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Quels vœux peut-on faire à l’aube de cette année 2016 ?

L’idéal me semblerait de redonner toute sa force aux mots de civilisation française, une expression qui n’a jamais cessé d’être utilisée en 2015 mais que peu de personnes ont pris la peine de définir : « Capitalisation et tradition, -tradition c’est transmission, -voilà deux termes inséparables de l’idée de civilisation. » disait l’historien Jacques Bainville au lendemain de la Grande Guerre. Le premier terme renvoie à la création de richesses c’est-à-dire à la situation économique et financière de la France. Le second, qui retiendra ici notre attention, pose la question non seulement de ce que nous avons reçu mais aussi de ce que nous sommes prêts à léguer à nos enfants. Il renvoie à ce que l’on est.

Depuis un an, au gré d’une actualité tragique, le slogan utilisant la première personne du présent de l’indicatif n’a cessé de fleurir ici et là, créant comme une forme d’overdose

Depuis un an, au gré d’une actualité tragique, le slogan utilisant la première personne du présent de l’indicatif n’a cessé de fleurir ici et là, créant comme une forme d’overdose : « Je suis Charlie » ; « Je suis la France » ; « Je suis Paris ». Mais comme la France n’a pas été la seule cible des fous d’Allah, on a vu apparaître des : « Je suis danois » ; « Je suis tunisien ». Sans compter la religion ou la profession des victimes des attentats : « Je suis juif » ; « Je suis chrétien » ; « Je suis policier » ; « Je suis… ». Mais savons-nous vraiment qui nous sommes?

Depuis une quarantaine d’années, la société de consommation n’a eu de cesse de nous répéter que seul ce que nous possédions avait de l’importance. Nous avons été dans la « civilisation de l’avoir », de la jouissance et du toujours plus au centre duquel se trouvait l’individu roi. Au nom du progrès, ce droit a atteint une forme de paroxysme en France avec le mariage pour tous. Christiane Taubira évoqua un changement de civilisation. Elle se trompait : il s’agissait simplement de l’aboutissement d’une logique libérale en marche depuis des décennies, portée autant par la droite que par la gauche.

Le retour de l’Histoire

Puis, après le mariage pour tous, l’enfant pour tous a été réclamé par plusieurs voix. Comme si l’enfant était un objet désaffilié auquel chacun a droit. Pierre Bergé, grand promoteur du projet, affirma sans rire que la femme pouvait louer son ventre comme l’ouvrier loue ses bras. Location, rémunération d’un service, consommation. Cependant, la machine était déjà grippée. La fameuse loi Taubira provoqua une fracture sociétale sans précédent dans l’histoire contemporaine de la France. Et François Hollande n’a pas voulu prendre le risque de légiférer sur le sujet, ni sur l’euthanasie, degré ultime de l’utilitarisme visant à mettre fin à une vie au prétexte de son inefficacité ou de son inutilité. Or, à la fracture sociétale, se sont greffés les attentats de 2015. A l’image de Daniel Cohn-Bendit qui narguait un CRS en 1968 s’est substitué celle d’un manifestant embrassant un policier le 11 janvier 2015. L’histoire dans tout ce qu’elle a de tragique refaisait surface avec ses peurs, la nécessité de l’ordre et le retour de l’autorité.

L’année 2015 a sonné la fin d’un monde au profit d’une interrogation sur notre identité et nos racines. Pourtant, nous avions été prévenus de l’impasse dans laquelle nous nous trouvions.

L’année 2015 a sonné la fin d’un monde au profit d’une interrogation sur notre identité et nos racines. Pourtant, nous avions été prévenus de l’impasse dans laquelle nous nous trouvions. En son temps, Jean-Paul II avait prophétisé le danger du totalitarisme d’un individu désaffilié, coupé de ses racines et de son environnement naturel et surnaturel : sa famille, sa cité, sa patrie et Dieu. Son successeur, Benoît XVI, dans son discours sur les liens de la Foi et la raison à l’université de Ratisbonne (2006), avait renvoyé dos à dos le laïcisme et l’islamisme : « Depuis longtemps, l’Occident est menacé par cette aversion pour les interrogations fondamentales de la raison et il ne pourrait qu’en subir un grand dommage » avait-il prévenu. Aujourd’hui, c’est au tour du pape François que de nous redire la nécessité du lien entre les générations. A la « civilisation de l’avoir », hédoniste et individualiste, l’Église a proposé de porter la « civilisation de l’être » afin de répondre à l’essentiel : qui sommes-nous et où allons-nous.

Or, à ces interrogations fondamentales et aux massacres du 13 novembre, le président de la République et le chef du gouvernement n’ont eu d’autres réponses que celle du « vivre ensemble », peut-être parce que « Plus belle la vie » était déjà pris. Être Français pour eux signifie être en faveur des valeurs républicaines sans que l’on sache véritablement ce que recouvrent ces mots. Peut-on sincèrement s’en contenter ? Naturellement non, parce que l’on sait bien que la France est bien davantage. Elle est d’abord et avant tout une histoire de 1 500 ans qui ne nous appartient pas, avec ses grandeurs et ses faiblesses, ses renaissances et ses décadences. L’avenir de notre pays ne peut se concevoir sans la redécouverte de cette histoire, de ses racines chrétiennes mais aussi de ses valeurs morales et de l’esprit français, de son art de vivre et de sa culture.

La bonne nouvelle est que la population française a commencé à prendre ce chemin en rejetant l’héritage consumériste et politiquement correct contre les « élites » elles-mêmes. C’est ce que l’on appelle depuis plusieurs mois la droitisation de la vie politique, de ses intellectuels et surtout de son opinion publique. Dès lors, le problème n’est plus tant de faire le vœu d’une redécouverte de la civilisation française. Non. Mon vœu pour 2016 -qui est un vœu pieux- est de voir ceux qui nous gouvernent prendre enfin conscience de cette mutation fondamentale que vit notre société.

Christophe Dickès

Christophe Dickès

Christophe Dickès

Docteur en histoire contemporaine des relations internationales, Christophe Dickès est spécialiste de l’œuvre de Jacques Bainville, auteur de Jacques Bainville, les lois de la politique étrangère (Bernard Giovanangeli Editeur) et Bainville, la Monarchie des Lettres (Robert-Laffont, coll Bouquins). Spécialisé aussi dans l’étude du catholicisme contemporain, il a dirigé chez Robert-­Laffont un Dictionnaire du Vatican et du Saint­-Siège (coll. Bouquins). Son dernier livre, Ces 12 papes qui ont bouleversé le monde (Tallandier), est une réflexion sur le pouvoir et la grandeur pontificales des origines à nos jours.

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