Partagez sur "Macron face à Le Pen : une défaite de Michéa à Zemmour"
C’était écrit. Pensé. Longuement mûri depuis une décennie. Intellectuels, hommes politiques et journalistes n’ont cessé d’analyser une prétendue « droitisation de la France » voire une vague conservatrice qui traversait le peuple français. Hélas, mille fois hélas, la (très) probable élection d’Emmanuel Macron cinq ans après celle de François Hollande oblige à revoir certaines grilles de lecture trop vite établies.
Dans un récent entretien accordé au Figaro, Denis Tillinac affirme: « La droite est majoritaire dans les profondeurs du pays », faisant suite à une kyrielle d’éditoriaux, d’émissions et d’essais décortiquant l’attachement majoritaire du peuple périphérique (pour reprendre les terminologies du géographe Christophe Guilluy) à un certain conservatisme social et sociétal. Ainsi, les zones rurales ou les habitants du périurbain qui ont fui les banlieues où ils n’étaient plus les bienvenus constituaient la nouvelle avant-garde d’un réveil authentiquement conservateur et populaire, échaudé par les rodomontades sarkoziennes et la pusillanimité hollandienne face au « mondialisme » et au déracinement.
« Las. C’est l’incarnation presque caricaturale du néolibéralisme uberisé, soutenue tant par Pierre Bergé et Alain Minc, qui a triomphé ».
Après le catastrophique quinquennat Hollande, Emmanuel Macron – pourtant architecte du programme de ce dernier en 2012, puis conseiller et ministre de l’Economie du même président Hollande – s’est hissé en tête du premier tour de l’élection présidentielle 2017. Après l’écrasante victoire de François Fillon lors de la primaire de la droite et face à la « Vague bleue marine » attendue, tout semblait joué d’avance. L’arbre mort de la gauche Terra Nova devait rompre face à la tornade provoquée par le réveil des enracinés et des exclus de la mondialisation. Las. C’est l’incarnation presque caricaturale du néolibéralisme uberisé, soutenue tant par Pierre Bergé et Alain Minc, qui a triomphé. Sans même avoir eu à détailler son hypothétique programme. Simplement en surjouant le gendre modèle à la télévision : la génération Nabilla tient son incarnation politique. Les affres de la déculturation massive et du matérialisme triomphant se font douloureusement sentir.
Certes, il y a eu les affaires concernant François Fillon. De ce point de vue, les médias et les juges ont choisi le bon moment pour lancer l’offensive : après avoir cherché à abattre Nicolas Sarkozy par tous les moyens, il leur fallait bien une nouvelle victime à immoler sur le bûcher cathodique. Marine Le Pen n’a pas su faire la campagne que certains attendaient d’elle : elle aussi visée par des enquêtes, engluée dans un discours économique parfois bancale, elle a été relativement inaudible et n’a su imposer aucun thème.
Une défaite de Michéa à Zemmour
Ce triomphe annoncé d’Emmanuel Macron sonne le glas du mythe des classes populaires (et moyennes) réactionnaires et conservatrices. L’élection de François Hollande avait déjà instillé le doute dans certaines consciences et c’est désormais un fait incontournable : non, la pensée de droite n’est pas majoritaire dans ce pays. Non, une pensée authentiquement conservatrice n’est pas non plus l’apanage du petit peuple cher à Jean-Claude Michéa. Non, les « petites gens » ne sont pas réactionnaires. Encore moins « Insoumises ». Tout simplement parce que les urnes ont livré leur verdict et que cinq après Hollande, c’est bel et bien un épigone de Jacques Delors qui va accéder à l’Elysée.
« L’homme qui a affirmé que la culture française n’existait pas va succéder à Charles de Gaulle et à Georges Pompidou. Il y a bel et bien de quoi frémir ».
Après le discours de Macron, qui n’a jamais paru autant benêt qu’en ce 23 avril, incapable d’insuffler un semblant de souffle lyrique à son propos, l’effroi a gagné bien des esprits. Et des coeurs. « Macron, c’est moi » aurait déclaré Hollande aux journalistes Davet et Lhomme. Cela aurait dû suffire pour réveiller ce fameux peuple conservateur afin de passer outre la cabale médiatique orchestrée contre François Fillon et faire triompher une droite enfin dépouillée de ses oripeaux sociétaux et de son surmoi keynésien. Il n’en a rien été. Dont acte.
L’homme qui a affirmé que la culture française n’existait pas va succéder à Charles de Gaulle et à Georges Pompidou. Il y a bel et bien de quoi frémir. « Le camp des progressistes », comme il l’a de nouveau martelé, va, à moins d’un sursaut droitier aux législatives, diriger le pays cinq années de plus, durant lesquelles les penseurs « conservateurs » et autres « antimodernes » devront s’atteler à répandre leurs idées dans ces profondeurs du pays plutôt qu’affirmer péremptoirement leur suprématie. Parce qu’il en va tout simplement de la survie d’une nation qui ne veut pas sombrer pieds et poings liés dans la logique des business schools. Parce qu’il en va de l’éternité d’une terre qui ne veut pas devenir un tissu de start-ups. Parce qu’il en va de la France.
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