une vieille pièce coupante et un trou pour les toilettes. Un retour aux sources bénéfique.
Les nouveaux exclus du Rwanda
La femme qui me recevait, malgré un salaire modeste, embauchait une ou deux bonnes. Une pratique courante au Rwanda. Chaque habitant, qu’ils soient riches ou pauvres, possède presque toujours une ou plusieurs bonnes. Ce sont pour la plupart de très modestes gens venus des campagnes pour mieux gagner leur vie. Ils sont les Hommes à tout faire. Ils préparent à manger, font le ménage, la vaisselle, lavent le linge et surtout doivent rester 24h/24 et 7 jours/7 au domicile. Limitant ainsi les cambriolages. Même si la femme qui me reçoit assure le pratique pas intentionnelle, durant tout mon séjour j’ai pu remarquer que les bonnes ne mangeaient pas avec la famille, ni en même temps. C’est un fait, mais un fait culturel qui je ne jugerai pas. Une bonne, en ville, gagne entre 15 000 et 20 000 francs rwandais par mois, soit presque 20 eurospar mois. Un salaire correct pour les gens de la campagne, une misère pour les rwandais de la ville qui gagnent en moyenne 200 et 150 euros par mois.
« A Paris je toucherais combien ? »
Les deux qui étaient présentes à mon domicile ne parlaient pas un mot d’anglais, ni de français ; chose rare au Rwanda. Les plus de 30 ans parlent généralement bien le français alors que les moins de 30 ans ont eux tendance à bien parler l’anglais. En effet, avant le génocide de 1994, trace de la colonisation belge, les enfants apprenaient le français. Mais après les événements de « nonen4 » comme on dit ici, le gouvernement rwandais, sous l’impulsion de Paul Kagame, a totalement dissous l’apprentissage du français, préférant l’anglais. Cela causa d’ailleurs et encore aujourd’hui un fort chômage chez les plus de 25-30 ans, trop francophones pour trouver les rares emplois disponibles. Une m’a demandé, très timidement, et avec la traduction d’une jeune fille de la famille, combien elle gagnerait en France pour le même job. Je lui ai dit qu’elle pourrait empiler jusqu’à cent fois plus de billets que son salaire actuel, mais qu’en France elle vivrait aussi, voire plus modestement qu’ici.
Les bonnes devront patienter
Patient, jeune rwandais d’origine congolaise a ouvert il y a peu un cybercafé dans l’interminable pente de Kacyiru où les taxis motos, tout droit sortis d’un bon vieux Mad Max, enfument les passants de la poussière et de leurs pots d’échappement. Il tient l’échoppe avec ses frères, gagne correctement sa vie, enchaîne les conquêtes féminine, joue au foot avec ses potes mais compte pourtant, comme c’est souvent le cas ici, créer une ONG. Celle-ci ne ciblera pour une fois pas les enfants de victimes du génocide mais… s’occupera de l’éducation des bonnes. « Elles travaillent, mangent et dorment tous les jours chez leur employeur, du coup elles n’ont accès à aucune éducation. » Un cas particulier au pays des mille collines où le gouvernement a pourtant fait de gros efforts sur le sujet et souhaite faire davantage. « Il faudrait trouver un créneau où elles pourraient s’absenter exceptionnellement quelques heures par semaine. ». En attendant, femmes et hommes des campagnes continuent d’affluer vers les villes et de contribuer aux taches ménagères des citadins sans cahiers ni stylos.