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Le football version maillot Manufrance cintré, mini-short, chaussettes sur les chevilles et cheveux au vent…

C’est un temps que les moins de cinquante ans ne peuvent pas connaître. Quand des Verts soudés et portés par tout un peuple tentaient d’offrir à la France sa première coupe d’Europe de football. Quand le président à la pipe Roger Rocher et l’entraîneur à l’épaisse crinière rousse Robert Herbin, à la tête d’une équipe d’exception, formaient un duo de choc aux ambitions élevées et au capital sympathie colossal. Quand le Forez était « The place to be » pour les meilleurs footballeurs français.

Elle incarne une France du foot débarrassée de ses complexes, remontée comme une pendule après deux décennies de vaches maigres durant lesquelles, outre l’absence de résultats de l’équipe nationale, ses clubs ont souvent tendu les deux joues les soirs d’Europe.

Bientôt, l’Hexagone connaîtra une impressionnante vague de sécheresse, Guy Drut deviendra champion olympique du 110 mètres haies et Jacques Chirac innovera en devenant le premier chef du gouvernement de la Ve République à démissionner, ulcéré par le traitement de défaveur que lui inflige un Valéry Giscard d’Estaing plus condescendant que jamais. En attendant, le pays se délecte des exploits de l’AS Saint-Étienne, laquelle fait parler la poudre dans son « Chaudron » de Geoffroy Guichard, enceinte vert vif investie par une population ouvrière qui s’époumone et vibre à l’unisson. Un stade qui construit son mythe et s’apparente à un cauchemar pour tous les clubs de D1. Tous ou presque y mordent la poussière, pris à la gorge, submergés par les remontées de balle du cavalier argentin Osvaldo Piazza, transpercés par les frappes « laser » de Jean-Michel Larqué, rendus chèvre par les arabesques du petit prodige Dominique Rocheteau, propulsé international français un mois après ses débuts professionnels (!), et voyant leurs velléités offensives contenues par Christian Lopez ou Ivan Curkovic, dernier rempart yougoslave trapu et particulièrement alerte.

Un centre de formation qui délivre une génération pétrie de talent, le gratin du foot national, des joueurs étrangers redoutables, une solidarité à toute épreuve, un coach inspiré et déterminé, un public magique : en ce printemps 1976, la recette fait merveille et l’AS Saint-Étienne est au sommet de sa gloire. Elle incarne une France du foot débarrassée de ses complexes, remontée comme une pendule après deux décennies de vaches maigres durant lesquelles, outre l’absence de résultats de l’équipe nationale, ses clubs ont souvent tendu les deux joues les soirs d’Europe.

Demi-finalistes de la précédente C1, alors stoppés par un Bayern Munich plus mature (0-0, 2-0 en Bavière), les Verts se sont de nouveau hissés en quarts de finale de la compétition reine sans coup férir, marquant notamment les esprits en s’imposant deux buts à un en Écosse face au Glasgow Rangers au tour précédent. C’est maintenant un grand d’Europe qui attend « Sainté », le Dynamo Kiev, dernier vainqueur de la Coupe des Vainqueurs de coupes (C2) et qui compte notamment dans ses rangs Oleg Blokhine, formidable dribbleur et Ballon d’Or en titre. L’affrontement promet d’être disputé. Il le sera.

La suffisance punie

Deux saisons plus tôt, les Stéphanois ont réussi l’exploit de « retourner » l’Hajduk Split, vainqueur 4-1 au match aller, mais laminé cinq buts à un deux semaines plus tard grâce en particulier à un doublé d’un attaquant abonné au banc des remplaçants et au patronyme digne d’un ennemi de Tintin, Yves Triantafilos. Un exploit retentissant et, avec le recul, l’acte de naissance de la légende verte. Face au Dynamo Kiev, les hommes de Robert Herbin s’inclinent 2-0 lors de la première manche, disputée en Crimée, à Simféropol, dans une atmosphère de guerre froide. Le second acte est un morceau de bravoure, le triomphe d’une équipe blessée dans son orgueil et qui impressionne par son refus opiniâtre de s’avouer définitivement vaincue.

