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L’arrivée des podcasts nouvelle génération avait été annoncée depuis plusieurs mois. Pascale Clark quitta France Inter lors du dernier renouvellement de la  grille  des programmes. Elle partait la tête haute, annonçant de grandes idées. Quelques mois plus tard, l’accouchement a eu lieu : Boxsons a vu le jour le 18 avril  2017. Comme souvent dans les effets d’annonce, le résultat n’est pas à la hauteur.

Véritable autoroute des nouvelles télécommunications aux Etats-Unis, le podcast comme nouveau média apparaît enfin en France. Apple  et Itunes ont placé cette forme de réécoute sur le devant de la scène numérique il y a une dizaine d’années. Mais il ne s’agissait que d’une forme de réécoute. Le confort apporté par la découverte du dernier numéro des Grosses têtes sur le trajet de retour du boulot permettait à l’homme mi-moderne de rentrer détendu. Dans un autre genre, l’étudiant qui réécoute feux les Nouveaux chemins de la connaissance de la belle Adèle avant de rejoindre le cours de Patrick Dandrey sur La Fontaine, dans l’ancienne Sorbonne, avait la tête dedans dès 7 heures de matin. Il vaut toujours mieux entendre parler philosophie que d’écouter les matinales, toutes de qualité médiocre.

« Le XXIe siècle a annulé le punk puisque le Do It Yourself est possible, plus simple et plus accessible que la voix officielle ».

Depuis quelques mois, la révolution podcast était annoncée : enfin, comme au pays de Donald Trump, nous allions pouvoir écouter autre chose que les grandes radios. Le média Slate, dans sa version française a lancé deux formules : Transfert qui creuse dans les méandres du sentiment amoureux contemporain est une réussite et Les sales gosses  tente et rate d’aborder avec finesse le thème du « parenting ».  La révolution ne se fait qu’à moitié. Le demi tour produit par cette suite logique de la radio permet de revenir sur l’absurde mise en avant des stars du micro, notamment apparue avec les caméras dans les studios et sur les culs de bus, lors de la guerre des matinales. Enfin, de nouvelles voix prennent des nouvelles voies. La création sonore dans son ensemble, reportage, pure création artistique, ou entretiens disparaissaient peu à peu et renaissent de leurs cendres.

La demie révolution podcast se joue sur la démocratisation de l’information, de sa production et du divertissement audio. Un enregistreur de qualité comme le Zoom H4N ou leur concurrent chez Tascam ou autres coûte entre 150 et 300 euros. Un micro USB coûte entre 50 et 100 euros.  Loin est le temps où le travail de la radio réclamait un studio professionnel. La révolution podcast va de pair avec la révolution numérique : les outils d’aujourd’hui permettent de tout faire soi-même. Le XXIe siècle a annulé le punk puisque le Do It Yourself est possible, plus simple et plus accessible que la voix officielle. Le bon journaliste n’a pas besoin de diplôme ni de journal, il peut exister par lui-même et être le meilleur. L’artisan podcasteur, qui n’est plus qu’un simple journaliste,  a aisément tous les moyens de produire et de proposer.

Monétisation ou sacrifice : le dilemme permanent. 

L’auditeur lambda se balade sur Internet et tombe sur l’immense promotion autour du travail de la journaliste et ex productrice TV/radio. La boîte à podcasts Boxsons a pointé le bout de son micro et son prix d’abonnement.  Pascale Clark demande une petite centaine d’euros à l’auditeur souhaitant écouter les oeuvres de ses camarades  pendant un an. L’abonnement mensuel semble plus ou moins sans engagement, permet de se faire une idée réelle du travail proposé. La monétisation de l’écoute de ce nouveau média pose deux problèmes :  d’une part une certaine sélection des auditeurs entre ceux qui peuvent et souhaitent payer pour accéder à un contenu sonore  et d’autre part l’expression d’une qualité naturelle inhérente au contenu payant. À l’époque où l’information est gratuite, et rendue plus rapide par les réseaux sociaux que par les médias traditionnels, espérer vendre des podcasts est un choix. Un choix pour se  verser un salaire, un choix pour éviter la publicité, un choix pour reconnaître la qualité d’un travail, qui mériterait salaire.

Plus qu’un choix, c’est un pari risqué.  De manière plus pragmatique, la volonté de monétiser la production de Pascale Clark et de ses camarades, (notamment l’ancien chef de la Maison Ronde, Jean Luc Hees,  ou encore Hervé Marchon de Libé) exprime une grande prétention. Comme si, par leurs riches expériences et leurs prétendues diversités, les producteurs de ces émissions ne pouvaient pas faire du gratuit. Parce que c’est leur métier. C’est bien ce qui paraît gênant : l’honnêteté de la rubrique « Qui sommes-nous » permet d’avoir une vision globale des contributeurs. Tous ou presque ont travaillé dans les grands médias français. « RTL » « France Inter » « France Culture » « Libération » « RMC » sont des mots clés qui apparaissent régulièrement dans les biographies. C’est là que la diversité perd son sens. Bien sûr, donner le micro au bruiteur pour de la création pure se révélait bien rare avant Boxsons.  Mais Arte Radio nous a montré depuis plusieurs années que la création sonore existait sur Internet, que les passionnés de son ne sont pas tous manchots ni muets, et surtout que la production pouvait être gratuite.  Les auditeurs qui souhaiteront payer pour ces podcasts pourraient bien être ceux qui pourraient en réaliser : un média comme les autres, finalement, à destination des journalistes.

