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L’artiste SETH se singularise à travers le monde avec ses nombreuses réalisations murales mettant en scène des enfants.

Diplômé de l’Ecole nationale des arts décoratifs, Julien Maland dit SETH né à Paris en 1972, intervient effectivement dans beaucoup de régions du monde, notamment en Amérique latine et plus récemment en Chine. Il est aussi connu du grand public en tant que présentateur et auteur des documentaires « Globe-painter » de la série « Les nouveaux explorateurs » diffusés sur Canal+ .

Mais d’une manière plus générale ce créateur ne laisse personne indifférent au vu de ses représentations qui nous interpellent par leurs expressions énigmatiques. En effet ses personnages surprennent car ils semblent à la fois présents et absents. On les voit souvent dormir ou regarder vers un ailleurs indéfinissable. A l’évidence les créations de cet artiste nous plongent dans l’embarras, car elles nous poussent à voir au-delà d’une certaine réalité.

L’effet de contraste

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En fait SETH explique lui-même sa démarche par l’effet de contraste. « Moi ce qui m’intéresse c’est d’avoir un dialogue avec les gens qui vivent à l’endroit où je peins. C’est pourquoi je fais des choses très simples, basiques au niveau de la recherche plastique. D’où ce double message que j’adresse. Lorsque je fais un enfant mignon en train de dormir, je ne le ferai pas sur un beau mur, je le ferai toujours dans un endroit complètement détruit ou qui va être détruit ou lorsque les gens vont être expulsés. Je suis attaché à la notion de contraste. »

SETH joue en effet sur la disharmonie pouvant exister entre l’apparente quiétude des personnages et leur environnement plutôt hostile voire empreint d’une certaine violence et de dureté.

L’art comme l’exercice d’un « pouvoir poïétique »

SETH poursuit en fait à travers son art un processus déjà largement engagé par les artistes modernes. Ceux-ci n’ont cessé de se libérer d’une tradition séculaire qui liait l’art conçu comme mimesis au cosmos, à la nature ou à la volonté de suivre un idéal esthétique.

DjerbaHood project, Tunisia, photo by Chrix Bigbrother

Tout cela dans le seul but de s’adonner dorénavant à une activité constructive, créatrice sous le modèle d’un « pouvoir poïétique » qui consiste à faire émerger l’être en toute chose.(1)

Pour SETH, ce sera l’occasion de promouvoir la sérénité dans l’expression de ses personnages face à la vacuité de l’environnement. Le vide est partout présent dans tous ces endroits en ruine.

Et tous ses personnages jouent en quelque sorte les antihéros. Figures énigmatiques dans un monde qui n’a pas de sens, où il n’y a pas de destin qui le gère ni d’équilibre moral qui le gouverne selon la formule de Hegel. Ce ne sont que des enfants, pensifs, pris dans un songe ou dans un profond sommeil.

Certes l’artiste n’est plus l’intermédiaire entre un monde humain et une transcendance, il est devenu un artiste indépendant. Or, même si l’art devient essentiellement subjectif, heureusement il peut encore glisser vers l’être grâce à un processus de dévoilement. Processus fondamental mis en lumière notamment par Merleau-Ponty dans son ouvrage Le visible et l’invisible: « l’avènement d’une vision intime du monde, d’une révélation de son essence et d’une capacité exceptionnelle de capter ses éléments fugaces indécelables. »(2)

Une autre façon de créer: la collaboration du public

SETH atténue également la subjectivité de son art par la participation qu’il attend du public.

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Même si son travail reste un travail plutôt personnel, il a besoin toutefois pour alimenter sa réflexion de la participation des gens qui vivent à l’endroit qu’il peint. Cela prend souvent la forme d’un dialogue. Marcel Duchamp avait renversé les rôles en affirmant que c’est le regardeur qui fait l’oeuvre d’art. Certes SETH ne va pas aussi loin, mais il suit à sa manière les traces de l’inventeur du ready-made.