Le second acte est un morceau de bravoure, le triomphe d’une équipe blessée dans son orgueil et qui impressionne par son refus opiniâtre de s’avouer définitivement vaincue.

Secoués par leur entraîneur, qui parvient cependant à préserver l’esprit de cohésion et à ménager l’ego des maillons faibles du match aller, les Verts poussent, mais échouent pendant plus d’une heure à faire sauter le verrou ukrainien. On joue la soixante-troisième minute quand Blokhine s’échappe sur l’aile droite. Le Soviétique efface Gérard Janvion puis, d’une petite feinte, se débarrasse de Lopez. Il se présente face à Curkovic et la sentence ne fait pas le moindre doute, d’autant qu’Onitchenko, son compère de l’attaque, est libre de tout marquage sur sa gauche.

Blokhine cède toutefois au pire du sport, la suffisance, en tentant de crocheter un Lopez revenu comme une balle et qui bloque l’offensive ukrainienne. Le contre est un modèle du genre. Du bout du pied, le défenseur français transmet à Piazza, qui franchit le rond central avant de lancer Patrick Revelli. Sans contrôle et de l’extérieur du pied, ce dernier parvient, d’une passe lobée, à servir son frère Hervé, qui court dans le dos de son vis-à-vis, Rejko, dépassé sur ce coup. Excentré sur la gauche, Hervé Revelli devance son coéquipier Piazza et tire en extension. Peu puissante, mais précise, sa frappe laisse le gardien du Dynamo Kiev, Rudakov, sans réaction.

Sept minutes plus tard, Hervé Revelli, encore lui, est bousculé à l’entrée de la surface de réparation adverse et obtient un bon coup franc. C’est l’une des spécialités de Jean-Michel Larqué. D’une frappe tendue du droit, sèche comme un couperet, le futur acolyte de Thierry Roland fait à son tour trembler les filets pour rétablir la parité sur l’ensemble des deux matchs. Victime d’une contracture, il doit néanmoins céder sa place à Jacques Santini à la quatre-vingtième minute. Les prolongations s’annoncent très difficiles, entre les crampes d’Hervé Revelli, celles de de Gérard Janvion et les pépins physiques de Dominique Rocheteau.

« L’Ange vert » joue sur une jambe, a le visage en sang, mais ne manque ni de ressources, ni de courage. A la cent-douxième minute, Jacques Santini évite Konkov, attire deux défenseurs soviétiques et glisse le ballon entre eux à Patrick Revelli. D’un long dribble, ce dernier se joue de Trochkine avant, en bout de course, d’adresser un centre en retrait aux petits oignons à… Rocheteau, qui reprend le ballon de l’intérieur du droit et fusille le pauvre Rudakov.

Les huit minutes qui suivent sont à déconseiller aux cardiaques. Saint-Étienne est martyrisé, mais Saint-Étienne est finalement libéré et les héros du soir ont droit à une formidable ovation. Elle dure huit minutes elle aussi et est au diapason de l’exploit que viennent d’accomplir les Foréziens, qui pour la deuxième année de rang se hissent dans le dernier carré de la plus convoitée des coupes européennes.

Les perdants magnifiques

A domicile, les Bataves harcèlent l’arrière-garde française qui plie, mais ne rompt pas grâce à un Curkovic de gala, auteur entre autres de deux arrêts exceptionnels sur un missile de Willy Van de Kerkhov et une tête à bout portant. 

C’est maintenant le PSV Eindhoven qui se dresse sur la route des Verts. Comme eux, les joueurs du Limbourg ont renversé une situation bien compromise contre l’Hajduk Split au tour précédent. Dans deux ans, le club de Philips remportera la Coupe de l’UEFA au détriment du SC Bastia. Pour l’heure, il donne beaucoup de fil à retordre à Piazza et consorts.

Les Stéphanois l’emportent 1-0 à Geoffroy-Guichard sur un nouveau coup franc de Jean-Michel Larqué et font le dos rond aux Pays-Bas. A domicile, les Bataves harcèlent l’arrière-garde française qui plie, mais ne rompt pas grâce à un Curkovic de gala, auteur entre autres de deux arrêts exceptionnels sur un missile de Willy Van de Kerkhov parti pour se loger dans la lucarne et sur une tête à bout portant de la tour de contrôle suédoise Ralf Edström. La cage du gardien yougoslave est finalement inviolée et « Sainté » se qualifie pour la finale, dix-sept ans après le Stade de Reims.

