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Lahcen Khedim (L.K.), artiste plasticien, qui vit et travaille à Paris, étonne par sa façon très singulière de restituer le monde qui l’entoure.

Plutôt discret voire parfois taciturne, ce jeune créateur a en revanche tendance à nous inonder par le verbe impétueux de sa peinture. Celle-ci, omniprésente, ne cesse de préempter avantageusement l’espace de ses toiles. Provoquant souvent chez le spectateur une sensation proche du vertige voire de l’ivresse. En réalité ce peintre aime passionnément la matière picturale. Il n’a de cesse de creuser la couleur comme s’il s’agissait de faire éclater la croûte terrestre. Et de pouvoir ainsi révéler à travers ses blessures des beautés enfouies.

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L’oubli de la technique

L.K. c’est avant tout un peintre d’action, de l’Action Painting et à ce titre c’est le geste qui fonde principalement sa peinture. Celui-ci est avant tout expressif. Peindre est d’abord et surtout une action qui correspond à un déroulement que le créateur porte en lui. En effet, à travers l’acte pictural, c’est le tempérament de l’artiste que l’on découvre, son bonheur mais aussi ses désespoirs. Cela rappelle un certain Van Gogh qui voulait lui aussi faire « oublier » la technique. Mais oublier la technique ne veut pas dire absence de technique.

Bien au contraire puisque ce peintre met la technique au service du hasard comme source d’inspiration. A l’image de Pollock qui fit coïncider dans ses toiles hasard et méthode.

L.K. 5

Ainsi toute la vitalité de l’Action Painting, son aspect névrotique tout autant que   son côté pathétique se manifeste entièrement dans l’écriture de ce peintre. Rien d’étonnant par conséquent   qu’elle se présente souvent griffée, hachurée ou striée avec des formes volontairement zigzagantes, tournoyantes et enveloppantes ! Renforçant ainsi cette curieuse impression que des lignes de force et des centres d’énergie se rencontrent et se combattent mutuellement. Certes, toujours selon un art maîtrisé, car L.K. ne s’abandonne jamais totalement aux influences de l’inconscient.

Les métamorphoses du monde visible

Le résultat de son travail ce sont alors les multiples métamorphoses du monde visible et de son propre monde intérieur qu’il nous offre à voir.

Chaos 1

L.K. a   trouvé son style personnel, notamment dans la série dénommée « Chaos ». Ici, l’artiste nous plonge dans un tragique moderne avec des représentations terrifiantes de têtes humaines avec des yeux exorbités. Son écriture impétueuse est un art d’une puissance souvent archaïque. Les figures déformées jusqu’au grotesque sont les éléments de son langage pictographique fait de signes préhistoriques ou archétypaux. C’est pourquoi ses créations pathétiques laissent un large champ aux interprétations et aux associations du spectateur.

Elles nous invitent, en effet, à métamorphoser le monde visible en dépassant les frontières entre le rationnel et l’irrationnel, la logique et l’imaginaire, le positif et le négatif. Par ailleurs cet acte de violence que constitue « Chaos » est merveilleusement servi par la puissance d’embrasement de la couleur. Avec cette peinture explosive, on est constamment sous le feu des rouges foudroyants, des bleus puissants et des noirs pénétrants.

De plus pour accentuer l’effet frénétique de ces mêmes compositions, l’artiste instaure des « remarques marginales » comme je l’avais déjà moi-même constaté en 2012. (mon article du 24 mars 2012 « Le Chaos selon L.Khedim » http://espacetrevisse.e-monsite.com/pages/mes-travaux-personnels-notes-etudes/le-chaos-selon-l-khedim.html ).

En effet L.K. encadre la plupart de ses œuvres par des bordures à la manière des « remarques marginales » ou « prédelles » comme utilisées déjà par Pierre Alechinsky.