« Mes gens sont présents et absents à chaque fois. Ils dorment ou regardent vers ailleurs. Ca permet au spectateur de s’imaginer ce qu’ils sont en train de regarder ou de penser. Mais aussi parce qu’ils questionnent leurs propres imagination et créativité. »

Plus récemment, il dit également:

« Arriver à parler à tout le monde (d’où la nécessité d’utiliser un grand mur). Le souci de parler à tout le monde parce que c’est de l’art public, je me sers de cette représentation. Mission sociale ?Mon travail marche avec le travail de l’autre, je m’investis pas tout seul sinon je ne peins pas. »

L’illumination derrière le mur ?

La plupart des personnages contemplent le mur et parfois une illumination apparait sous forme d’halos lumineux.

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Cela fait penser au brahmane appelé Bodidharma qui a passé 12 ans à méditer devant un mur pour atteindre l’illumination. Au lieu de signifier le néant pour nous Occidentaux, le mur devient alors une réalité autre pour le zen. C’est peut-être le message que veut nous adresser l’artiste ?

Mais l’artiste ne cache pas aussi son intention de « casser les murs ». « Mon but c’est de casser les murs qu’on a devant les yeux, aller au-delà.Notre vie est faite de murs, nos villes, ce qu’on voit à la télé aussi. »

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L’artiste est beaucoup plus explicite dans la réalisation ci-dessus. Lors d’une exposition à la galerie Itinérance à Paris en 2015, SETH a « monté deux murs de briques qu’il a abordé de la même manière qu’en ville. A coups de burin, il a ensuite percé une ouverture entre les deux, laissant apparaître une petite salle au fond de la galerie dans laquelle d’autres toiles sont à découvrir. »

Une installation dans l’esprit de celle de Marcel Duchamp « Etants donnés… » élaborée dans le secret entre 1946 et 1966 à New-York. Ici aussi, le spectateur devient témoin contre sa volonté, par hasard et fortuitement…!

Mais chez SETH, l’oeuvre ne semble pas donner sur une impasse venue d’un passé très distant. Certes comme pour les deux installations, le trou dans le mur ou dans la porte (pour Etants donnés) permet une transgression, une fente dans le temps qui permet d’apercevoir l’autre côté.

Mais dans le cas du street-artiste, ce que l’on voit c’est toujours un être de dos face à un autre mur avec un rayonnement intense.

L’être social, voyant/visible

L’être qui émerge des oeuvres de SETH résulte d’un jeu subtil entre voyant et visible. Cet artiste nous place toujours au coeur d’un chassé-croisé de regardants/regardés. Aux actions du regard, s’ajoute le paradigme de la perception: contempler, apercevoir, embrasser du regard. Tout ce chassé-croisé des regards entrelacés préfigure les relations sociales qui unissent les personnages.

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La formule latine « Esse est percipi » consacre le principe de: être c’est percevoir et être perçu. L’artiste réussit à le traduire picturalement grâce à une puissance poétique remarquable.

Ainsi lorsque la poésie rejoint le pouvoir de faire émerger l’être, c’est aussi peut-être tout l’art de cet artiste.

 

 

(1) H.R. Jauss, Pour une esthétique de la réception, Paris, Gallimard, 1978, p.151-152; traduit de l’allemand par Claude Mailard

(2) Lassa Jamoussi, Le Pictural dans l’oeuvre de Beckett, Approche poïétique de la choseté, Sud Editions, Presses Universitaires de Bordeaux, 2007, p.72

www.espacetrevisse.com

Site web de l’artiste:

http://www.seth.fr/

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Christian Schmitt

Critique d'art. Auteur de "l'univers de J.L. Trévisse, artiste peintre" (ed. Lelivredart 2008) et de trois autres ouvrages sur les vitraux réalisés par des artistes contemporains aux ed. des Paraiges: Jean Cocteau (2012), Jacques Villon (2014) et Roger Bissière (2016). A retrouver sur : http://www.espacetrevisse.com

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