Le baisser de rideau de cette édition 1975/1976 de la C1 a lieu à l’Hampden Park de Glasgow. Il voit s’affronter le meilleur club français de l’époque et le double tenant de l’épreuve. Emmené par Sepp Maier, Franz Beckenbauer et Gerd Müller, le Bayern Munich, constitué des meilleurs éléments de l’équipe de RFA championne d’Europe en 1972 et championne du monde deux ans plus tard, est le favori logique. C’est toutefois peu de dire que cette équipe ultra-rationnelle et qui n’a pas son pareil pour convoquer la chance ne fait pas chavirer les foules.

Devant près de 55 000 spectateurs, « Sainté », pourtant privé de Christian Synaeghel, de Gérard Farison et de Dominique Rocheteau, lequel n’entrera qu’en toute fin de rencontre, ne démérite pas et domine même les débats. En première période, une frappe lointaine de Dominique Bathenay heurte la barre d’un Maier qui était largement battu sur cette tentative. Toujours lors du premier acte, Jacques Santini touche lui aussi du bois… Les poteaux sont carrés et c’est l’une des dernières fois que le football moderne en propose. Plus tard, des universitaires et des scientifiques parviendront à démontrer que, s’ils avaient été ronds, les Verts auraient marqué deux fois.

« Messieurs, la France, c’est vous », déclarera Valéry Giscard d’Estaing au sortir d’un défilé sur les Champs-Elysées qui rassemble plus de cent mille fans.

En seconde période, alors que le score est toujours vierge, Piazza commet une petite faute. Tel est en tout cas l’avis de l’arbitre hongrois Károly Palotai. Le mur stéphanois n’est pas correctement placé, mais l’expérimenté et rusé Beckenbauer joue vite le coup franc, à une trentaine de mètres du but gardé par Curkovic. Il transmet à Franz Roth, déjà buteur lors de la précédente finale de Coupe d’Europe des clubs champions, remportée 2-0 contre Leeds United, qui trompe la vigilance du portier yougoslave. « Sainté » ne reviendra plus et laisse passer une chance en or de devenir le premier club français à remporter une finale européenne.

La détresse stéphanoise est immense, la presse européenne presque unanime concernant le succès bavarois – The Sun estime notamment que le Bayern a volé la coupe aux Français -, une fois de plus étriqué, et la France tient ses nouveaux héros. « Messieurs, la France, c’est vous », déclarera Valéry Giscard d’Estaing au sortir d’un défilé sur les Champs-Elysées qui rassemble plus de cent mille fans. Les vaincus sont fêtés comme des vainqueurs dans un pays qui avait perdu le goût des grandes sagas footballistiques et n’a pas la culture du résultat. Un pays qui devra toutefois encore attendre dix-sept ans avant de connaître enfin la joie d’un triomphe européen.

« Sainté » a en effet atteint son apogée. L’année suivante, le Liverpool de Kevin Keegan stoppe les Verts en quarts de finale à l’issue d’un match haletant à Anfield Road. Plus tard, sous l’impulsion d’un certain Michel Platini, les Verts parviendront encore à dynamiter le PSV Eindhoven (0-2, 6-0 à Geoffroy-Guichard) et à écarteler Hambourg  (0-5 à l’aller en Allemagne, 1-0 dans le Forez), mais « seulement » en huitièmes de finale de la Coupe de l’UEFA. Deux derniers exploits sans lendemain, mais qui restent eux aussi gravés dans bien des mémoires. Et pour cause: ils tiennent une place de choix dans la légende de celui qui reste l’un des plus attachants et le plus titré des clubs français.

Guillaume Duhamel

Guillaume Duhamel

Guillaume Duhamel

Journaliste financier originellement spécialisé dans le sport et l'écologie. Féru de politique, de géopolitique, de balle jaune et de ballon rond. Info plutôt qu'intox et intérêt marqué pour l'investigation, bien qu'elle soit en voie de disparition.

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