« (Il) fait surgir dans ces « remarques marginales » différents motifs fort différents entre eux : des pictogrammes, des formes géométriques (cercles, carrés, triangles…), ou uniquement une marge encadrant l’œuvre (un trait simple, double ou hachuré…), prenant parfois la forme de chevrons avec ou sans yeux… » (mon article précité)

Cette force d’encadrement accentue encore la tension dramatique voulue par l’artiste. Elle conduirait à une forme de dépassement par la puissance du mythe et de l’irrationnel. Ou comme l’écrit Jacques Derrida à propos des travaux d’Antonin Artaud : « on chante plutôt qu’on ne parle (et) on écrit l’intraduisible… » A l’évidence c’est ce qui distingue ce peintre, lui qui travaille avant tout de manière expressive et spontanée. Pour produire au final une œuvre qui résulte d’un mélange étonnant d’explosivité et de réflexion, d’élan et de précision picturale avec toujours comme trait d’union cette émotion sincère au service de la vérité.

Des œuvres venues de l’underground

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L’artiste restitue également cette subculture proche du mouvement graffiti. Bien qu’il ne se revendique pas de l’art urbain ou du street art, le style de L.K. est toutefois en phase avec ce courant artistique. Comme lui, il œuvre également dans le registre de l’art « off ». D’abord il se rapproche de la scène graffiti par le caractère très athlétique et très nerveux de l’exécution et une inspiration souvent issue de la contre-culture avec l’utilisation de symboles totémiques. Certes il s’agit d’une culture différente de celle du « tag », car il ne valorise pas son ego avec une signature reproduite à l’infini mais utilise une syntaxe de signes qui lui sont personnels.

On retrouve en permanence dans ses œuvres des formes zoomorphes et anthropomorphes. Des signes proches des hiéroglyphes égyptiens ou des pictogrammes mayas ou des indiens d’Amérique du Sud. D’ailleurs sa façon de travailler ressemble à celle des Indiens de l’Ouest américain. Agenouillé au sol, mains par terre et bras tendus, L.K adopte cette posture habituelle pour travailler qui est aussi celle des populations amérindiennes.

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Il représente ses thèmes avec le rythme frénétique de notre temps d’où l’importance du mouvement. L’art comme la vie doit être vécu instant par instant. L.K. adopte l’esprit de notre époque comme un véritable artiste de l’instant. La vitesse du temps est telle qu’elle défigure tout sur son passage.

Le Zeitgeist, l’esprit du temps

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L’être humain lui-même ne peut résister à la violence du temps. Il paraît décomposé, tétanisé, bousculé par l’énergie débordante des formes électriques qui s’agitent autour de lui. L’œuvre de L.K. reflète bien l’esprit de notre temps qui est celui de l’éphémère. C’est le temps qui passe avec chaque instant qui est différent du précédent. On est dans l’instant présent, dans le temps du provisoire et du modèle instauré par le zapping tv. D’où cette agitation débordante qui affecte le personnage central de l’œuvre.

L’artiste montre toujours ses thèmes avec cette exubérance visuelle ce qui fait de lui un véritable artiste de l’instant. Il vit sa vie avec la même intensité que son époque. Mais le peintre nous montre également les limites du Zeitgeist.

En s’affranchissant de la durée et du recul nécessaire sur les événements, l’individu s’expose aux mouvements de ses passions d’autant qu’il baigne dans une culture de l’émotion, des sentiments et d’une sexualité libérée. On découvre alors les dégâts causés par un individualisme sans limites. C’est pourquoi L.K. nous offre à voir un homme certes libéré mais totalement éclaté, atomisé !

 

Christian Schmitt
www.espacetrevisse.com
 
Lahcen Khedim
http://www.lahcenkhedim.com
Les crédits photographiques sont de Léo Guillaume
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Christian Schmitt

Critique d'art. Auteur de "l'univers de J.L. Trévisse, artiste peintre" (ed. Lelivredart 2008) et de trois autres ouvrages sur les vitraux réalisés par des artistes contemporains aux ed. des Paraiges: Jean Cocteau (2012), Jacques Villon (2014) et Roger Bissière (2016). A retrouver sur : http://www.espacetrevisse.com

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