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Un vrai travail d’équipe au Nouveau Cénacle qui se termine en beauté. Pour croquer Christiane, notre bon Bérurier a décidé d’y mettre son grain de sel. En amateur de la petite reine, il se propose de revenir sur son épopée. A l’instar de cette sage personne, Bérurier nous inonde de mots. Un peu d’empathie n’a jamais fait de mal à personne. Ultime portrait sponsorisé par Decathlon.

Depuis la démission du Garde des Sceaux, rien ne va plus dans les conférences de rédaction. Toutes les feuilles de chou cherchaient à exprimer leur posture pour commenter ce départ. « Enfin » pour les uns, « Hélas » pour les autres, voilà un geste politique fort qui fait réagir toutes les cases de l’échiquier.

Chants du cygne à répétition

Digne successeur de Robert Badinter, elle sut prendre une place de premier plan au sein de l’action gouvernementale et fit sienne la promesse du candidat Hollande de 2012 : la loi sur le mariage dit pour tous.

Le départ du Garde des Sceaux a été annoncé avec la régularité d’une montre helvète par les gazettes quelques mois après son arrivée au ministère. Cette attente fut entretenue par la ministre elle-même puisque l’on constate que ses prises de position n’allaient pas toujours dans la direction souhaitée par le Président ou même par le Premier ministre Manuel Valls, qui apparaissait comme l’homme à abattre. Ce suspens permanent est la preuve de l’intelligence politique de Madame Taubira. Digne successeur de Robert Badinter, elle sut prendre une place de premier plan au sein de l’action gouvernementale et fit sienne la promesse du candidat Hollande de 2012 : la loi sur le mariage dit pour tous. A la manière de Badinter, Christiane Taubira a marqué l’histoire de France en défendant cette réforme sociétale. Enfin, toujours comme Robert Badinter, elle ignora les cent pas des manifestants opposés à sa réforme, ce qui permit de se souvenir du fonctionnement de la démocratie.

Si cette force politique se voit ici, c’est que le gouvernement qu’elle vient de quitter n’a pas eu d’autres leviers d’action que le levier « société ». Rebroussant son chemin, le candidat Hollande qui voyait en la finance son ennemi est devenu le Président aux mains liées par l’argent. Du bout des doigts il permit une « avancée » de société quand l’immobilisme économique reste criant. Presque malgré elle, la démissionnaire à bicyclette, restera dans l’histoire grâce à cette réforme du mariage. Son bilan au ministère de la Justice sera sans doute oublié malgré une réelle volonté d’équilibrer la balance. En effet, accusée de vouloir « vider les prisons », le ministre a surtout voulu montrer que la prison n’était pas une solution durable pour certains condamnés notamment pour les mineurs, ce que le profil des auteurs des récents attentats prouve bien : la prison française est devenue une usine à fabriquer des hors-la-loi. Cette position n’est pas neuve mais a eu le mérite d’être une vraie position de gauche, dans un gouvernement qui ne l’est plus depuis longtemps. Dans le même temps, c’est le travail autour des aides aux victimes qui a été renforcé, preuve, au moins, d’une volonté d’équilibre de l’ancienne ministre.

De la culture littéraire dans la politique

Christiane Taubira marqua ses années au gouvernement par sa culture littéraire et poétique. Quelques heures devant les archives de ses prestations montrent bien son goût pour les envolées lyriques – souvent emphatiques – tant moquées sur les réseaux sociaux. Sa poésie, celle du XXème siècle, est la poésie politique qui pousse les peuples vers la liberté. Très influencée par la négritude de Senghor et Césaire, l’ancien Garde des Sceaux a eu une audace que peu de politiques avaient eue avant elle : le retour de la poésie à l’Assemblée Nationale et dans le champ politique.

Très influencée par la négritude de Senghor et Césaire, l’ancien Garde des Sceaux a eu une audace que peu de politiques avaient eue avant elle : le retour de la poésie à l’Assemblée Nationale et dans le champ politique.

Combien de ses discours et de ses interventions, sans feuille tremblée, furent ponctués, illustrés par des vers assénés aux députés ? Les images de cette femme, chantant les vers de Léon Gontran Damas, de Jacques Prévert, ou de Paul Eluard aux oreilles d’élus moqueurs et bruyants, cachant par sa main l’arrivée des huées et des grimaces, resteront dans les mémoires des amateurs de poésie. S’il doit y avoir un éloge de l’ancien ministre, il doit se situer sur ce retour du beau verbe, de la poésie lyrique vivante dans la sphère grise de la politique sans rêve sans courage et sans mots. Quand l’ensemble de la classe médiatique, politique et artistique se gaussait de Fleur Pellerin qui avouait n’avoir jamais lu un roman de Patrick Modiano, il convient de reconnaître ceci à Christiane Taubira : elle a fait de la politique avec l’œil de celle qui aime et vit la poésie. Comme Aimé Césaire qui fut député et maire, elle tenta de trouver un certain équilibre dans sa manière de diriger son ministère. Elle a répondu aux insultes racistes par des vers libres. Quelle autre personnalité politique aurait eu cette dignité ?

Cet élan pour la poésie lyrique fait de Christiane Taubira, l’une des figures les plus intellectuelles de la sphère politique actuelle. Bien sûr, son utilisation du réseau social Twitter est moqué par les internautes qui s’opposent à elle. On y voit un excès de pédantisme culturel, un snobisme des mots trop longs mais il est intéressant de voir que ces reproches sont les mêmes faits aux chantres de la négritude. Madame Taubira n’est pas une intellectuelle, contrairement au Député-Maire Césaire et au Président Senghor. Elle n’élabore ni concept philosophique ni théorie littéraire, et n’a pas publié à ce jour, de fiction ni d’œuvre poétique. Aimer et utiliser la langue française avec goût n’offre pas l’estampille « intellectuelle » et c’est heureux. Cependant, bien au-dessus de la mêlée politique générale, Christiane Taubira a su montrer que la poésie pouvait aider à vivre, jusqu’aux hautes sphères de l’État.

Des cercles indépendantistes guyanais au goudron de la rue de la Paix quittant le ministère sur sa bicyclette, elle a pédalé en danseuse, toujours, entre poésie et politique. Avoir mêlé les deux est sa réussite et son échec.

 

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Christophe Berurier

Christophe Berurier est professeur. Il aime les mots et le vélo.

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