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Pierre-Loup Auger nous a quittés ce samedi 21 mai 2016 à 24 ans. Doué précocement pour le graphisme, ce jeune prodige laisse une oeuvre importante et de qualité. C’est pourquoi dans le but de lui rendre hommage, je publie à l’attention des lecteurs de la revue Le Nouveau Cénacle un texte légèrement modifié que j’avais écrit pour lui le 1 avril 2012.

Aborder l’œuvre graphique de Pierre-Loup Auger conduit à découvrir un espace proprement chaotique, étrange, voire fantomatique, empli par de mystérieuses narrations.

Un univers étrange et singulier

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Les êtres que l’on découvre anthropomorphes et zoomorphes semblent, en effet, tout droit   surgir  de notre imaginaire collectif.

Pierre-Loup envoûte en dévoilant aux apparences l’insondable, l’insoupçonné voire l’insoutenable.

Ressemblant  à une cohorte de visages de l’effroi… Certaines gueules qu’il trace au marqueur noir  avec leur énorme denture ont l’air de  fracasser le néant de cette « inénarrable musique antique » dont parlait Antonin Artaud. Avec en prime la sonorité brutale de cette déflagration du tonnerre qui  révèle la « nature nue » ?

Pierre-Loup envoûte en dévoilant aux apparences l’insondable, l’insoupçonné voire l’insoutenable.

Pourtant cette nature dévoilée, s’agissant en particulier de certaines figures emblématiques, semble davantage inspirée d’un conte de fées. A l’image de ces animaux qui prennent  des postures ou des attitudes humaines comme le singe avec sa couronne, le chat noir ou le lapin blanc.

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Mais à côté de ces êtres sympathiques apparaissent aussi d’autres «personnages» nettement  plus étranges,  certes fascinants   mais  la plupart particulièrement  inquiétants.

Pêle-mêle, on y découvre des anges, Dieu lui-même sous la forme d’un vieillard barbu, les Moires de la mythologie mais aussi le diable lui-même, au milieu des créatures cornues, des têtes squelettiques ou la Mort avec sa faucille… !

A l’évidence, il ne s’agit plus  de personnages de contes de fées mais bien davantage de ceux issus de certaines lectures ou de films d’horreur  (Seven, Shining…). L’artiste  concède bien volontiers que son inspiration, il la trouve  « que ce soit dans l’art ou à la télé, en cours ou dans la rue. »

Qui s’inspire de mythes récents

Son langage graphique  se réfère aussi à des mythes récents également utilisées par d’autres créateurs contemporains.

Je pense notamment à A.R. Penck qui avait opéré dans son art une tentative de symbiose entre le rationnel et l’irrationnel, la logique et l’imaginaire. Mais d’autres artistes prestigieux ont suivi les mêmes cheminements  tels K.Haring et J.M.Basquiat de l’art graffiti ou plus proche de nous Combas de la Figuration Libre.

D’aucuns pourraient reprocher une trop grande résignation aux mythes modernes provenant de la B.D., de la science-fiction ou des jeux vidéo.

A cet égard  Marie-Luise Syring parlait même d’une entreprise d’enjolivement de ces mêmes  mythes par les  représentants de la Figuration Libre.

Mais la particularité de tout  vrai créateur c’est d’élaborer un parcours qui lui appartient en propre malgré les apports successifs  des uns et des autres.

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Un langage qui lui est propre

C’est le cas notamment de Pierre-Loup qui   malgré son jeune âge (il est né en 1992 ), a créé des figures iconiques  et un langage qui lui sont propres. Son œuvre déjà abondante pour un jeune artiste est marquée du sceau de l’authenticité : une réalité graphique vivante, vibrante régie par ses propres lois.

Mais la particularité de tout  vrai créateur c’est d’élaborer un parcours qui lui appartient en propre malgré les apports successifs  des uns et des autres.

Ses dessins sont vrais au même titre qu’il l’est lui-même dans tout ce qu’il entreprend. Sa spontanéité est impressionnante lui qui réalise ses dessins d’un seul trait, sans brouillon ni esquisses préalables.

Une ouverture sans dogmatismes, car il trouve ses inspirations là où il vit : « Je m’inspire de ce qui m’entoure, de ce que j’ai en tête, de ce que je vis… ».

Sa jeune expérience nourrit déjà son œuvre de ses fantasmagories  mi clownesques, mi surréelles.
Derrière un univers qui peut paraître convenu se dessine en réalité  une véritable contestation de notre monde. Dans ses œuvres apocalyptiques, son art s’apparente à un cauchemar kafkaïen (le monde peuplé de monstres).

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Son travail n’est pas un travail « fun rock » ni celui d’une résignation face aux lois du système.