« Voila ou nous en sommes exactement : à nous contenter de ce qu’on nous donne. A désirer ce qu’on nous permet. A nous intéresser à ce qu’on nous dévoile. A regarder ce qu’on nous montre. Et bien sûr, corrélativement, à nous refuser ce qu’on nous interdit. A ne jamais fouiller dans ce qu’on nous cache ». (L’Empire du Bien)

Accordons à Pascale Clark un grand mérite : Boxsons apparaît comme un défricheur. Grâce au renom des fondateurs et à leur carte de visite, la création sonore devient visible grâce à la promotion des copains (PatCo glissant une petite remarque le matin de l’ouverture par exemple). Grâce à Boxsons  nous pouvons donner tort à Philippe Muray quand il pressentait la réalité du XXIe siècle commençant : « Voila ou nous en sommes exactement : à nous contenter de ce qu’on nous donne. A désirer ce qu’on nous permet. A nous intéresser à ce qu’on nous dévoile. A regarder ce qu’on nous montre. Et bien sûr, corrélativement, à nous refuser ce qu’on nous interdit. A ne jamais fouiller dans ce qu’on nous cache ». (L’Empire du Bien)

On peut fouiller avec ce nouveau média, mais  les deux seuls pistes en écoute gratuite sur le site ne sont que deux pauvres petites pastilles sans grand intérêt et surtout sans grande originalité, ni en terme sonore, ni dans ce qui y est raconté.   Hélas, cela ne donne pas envie d’aller plus loin.  La création d’outils permet une véritable démocratisation de la production  de contenus numériques.  L’analyse des faits n’est plus le seul domaine des journalistes formés. De manière assez comique ceux-ci jouent des pieds et des mains pour montrer que le vrai journaliste apporte toujours une plus-value, que pour notre part, on attend toujours. Le bon sens nous le montre durant cette campagne présidentielle : le problème majeure de la politique est la professionnalisation. Il nous semble que la nouveauté du siècle présent c’est de montrer que la professionnalisation est aussi le problème du journalisme. Les médias indépendants fleurissent un peu partout. Leurs choix prioritaires : écrire ou dire ce qu’ils voudraient lire et entendre, le faire gratuitement car cela permet la seule véritable indépendance. Les êtres humains ne sont plus des monolithes enfermés dans un milieu précis. Ils peuvent avoir un métier et s’adonner à toute sorte de création parallèlement. La mondialisation a transformé l’Homme et lui permet de se remplir de ce qu’il rencontre, de ce qu’il vit, de ce qu’il pense, de ceux qu’il croise.

Boxsons se décrit comme un média. Comme le Bondy Blog en somme, mais souhaitons au premier une plus grande indépendance d’esprit que le second. Le constat que nous dressons est simple : le site de Pascale Clark  est presque exclusivement payant, et assez cher pour le citoyen lambda, ni étudiant, ni chômeur. Pour juger sur pièces il faudrait que les pistes à l’écoute gratuitement fussent assez nombreuses : pour le moment, l’auditeur curieux peut écouter deux pistes estampillées « offert ». Ce nouveau media numérique est fait par des professionnels. On ne peut que s’en féliciter. Grâce à quelques tweets bien sentis l’auteur de ces quelques lignes a pu écouter quelques-uns des podcasts produit par Boxsons. On remarque la qualité professionnelle des propositions et leur richesse : on écoute un ensemble anarchique (c’est un compliment) de documentaires ou d’entretiens bien trouvés. Le défaut majeur réside là où on le pensait : Pascale Clark et Candice Marchal, les fondatrices du site, ne semblent pas vouloir renoncer à leur posture de journaliste. Si l’on enlève les reportages se donnant de faux liens avec l’actualité, ou se donnant une fausse bonne conscience, comme celui allant à la rencontre des jeunes votants des quartiers nord de Marseille, celui suivant un migrant sauvant sa vie, ou encore celui sur le difficile rassemblement des soutiens de Sarkozy derrière  François Fillon, on ne retrouve que des reportages où priment la qualité sonore, la richesse de la rencontre et la sincérité du producteur. Espérons que Boxsons assume davantage sa part d’amoureux de la radio et du son, que sa part de journaliste.
Allez, je vais me payer un mois. Pour voir.

Liens

https://www.boxsons.fr

http://www.slate.fr/podcasts

https://www.arteradio.com

http://mukashimukashi.audio (à suivre)

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Christophe Berurier

Christophe Berurier est professeur. Il aime les mots et le vélo.

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