Par amateurisme, inexpérience ou plus plausiblement encore par goût prononcé pour le contrepied, le nouveau chef de l’exécutif américain multiplie les initiatives inattendues et autres prises de position aux antipodes de son discours de campagne. Au risque de s’attirer bien des foudres…
Les images avaient fait le tour du monde. Ce 30 avril 2011, le dîner des correspondants à la Maison Blanche – une tradition ancienne et une source de décontraction à laquelle Donald Trump a préféré déroger, nourrissant il est vrai une défiance et un ressentiment peu communs à l’endroit des médias – avait été l’occasion pour Barack Obama de se moquer publiquement du magnat de l’immobilier. Ou plutôt de lui rendre la monnaie de sa pièce.
Car d’une manière peu élégante, et bien qu’il s’en soit (mollement) défendu par la suite, alors même qu’il avait écumé les plateaux de télévision pour tenter de crédibiliser sa thèse, Donald Trump émit des doutes quant au lieu de naissance de celui qui était encore l’homme le plus puissant du monde et avait déjà bien entamé la seconde partie de son premier mandat.
Parce que l’ex-sénateur de l’Illinois a bel et bien vu le jour à Hawaï, conformément à la constitution américaine qui exige que son premier garant naisse aux Etats-Unis, le successeur de George W. Bush, comme souvent à son avantage micro en main, tourna l’accusation trumpienne en dérision, diffusant un extrait du « Roi Lion » en guise de certificat de naissance qui suscita de grands éclats de rire. Filmé de profil, Donald Trump avait le masque, humilié publiquement qu’il était par ce tour de force assaisonné ensuite de force punchlines forçant le trait sur son prétendu complotisme.
Pour ce jobastre milliardaire à l’ego démesuré, l’affront était impardonnable. Promis, juré, ses détracteurs allaient voir de quoi il était capable. Qu’impossible n’est pas Donald Trump, ce matamore madré à qui personne ne peut résister. De ce jour naquirent sans doute sa détestation de Barack Obama et, par ricochet, ses velléités présidentielles. Cinq ans plus tard, presque jour pour jour, le moins que l’on puisse écrire est que le nouveau locataire de la Maison Blanche, sans doute plus par jeu que par conviction, ne ménage pas sa peine pour détricoter ou tenter de détricoter tout ce que la précédente administration a entrepris. L’Obamacare, qu’il a cependant échoué à réformer dans l’immédiat, faute de majorité, et le retour en grâce du projet d’oléoduc géant Keystone XL en sont deux preuves parmi d’autres.
Une politique illisible
Disons-le franchement : celui qui a prêté serment en janvier dernier a quelque chose de Tony Montana, à ceci près – le détail n’est pas exactement anodin – qu’il n’est pas le prototype du self-made-man parti de zéro. Même attitude de cow-boy mal dégrossi, même certitude de pouvoir duper tout un chacun, même conviction que le monde lui appartient.
Le « président Scarface » est cependant plus complexe qu’il y paraît et même franchement incernable si l’on en juge ses dernières décisions et déclarations. Après avoir prôné des semaines durant un rapprochement avec la Russie de Vladimir Poutine, dont l’avenir nous dira peut-être s’il a contribué de près ou de loin à son élection, Donald Trump a ainsi pris tout le monde de cours en pilonnant tout récemment une base syrienne, ordonnant le lancement de la bagatelle de 59 missiles Tomahawk en représailles à une épouvantable attaque chimique. Celle-ci n’a-t-elle pas été un peu trop vite attribuée à Bachar Al-Assad, lequel n’avait en effet absolument aucun intérêt à une telle initiative qui ne pouvait que lui valoir l’ire de la communauté internationale ?
Vu le soutien indéfectible de Vladimir Poutine au président syrien, les relations entre Moscou et Washington, dont tout donnait à croire qu’elles allaient s’améliorer, se sont quoi qu’il en soit encore refroidies suite à cet épisode. Le candidat isolationniste s’est par ailleurs, et c’est évidemment tout sauf accessoire, mué en chef de guerre, un chef de guerre qui ne semble de surcroît plus faire de l’anéantissement de l’Etat islamique l’une de ses priorités.
Le très puissant lobby militaro-industriel se frotte probablement les mains, mais ceux qui ont voté pour Donald Trump dans l’optique d’une restriction, sinon d’un arrêt des opérations militaires, coûteuses et aux répercussions diplomatiques et sécuritaires forcément incertaines, ont aujourd’hui de quoi déchanter.
Les derniers jours ont également été marqués par un très fort regain de tensions avec la Corée du Nord de l’inénarrable Kim Jong-Un, agité du bocal avéré qui multiplie les provocations à l’endroit de l’Oncle Sam et autres menaces atomiques même pas voilées. Bluffe-t-il, comme le supputent quantité d’observateurs ? Donald Trump a pour sa part opté pour cette stratégie, un responsable américain de la Défense ayant révélé que « l’armada » qui était censée faire route vers la péninsule est en réalité parti… dans une direction opposée à la Corée du Nord ! Parce que l’agent orange aux commandes du vaisseau américain est capable de tout et d’opérer tous les 180 degrés possibles, on ne peut néanmoins exclure une nouvelle escalade avec son funeste homologue nord-coréen qui, celle-ci, ne serait pas forcément que verbale et accoucherait d’un conflit aussi kafkaïen qu’évitable.
Reste le cas de la Chine, systématiquement tancée pendant la campagne, ouvertement menacée de guerre commerciale, de taxes colossales sur les importations, suspectée de sous-évaluer artificiellement sa monnaie, bref accusée de tous les maux économiques américains ou presque. Là aussi, la donne a changé, Donald Trump ayant de son propre aveu tissé un lien plus que cordial avec Xi Jinping, qui a eu l’insigne privilège d’être reçu dans son imposante villa floridienne. « Qu’est-ce que je suis donc censé faire ? Lancer une guerre commerciale contre la Chine pendant qu’il est en train de travailler sur un problème franchement plus gros, avec la Corée du Nord ? Je traite donc la Chine avec respect, j’ai un grand respect pour lui. Et on verra à présent ce qu’il peut faire », a expliqué le président américain sur Fox News.
Tout indique donc que, dans l’immédiat, le combat de coqs avec Pékin n’aura finalement pas lieu, ce qui pourrait aussi déplaire à quelques travailleurs américains oubliés de la croissance et pris dans la spirale de la mondialisation effrénée.
A force de dire tout et son contraire, Donald Trump, ce grand joueur néophyte en politique, dénué de toute congruence, mais habité par une confiance en soi qui dépasse l’entendement, pourrait finir par lasser. Ses virées répétées en Floride, où il joue au golf bien plus que Barack Obama, à qui il reprochait en son temps de prendre trop de temps libre, exaspèrent quant à elles d’ores et déjà, et jusque dans son propre camp.
Gageons que d’autres initiatives et reniements autrement plus lourds de conséquences diviseront aussi le parti républicain dans les mois voire les semaines à venir.