Il vient en contrepoint de l’ennui « baudelairien » de notre temps, l’ennui mortel de notre vie contemporaine (métro-boulot-dodo).

C’est pourquoi en creux son œuvre refuse tout cliché. Mais il reste  un artiste du temps présent. La fluidité et l’assurance de son trait  laissent  entrevoir le plaisir  qu’il ressent en maniant son feutre ou son marqueur.

Art du mouvement, du récit, de la forme au détriment peut-être de la couleur mais avec l’avantage de la vitesse du signe mis en séquence comme de la B.D.

Son esthétisme

L’esthétisme est toujours au rendez-vous dans ses œuvres. Il réussit  souvent l’exploit à créer une forme hybride entre dessin et écriture, les deux se mélangeant parfois grâce à la profusion des hiéroglyphes et des pictogrammes qui parsèment son œuvre.
Tout cela conduit à un discours d’une étonnante efficacité qui touche principalement le cœur des jeunes générations.

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Et plus encore Derrida parlant de l’œuvre d’Artaud (ses dessins) entend  celle-ci toujours  comme : « affaire de sonorité, de timbre, d’intonation, de tonnerre et de détonation, de rythme, de vibration, l’extrême tension d’une polyphonie. »
Ici aussi le leitmotiv de l’ « inénarrable musique antique » se fait entendre pour déchirer le voile d’une naissance et révéler « la nature nue ».

C’est en définitive le thème de cette révélation qui permet à  toute œuvre d’être Oeuvre et à tout être d’être Etre, grâce à ce phénomène de la transcendance musicale.

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P.S. :
Texte  ci-dessous publié par son père sur Facebook le mardi 24 mai 2016:
(les obsèques de Pierre- Loup se dérouleront ce jeudi 26 mai 2016)

« Pierre-Loup nous a quittés samedi.

Pierre-Loup a toujours été différent.
Il est parti rejoindre son univers et s’y était préparé depuis longtemps comme pour un voyage attendu.

Pour Annette sa mère, Nils son frère, moi, ses cousins, cette famille si belle et ses amis si nombreux, tous ceux qui restent, qui l’aimaient et qui l’admiraient aussi, c’est une idée saugrenue et insupportable.

Mais, pour lui, c’était devenu impossible d’absorber toutes les misères et les abus du monde sans laisser éclater sa colère qu’il a préféré diriger contre lui. Il était serein et repoussait cet acte aussi longtemps qu’il pouvait, conscient de la douleur épouvantable qu’il nous ferait.

Il a utilisé tous les moyens qu’il pouvait pour évacuer ses démons, le dessin, l’écriture, la musique et la sculpture.

Doué pour tout mais à sa place nulle part, solitaire avec un bonheur qui lui échappait, il a aussi préféré renoncer à ce qui devenait des contraintes, un travail, et il a choisi de rester totalement libre, animé d’une créativité destructrice qui nous dépasse.

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Jeudi vers 13h, nous resterons en famille pour accompagner Pierre Loup vers sa liberté sans concession, pour le regarder faire un doigt d’honneur à ce monde pourri et pour ma part, je le remercierai encore de m’avoir stupéfait, éveillé ma conscience, voir la vie autrement et je donnerais n’importe quoi pour quelques années de plus avec lui.

Jeudi, à partir de 17h et jusqu’à épuisement des bouteilles, ceux qui appréciaient Pierre-Loup, ceux qui le souhaitent et qui le peuvent sont invités à nous rejoindre dans la maison qui sait tout de lui, où il est né et où il est mort trop tôt.

Il n’y aura sans doute pas de discours, on est pas au spectacle ni dans une expo Underground, mais on boira des coups et on partagera ce que chacun apportera. Les mains vides et les cœurs pleins sont acceptés.

Merci de partager un peu de votre force, voir de nous parler du beau temps et des vacances qui approchent pour nous changer les idées quelques secondes, le temps de recharger les boites de mouchoirs.

Donc, à partir de 17h, au 1 rue du Pas des Laquais, La Rochelle.

N’hésitez pas à vous garer dans les petites rues bien avant ou sur le parking du Leclerc Culture, ce n’est pas si loin et il n’y aura pas de place autour de la maison.
Merci de partager y compris par d’autres moyens que FaceBook. »

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Christian Schmitt

Critique d'art. Auteur de "l'univers de J.L. Trévisse, artiste peintre" (ed. Lelivredart 2008) et de trois autres ouvrages sur les vitraux réalisés par des artistes contemporains aux ed. des Paraiges: Jean Cocteau (2012), Jacques Villon (2014) et Roger Bissière (2016). A retrouver sur : http://www.espacetrevisse.com

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